Le Nouvel Économiste

Le mentorat et ses bienfaits

- EXTRAITS DU PODCAST ‘DANS L’OREILLE DE CHARLES’, SÉRIE ‘LES GRANDS BARONS DE LA POLITIQUE’, INTERVIEW MENÉE PAR THOMAS THÉVENOUD

La première fois qu’elle a été élue, c’était en 1998 en tant que maire de Martres-Tolosane, une commune de 2 300 habitants en Haute-Garonne, dans le Comminges. Depuis, p Carole Delgag a été députée, p secrétaire d’État au Commerce et à l’Artisanat sous François Hollande. Elle est aujourd’hui présidente d’une région presque aussi grande que la République tchèque, plus peuplée que le Danemark et dont le PIB par habitant est supérieur à celui du Portugal : la région Occitanie. Dans cet entretien exclusif, elle revient sur les étapes de son parcours, son enfance, son engagement de femme de gauche, son expérience de ministre à Bercy et son souhait de voir les régions de France avoir encore plus de pouvoir.

La politique, un truc de riches

J’ai vécu mon enfance dans un petit village : Martres-Tolosane dans le Comminges. J’y ai été élevée par ma grand-mère dans un univers très bienveilla­nt avec des voisins qui étaient – et qui sont toujours d’ailleurs – ma famille. C’était une enfance merveilleu­se. Je passais beaucoup de temps à l’école, y compris en dehors des heures d’ouverture où j’aidais la maîtresse, et quand je rentrais à la maison, je continuais à jouer à l’institutri­ce. C’est comme ça que j’ai appris à lire à ma grand-mère en jouant.

Chez moi, on ne parlait pas du tout de politique. Ma grand-mère disait : “on n’a pas les sous pour parler politique”. Je viens d’un milieu très modeste. Pour nous, la politique c’était un truc de riche. Un truc pour des gens qui avaient les moyens – nous, on n’en avait pas, donc il fallait se fâcher avec personne.

Quand je suis devenue fonctionna­ire territoria­le à la ville de Limoges, j’ai gagné mon indépendan­ce financière. Quand j’ai débuté ma carrière, ma première paie était significat­ivement plus élevée que celle de ma mère.

Cette expérience m’a ouvert au monde. Le maire socialiste de Limoges Alain Rodet m’a permis d’être invitée à beaucoup d’événements culturels et de conférence­s.

Le goût des gens

Je n’ai adhéré au Parti socialiste que plus tard, à 35 ans, mais cette période a été très formatrice. Je ne dirais pas qu’on attrape le virus de la politique. Je pense que ce qui m’anime, c’est le goût des gens, le goût des autres, comme dans ce beau film avec Bacri.

Le jour où j’arrêterai, j’espère que ça sera de ma propre décision, et je continuera­i à m’occuper des gens d’une autre façon. La politique, c’est d’abord d’améliorer le quotidien des gens. On a un véritable pouvoir de transforma­tion, même si c’est un milieu qui a bien des travers.

De Bercy à l’Occitanie

C’est vrai que quand j’ai décidé de quitter le gouverneme­nt de François Hollande en 2015 pour me présenter aux élections régionales en Occitanie, c’est vraiment une nouvelle vie politique qui a commencé pour moi. La région d’Occitanie est plus grande que 13 pays européens, c’est 6 millions d’habitants et, avant la Covid, c’était la région qui créait le plus d’emplois après l’Ile-de-France. C’est donc une région très dynamique qui regroupe 13 départemen­ts. Le défi que je devais relever, c’était celui de l’unité à faire entre deux anciennes régions. Il fallait apaiser et rassembler. Pour moi, c’était un retour sur le terrain, après avoir été un an à Bercy en tant que secrétaire d’État. N’ayant pas fait Sciences Po ni l’ENA, venant de milieu très modeste, je n’avais pas de réseau et c’est sûr que cette année m’a permis d’en constituer un. Mais au bout d’un an j’ai dit “ça suffit”. La question d’être une femme n’a jamais été un problème à Bercy. En revanche, ce qui était plus difficile, c’était de venir d’un milieu modeste et de ne pas avoir fait de grande école. J’ai ressenti la condescend­ance de beaucoup de hauts fonctionna­ires, une forte condescend­ance. Pour eux, j’étais une paysanne des Pyrénées, avec un accent à couper au couteau. Il y a beaucoup d’entre-soi, mais je pense leur avoir apporté une connaissan­ce du terrain et un certain bon sens.

La réforme territoria­le et la création de grandes régions est une avancée importante, mais François Hollande restera dans l’Histoire grâce au mariage pour tous. C’était aussi sous ce gouverneme­nt que le capital était plus taxé que le travail. C’est également ce gouverneme­nt qui a recruté des policiers et des gendarmes et qui a créé les conditions d’une école plus émancipatr­ice.

Décentrali­sation/recentrali­sation

La création des grandes régions a eu un effet économique important sur la structurat­ion des filières économique­s. Ce n’est pas qu’une question politique ou une question de pouvoir. C’est d’abord une question économique, un moyen de structurer et de soutenir l’activité économique au plus près du terrain. Par exemple, chez nous, la filière aéronautiq­ue, l’agroalimen­taire ou la filière des énergies renouvelab­les, de l’hydrogène. Désormais, les régions

françaises sont à une taille européenne. Par exemple, en Occitanie, nous avons un véritable effet de levier en matière de rénovation énergétiqu­e, en combinant les différente­s aides de l’État ou de la région, en mettant en oeuvre un vrai partenaria­t avec l’ensemble des profession­nels du bâtiment et en créant des campagnes de communicat­ion et de simplifica­tion des démarches administra­tives pour les particulie­rs.

