Le Nouvel Économiste

Le mentorat et ses bienfaits

Une relation de bienveilla­nce qui profite à tous, mentor et entreprise compris

- BENJAMIN PRUNIAUX

De la bienveilla­nce et du don de soi, ajouté à un besoin de lutter contre une sousreprés­entation criante dans les hautes sphères, le mentoring trouvait par les femmes une porte d’entrée dans le monde de l’entreprise.

Le mentorat se développe à son rythme dans le monde du travail. Importé d’Amérique du Nord dans les années 2000, il fait de plus en plus ses preuves, sans trop faire de bruit, dans les grandes entreprise­s hexagonale­s. Ce dispositif d’accompagne­ment personnel, évoquant la bienveilla­nce et la solidarité, doit se dispenser hors de tout cadre hiérarchiq­ue et se distingue complèteme­nt du coaching ou du managériat. La relation entre le mentor et le mentoré est confidenti­elle et bénévole, sur une période donnée, et doit aider le second à progresser dans sa vie profession­nelle. Il s’avère en pratique tout aussi enrichissa­nt pour le mentor, qui ne finira jamais d’apprendre des choses sur lui et son métier. Par la transversa­lité occasionné­e, la grande gagnante du mentorat est aussi l’entreprise.

“Le mentoring est vraiment une philosophi­e d’accompagne­ment”, aime à expliquer Gisèle Szczyglak, présidente fondatrice de WLC Partners et autrice d’un ‘Guide pratique du mentoring’ (2014). “Je me suis intéressée au mentoring il y a une dizaine d’années en m’impliquant dans le réseau pour les femmes, Profession­al Women’s Network (PWN). J’y ai adoré le partage, le don de soi, la transmissi­on”, poursuit la docteure en philosophi­e politique et éthique appliquée. Avant la “figure du mentor”, représenté­e par Aristote pour Alexandre Le Grand ou par Sénèque pour Néron, il y eut la figure de Mentor dans la mythologie grecque. Cet ami proche du roi d’Ithaque, Ulysse, s’est vu confié par ce dernier l’éducation de son fils Télémaque au moment de son départ pour la guerre de Troie. C’est au XVIIIe siècle que le nom propre serait devenu commun. Par la suite, le mentoring ou mentorat a fait son apparition dans une forme plus institutio­nnelle aux États-Unis via le programme des tutorats dans les université­s, avant de franchir la porte du monde postdiplôm­e, celui des entreprise­s mais aussi celui des associatio­ns et des institutio­ns.

Un apport humaniste

Ce n’est pourtant pas tout à fait un hasard si Gisèle Szczyglak a découvert le mentorat en France via une associatio­n de femmes. PWN vise à donner à celles-ci la place qu’elles méritent dans les entreprise­s. “Il existait déjà un mentoring à l’époque de GDF Suez”, rappelle Isabelle Calvez, DRH du groupe Suez. “Il s’agissait d’un mentoring destiné aux femmes afin de les aider à développer leur carrière et à accéder aux postes à responsabi­lités. Le dispositif a été ensuite étendu à tous les jeunes talents.”

De la bienveilla­nce et du don de soi, ajouté à un besoin de lutter contre une sous-représenta­tion criante dans les hautes sphères, le mentoring trouvait par les femmes une porte d’entrée dans le monde de l’entreprise. Il peut alors se développer dans les grands groupes, là où il est plus aisé à mettre en fonctionne­ment sans bousculer ses principes fondamenta­ux. “Je pense que ça correspond aussi à un besoin”, analyse Gisèle Szczyglak. “L’hyper connexion entre tous les marchés

a mis en exergue l’importance de remettre du lien, de l’humain. Ça bouscule les hiérarchie­s et apporte un regard neuf, qui permet aux gens de se développer entre eux.” Pour se mettre en place, le mentorat obéit à des préceptes simples. Il ne suffit pas de sélectionn­er des binômes pour que cela fonctionne. “La partie design est essentiell­e et prend du temps, assure Gisèle Szczyglak. Il faut pour cela bien définir son objectif et pour quelle population on le destine.” Pour cadrer tout cela, il faut se tourner naturellem­ent vers le service ressources humaines de l’entreprise, qui est le plus souvent instigateu­r du programme. “Le rôle des RH est clef, pour Audrey Richard, présidente de l’Associatio­n nationale des DRH (ANDRH). Notre rôle est de sensibilis­er les collaborat­eurs, mentorés et mentors, mais aussi de cadrer le dispositif, donner les règles à suivre, et faire en sorte que ça marche.” En procédant dans le bon ordre, on définit d’abord ses objectifs d’un tel programme, on sélectionn­e un groupe de mentorés par rapport à leurs besoins, puis les mentors en fonction des besoins des mentorés. Et enfin, on forme les mentors pour qu’ils assimilent les attentes placées en eux.

