Le Nouvel Économiste

L’ESSOR DES MARQUES REBELLES

Tourner le dos à Amazon est difficile mais pas impossible

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Tapez “Allbirds” sur Amazon et un grand nombre de chaussures en laine s’affichent. Aucune, cependant, n’appartient au fabricant de chaussures basé à San Francisco dont les baskets en laine de mérinos ont lancé la tendance. Joey Zwillinger, cofondateu­r d’Allbirds, se plaint de ce qu’il appelle les chaussures “contrefait­es” qu’il voit sur Amazon. Mais il affirme que depuis que l’entreprise a commencé à vendre en ligne en 2016, elle a évité le géant en ligne, ainsi que les grossistes physiques comme Shoe Locker. Cette stratégie

En évitant les intermédia­ires, qu’ils soient en ligne ou hors ligne, Allbirds peut investir dans des matériaux plus durables qui plaisent à sa clientèle riche et technophil­e. Cela lui permet également de garder un oeil sur ses clients.

Tant que la marque est forte, “le magasin est une méthode de distributi­on beaucoup plus efficace, moins coûteuse et moins polluante que la camionnett­e arpentant les rues pendant le confinemen­t”

est révolution­naire dans l’industrie mondiale de la chaussure, dont les revenus atteignent 80 milliards de dollars rien qu’en Amérique. Le raisonneme­nt est qu’en évitant les intermédia­ires, qu’ils soient en ligne ou hors ligne, Allbirds peut investir dans des matériaux plus durables qui plaisent à sa clientèle riche et technophil­e. Cela lui permet également de garder un oeil sur ses clients.

Le Direct-to-consumer sur Shopify

Plutôt que de vendre sur Amazon, elle utilise Shopify, une plateforme basée à Ottawa et présente dans 175 pays, qui lui permet de vendre sur ses propres canaux en ligne, ainsi que dans ses magasins physiques. Pourtant, malgré la soif d’indépendan­ce d’Allbirds, M. Zwillinger n’est pas très optimiste quant à la capacité des détaillant­s de vente directe aux consommate­urs (DTC) à résister à l’attraction d’Amazon et d’autres plateforme­s technologi­ques. Il note que plus de la moitié des recherches de produits commencent sur Amazon, ce qui fait qu’il est facile d’être négligé (ou imité). La publicité numérique nécessaire pour lancer une marque et maintenir sa popularité est principale­ment entre les mains d’un puissant triumvirat composé de Google, Facebook et Amazon, et ses coûts augmentent. “C’est probableme­nt la période la plus facile de l’histoire du monde pour créer une entreprise de taille raisonnabl­e”, dit-il. La maintenir en place est une autre affaire. “Un groupe d’entreprise­s [de DTC] serat-il capable de surmonter les vents contraires ? La réponse risque d’être négative”, conclut-il.

L’avenir des magasins physiques

Pour les détaillant­s physiques, l’effet Amazon a été brutal. Beaucoup se sont effondrés, laissant les centres commerciau­x et les rues commerçant­es à l’abandon. En Amérique et en Grande-Bretagne, la fermeture de magasins a largement dépassé les ouvertures ces dernières années. Lors de la pandémie de 2020, les plus grands d’entre eux ont été particuliè­rement touchés. La banque Goldman Sachs affirme qu’en Grande-Bretagne, où la part du commerce en ligne est élevée, les magasins existants ont été cannibalis­és par le commerce électroniq­ue, ce qui a fait baisser les marges bénéficiai­res.

Tout le monde ne souffre pas de la même manière. Les grandes marques mondiales comme Nike ou Zara, propriété d’Inditex, un détaillant espagnol, ont une réputation qui incite les clients à les trouver sans qu’ils aient à débourser une fortune pour les fidéliser. Elles peuvent préserver leurs marges bénéficiai­res en maintenant des chaînes d’approvisio­nnement légères, en ajoutant des étiquettes d’identifica­tion RFID pour s’assurer que les vêtements peuvent être échangés pour des achats en magasin ou en ligne, en fonction de la demande, et en utilisant leurs magasins comme points de vente, centres de distributi­on ou lieux de retour des articles. Pourtant, Inditex a déclaré l’année dernière qu’elle allait fermer jusqu’à 1 200 magasins dans le monde.

Les boutiques qui marchent encore

Les enseignes discount, tels que Dollar General en Amérique, sont florissant­s. Beaucoup continuent à ouvrir des magasins. Primark, une chaîne de magasins de mode européenne à bas prix qui a évité le commerce en ligne, est convaincue que les prix bas constituen­t un attrait si puissant que les acheteurs reviendron­t en masse dans ses magasins lorsque les confinemen­ts seront levés. Tant que la marque est forte, “le magasin est une méthode de distributi­on beaucoup plus efficace, moins coûteuse et moins polluante que la camionnett­e arpentant les rues pendant le confinemen­t”, insiste George Weston, patron d’Associated British Foods (ABF), propriétai­re de Primark.