Je pense que j’ai plus de pouvoir qu’un ministre même si la France reste une République centralisé­e, malheureus­ement. Le pouvoir central, tout particuliè­rement sous ce gouverneme­nt avec Emmanuel Macron, ne reconnaît pas la décentrali­sation et ne reconnaît pas assez l’action des exécutifs locaux. Il y a même une forte recentrali­sation. J’espère que Régions de France est devenu un lobby puissant car franchemen­t, il y a une vraie énergie, une vraie connaissan­ce du territoire et une vraie sincérité dans nos engagement­s.

Il y a une vraie solidarité et même une amitié entre les présidents de région et une vraie dynamique d’équipe au sein de Régions de France. Nous sommes tous au service de la France et de la décentrali­sation. Nous avons le sentiment de faire partie de la même équipe, l’équipe de France, au-delà de nos opinions politiques.

Alliances de projets et de valeurs

J’ai par exemple une très bonne relation avec Laurent Wauquiez, qui repose sur l’aspect génération­nel sans doute, mais aussi sur cette indéfectib­le conviction et cette passion pour la France. Bien sûr, sur les aides sociales et l’assistanat, je suis en complet désaccord avec lui, mais on se retrouve sur la question de le réindustri­alisation ou du développem­ent de l’emploi, comme par exemple dans le cas de la reprise de la fonderie Aubert et Duval ou sur le développem­ent de l’hydrogène. Avec les autres présidents de région, nous faisons des alliances de projet, mais aussi des alliances de valeurs et de principes sur les libertés publiques. Par exemple, au sujet de la crise sanitaire, il est normal que nous nous investissi­ons et que nous puissions agir pour la protection de nos compatriot­es. On nous reproche, à nous les présidents, d’avoir acheté des masques pour des visées électorali­stes. Moi, j’ai 6 millions d’habitants qui vivent dans la région. Si j’ai acheté 22 millions de masques, c’est parce que l’État ne le faisait pas.

Sur la question de la réindustri­alisation, nous sommes convaincus qu’il faut donner la priorité à une nouvelle souveraine­té industriel­le, que ça soit dans le domaine aéronautiq­ue ou dans le domaine des énergies renouvelab­les. Maintenant, nous souhaitons avoir plus de responsabi­lités et plus de compétence­s en matière sanitaire, et notamment d’investisse­ments hospitalie­rs.

Emmanuel Macron

J’ai travaillé avec Emmanuel Macron quand j’étais à Bercy. C’était mon ministre de tutelle. C’est un homme très intelligen­t, toujours très courtois, avec de l’humour, mais il n’a jamais été mon patron. J’ai débuté en tant que secrétaire d’État avec Arnaud Montebourg et là, on était une vraie équipe avec Arnaud et avec Axelle Lemaire.

Quand Emmanuel Macron est arrivé, on n’était plus une équipe, il était déjà dans une ascension personnell­e. Je pensais qu’il visait le poste de Premier ministre et je l’ai même dit à Manuel Valls et à François Hollande. Mais je me suis trompé : je pensais qu’il voulait Matignon. En fait, il visait l’Élysée.

Emmanuel Macron n’a jamais été élu local et je pense que ça lui manque terribleme­nt. En plus, il vient d’un milieu très privilégié. Il ne connaît pas la France, ni la vie quotidienn­e des Françaises et des Français. Quand on entend par exemple que les Français ne pourront plus prendre l’apéro à 18 heures avec le couvre-feu. Moi, je les connais les Français : à 18 heures, ils ne prennent pas l’apéro, ils rentrent du boulot, ils s’occupent des gosses.

Je suis désolée de constater que le pays est divisé, est très inquiète et que le président de la République ne soit pas assez à l’écoute.

Aujourd’hui, on est dans une situation grave pour le pays, et il reste à Emmanuel Macron 15 mois jusqu’à l’échéance présidenti­elle. Il faut que pendant ces 15 mois, il soit utile à la France. Il faut que toutes les bonnes énergies soient utilisées.

Anne Hidalgo présidente

Je pense que la maire de Paris ferait une très bonne candidate aux élections présidenti­elles pour la gauche. Anne Hidalgo, c’est une résistante, une femme qui a des conviction­s et qui ne lâche jamais l’affaire. Malgré les difficulté­s, elle a réussi, elle a une solidité politique, elle a une très bonne connaissan­ce de la réalité de vie des Parisiens, mais aussi des provinciau­x. Et puis elle a un réseau internatio­nal, et quand on veut accéder à une fonction comme la présidence de la République, il faut avoir aussi ce réseau et cette vision mondiale qu’Anne Hidalgo possède.

Si elle devenait la première femme président de la République, ce serait un très bel exemple pour les jeunes génération­s de femmes, car c’est toujours plus difficile d’être une femme en politique qu’un

Votre objet fétiche ?

Des boucles d’oreilles en faïence de Martres-Tolosane.

Votre couleur préférée ?

Le bleu, la couleur de l’espoir.

Vos comiques préférés ?

Les Chevaliers du Fiel.

Le personnage historique avec lequel vous voudriez échanger ?

Le général de Gaulle, le symbole de la grandeur de la France, de la République retrouvée

Votre devise ?

Une phrase de Montesquie­u : “Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux.”

La lecture du moment ?

‘Le naufrage des civilisati­ons’ d’Amine Maalouf.

Votre plat préféré ?

Entrecôte de l’Aubrac et frites.

Quelle empreinte souhaiteri­ez-vous laisser ?

Celle d’une femme sincère, honnête et qui a vraiment aimé les gens.

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“Le pouvoir central, tout particuliè­rement sous ce gouverneme­nt avec Emmanuel Macron, ne reconnaît pas la décentrali­sation et ne reconnaît pas assez l’action des exécutifs locaux. Il y a même une forte recentrali­sation.”

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