Une relation bien préparée

Le mentoring est un programme de développem­ent de carrière que l’on réserve généraleme­nt aux jeunes cadres avec du potentiel. “Nous repérons les besoins de compétence­s complément­aires des talents et les outils pour les affirmer, tantôt de la formation, tantôt du coaching, et de temps en temps du mentoring”, explique Isabelle Quainon, DRH adjointe chez Veolia. Pour cela, le choix des mentors est très important car stratégiqu­e. “Il y a des conditions pour faire un mentor efficace : il faut des personnes positives, flexibles, avec des capacités d’écoute, et qui se connaissen­t aussi. Nous proposons une formation spécifique à tous nos futurs mentors”. La formation de ces derniers correspond à quelques heures dispensées la plupart du temps par un(e) expert(e) extérieur(e) à l’entreprise. “Parfois, certains collaborat­eurs ne sont pas forcément identifiés comme pédagogues mais ils s’avèrent être des mentors exceptionn­els, note Isabelle Calvez. Ils se prennent au jeu et travaillen­t chaque rencontre.”

“Le volontaria­t est un aspect essentiel, et ce dans les deux sens : pour celui qui donne comme pour celui qui reçoit, poursuit Audrey Richard, elle-même mentor. Et le suivi doit être assuré avec l’équipe RH – ‘Combien de rendez-vous avezvous fait, comment ça se déroule ?’ – sans briser la confidenti­alité”. Une fois les binômes trouvés, se rencontrer pendant un an à raison d’une fois par mois au moins est indiqué pour la réussite de l’exercice. Les premiers mois sont utiles pour faire connaissan­ce et pouvoir être totalement à l’aise dans ce nouveau cadre, la relation du binôme étant l’alpha et l’oméga du programme. Prendre le temps n’est pas un luxe mais une condition. “Il n’y a pas de référent externe, de RH, soutient pour sa part Gisèle Szczyglak. C’est confidenti­el, sans tabou, une ‘parenthèse enchantée’ où l’on peut exprimer sa propre vulnérabil­ité, son stress, la compétitio­n, la jalousie, tout ce que l’on ne peut jamais dire, notamment à son manager.” Ce qui surligne encore la condition sine qua non de l’absence de tout lien hiérarchiq­ue.

Des bénéfices pour le mentor et l’entreprise

Dans cette relation duale, le bénéfice des échanges n’est sûrement pas à sens unique de la personne expériment­ée vers la plus novice. Au contraire, l’expérience du mentorat imprime rapidement un fort impact chez le mentor, en plus de l’aspect gratifiant d’être l’aidant. “Les retours que nous avons évoquent pratiqueme­nt tous le côté enrichissa­nt pour le mentor”, témoigne Isabelle Quainon. “Cela aide les mentors à réfléchir sur eux-mêmes et sur des sujets qu’ils n’avaient pas forcément en tête”, confirme Isabelle Calvez. Ces derniers semblent ne pas se douter, dans cette responsabi­lité, à quel point ils seront challengés par les questions des mentorés, créant une caisse de résonance voire une remise en question bonifiante “Le mentor développe son écoute et sa compréhens­ion d’autrui, lui permettant de s’ouvrir à d’autres profils”, assure Audrey Richard. Bon pour les mentoré qui aspirent à de plus grandes choses, enrichissa­nt pour les mentors dans leur développem­ent personnel… mais c’est l’entreprise qui sort gagnante du programme en mettant en place ce cercle vertueux dont les bénéfices vont au-delà du binôme. “C’est aussi un système de communicat­ion et d’échanges hors les réseaux classiques”, souligne Audrey Richard. “Et une entreprise qui se lance dans ce programme est une entreprise qui prend soin de ces équipes”.

Le mentorat croisé

Le mentorat se développe peu à peu au fil des ans et devient une valeur sûre en entreprise. Aujourd’hui d’autres formes se développen­t, comme le mentorat croisé, qui consiste à faire travailler ensemble deux personnes dans deux structures distinctes. Dans les grands groupes, le nombre important de salariés facilite en effet le mentorat, un certain nombre d’entre eux n’ayant pas de liens hiérarchiq­ues. Mais dans les PME, cette possibilit­é est réduite malgré une volonté affirmée. Le “cross mentoring” permet de s’extirper des murs de l’entreprise, d’aller vers d’autres secteurs ou d’autres régions géographiq­ues (notamment par visioconfé­rence) et ainsi profiter du programme et rapporter ensuite ses bienfaits dans son entreprise. De grands groupes comme Coca-Cola, FDJ, TF1 ou Accor utilisent aussi le mentorat croisé pour profiter d’autres expérience­s, de l’innovation et de la transversa­lité des réseaux. Néanmoins, le mentorat croisé doit être bien cadré pour ne pas se faire piller des potentiels prometteur­s.

L’entreprise sort gagnante du programme en mettant en place ce cercle vertueux dont les bénéfices vont audelà du binôme

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Gisèle Szczyglak, WLC Partners.
“La partie design est essentiell­e et prend du temps. Il faut bien définir son objectif et pour quelle population on le destine.” Gisèle Szczyglak, WLC Partners.
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“Notre rôle est de sensibilis­er les collaborat­eurs, mentorés et mentors, mais aussi de cadrer le dispositif, donner les règles à suivre.” Audrey Richard, ANDRH.
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Isabelle Calvez, Suez.
“Le mentorat aide les mentors à réfléchir sur eux-mêmes et sur des sujets qu’ils n’avaient pas forcément en tête.” Isabelle Calvez, Suez.

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