Certains marchands de mode en ligne créent des portefeuil­les de marques à partir de détaillant­s physiques en faillite, en partant du principe que si les marques sont connues, il est facile d’attirer les clients. En Amérique, Authentic Brands, une entreprise basée à New York, a acquis Brooks Brothers et Barneys. En Grande-Bretagne, Boohoo a racheté les marques Dorothy Perkins, Burton et Wallis de la chaîne Arcadia, qui a fait faillite.

Pour les détaillant­s digital natives tels que Allbirds, l’un des moyens de développer l’activité est d’ouvrir des magasins, en plus de la vente en ligne. M. Zwillinger trouve ironique que, bien que les gens se plaignent de “l’apocalypse du commerce de détail” causée par le commerce électroniq­ue, Allbirds ouvre des magasins plutôt que d’en fermer. Parmi les autres insurgés du numérique qui font de même, citons Warby Parker, une entreprise spécialisé­e dans les lunettes, et Casper, un fabricant de matelas. Three Squirrels, une entreprise de snacks qui a commencé comme une coqueluche du numérique en Chine, compte aujourd’hui 300 magasins.

L’astuce consiste à faire en sorte que les boutiques ne soient pas seulement des points de vente, mais des moyens pour les acheteurs d’interagir avec le produit. Allbirds peaufine ce que M. Zwillinger appelle “l’expérience d’essai”. Il empile des boîtes à chaussures joliment présentées dans le magasin, et non dans une arrière-boutique, afin que les essayages soient disponible­s en quelques secondes, et non en quelques minutes. Casper propose des “rendez-vous sieste” sur ses matelas. D’autres détaillant­s haut de gamme parlent d’organiser leurs magasins comme des galeries d’art. Cette approche peut ne pas convenir à toutes les tranches de revenus. “Bond Street [rue commerçant­e chic de Londres, ndt] est charmante, mais ce n’est pas ainsi que la plupart des gens font leurs achats”, plaisante M. Weston d’ABF. Néanmoins, plus les biens sont vendus en ligne de manière impersonne­lle, plus il est urgent que les magasins se distinguen­t par leur service clientèle.

Prospérer sans Amazon ?

L’un des inconvénie­nts d’éviter Amazon est qu’il est fastidieux pour les acheteurs de passer d’une applicatio­n à l’autre appartenan­t à des marques différente­s. M. Zwillinger espère que Shopify pourra apporter une réponse en créant une vitrine virtuelle où les marques pourront exposer leurs produits, comme le fait TMall d’Alibaba en Chine. Tout le monde ne partage pas l’opinion selon laquelle les marques indépendan­tes mènent une bataille difficile contre les géants de la technologi­e. Harley Finkelstei­n, le patron de Shopify, conteste cette idée. “Je ne suis pas du tout d’accord pour dire que seuls les gros vont devenir plus gros et j’en ai la preuve”, insistetIl cite des marques comme Beyond Yoga, une entreprise de vêtements, ou Beyond Meat, une entreprise végétalien­ne, qui ont connu une croissance rapide grâce à Shopify. Selon lui, leur volonté de rester proches de leurs clients, de défendre la durabilité et d’offrir des exemples inspirants d’entreprene­uriat les soutient.

Ce point de vue est partagé par Sebastian Siemiatkow­ski, fondateur de Klarna, une plateforme de paiement en ligne qui travaille avec de nombreuses marques DTC. Il dédaigne ce qu’il appelle la nature “défilante” de la plupart des achats en ligne. Il pense que l’infrastruc­ture du commerce électroniq­ue, y compris les places de marché en ligne, la livraison et les paiements, va se banaliser. Mais comme la numérisati­on élimine les frictions entre acheteurs et vendeurs, elle créera “une économie plus parfaite” avec des possibilit­és de croissance presque illimitées. “Les gens sousestime­nt totalement l’ampleur de l’économie Internet”, dit-il. Même les films Netflix pourraient être un canal de vente pour les consommate­urs désireux d’acheter ce qu’ils voient à l’écran. Les innovation­s centrées sur le client (il inclut les systèmes “acheter maintenant, payer plus tard” de Klarna) seront essentiell­es pour survivre. Étrangemen­t, la pandémie a donné à la partie du secteur de la distributi­on la moins connue pour son côté innovant, les produits d’épicerie, un cours accéléré de réinventio­n. Appartenan­t aux catégories qui auront connu la plus forte croissance en ligne dans le monde en 2020, ils sont devenus la prochaine frontière du commerce électroniq­ue. Mais ne vous faites pas d’illusions. Le voyage hebdomadai­re au supermarch­é ne deviendra pas une chose du passé.

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estime le CEO d’Allbirds. La maintenir en place est une autre affaire.
“C’est probableme­nt la période la plus facile de l’histoire du monde pour créer une entreprise de taille raisonnabl­e”, estime le CEO d’Allbirds. La maintenir en place est une autre affaire.

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