Le Nouvel Économiste

L’image d’une Jordanie stable vole en éclats

Avec l’arrestatio­n de l’ancien prince héritier de Jordanie, le divorce est bel et bien consommé au sein de la famille royale

- MAELSTRÖM MOYEN-ORIENTAL, ARDAVAN AMIR-ASLANI

L’ancien vice-prince héritier du royaume jordanien, Hamza ben Hussein, soupçonné d’avoir voulu renverser son demi-frère Abdallah II, le roi actuel de Jordanie, a été assigné à résidence dans son palais à Amman, capitale de la Jordanie. Le vice-Premier ministre jordanien, Aymane Safadi, a déclaré qu’un “plan maléfique” avait visé le roi Abdallah II, pour “porter atteinte à la sécurité” du pays. Les services de sécurité jordaniens ont déclaré avoir appréhendé les suspects à l’étape des discussion­s d’un “calendrier d’action” et estiment que “la sédition a été tuée dans l’oeuf”. Le suspect numéro un de ce prétendu “complot complexe et de grande envergure” n’est autre que le demi-frère du roi Abdallah II et dernier fils du roi

Hussein et de la reine Noor, sa quatrième femme. Le mobile serait tout trouvé puisque Hamza ben Hussein nourrirait une rancoeur à l’égard du monarque, arrivé au pouvoir en 1999, après qu’il l’ait démis de son titre de prince héritier en 2004 au profit de son fils, et ce contre les voeux de leur défunt père, le roi Hussein. Par ailleurs, il n’aurait pas agi seul puisqu’“un autre membre de la famille royale ainsi que des chefs tribaux et des membres de la direction de la sécurité du pays” seraient également impliqués. Malgré la débâcle évidente, la famille royale s’est évertuée à éviter de parler “d’un coup d’État” et a assuré que la situation était sous contrôle.

La Jordanie dans la tourmente économique

Alors que la dynastie hachémite, hautement légitimée par sa filiation directe avec le prophète Mahomet de par son ancêtre

Hachem, jouit d’une réputation de stabilité et de tranquilli­té dans une région impactée par les rivalités religieuse­s et politiques, le scandale impliquant l’ancien dauphin éclipse l’anniversai­re des cent ans d’existence du royaume qui aura lieu dimanche prochain. En effet, l’Émirat de Transjorda­nie fut créé par le roi Abdallah le 11 avril 1921 aux côtés de la Palestine et fut indépendan­t dès la fin du mandat britanniqu­e le 22 mars 1946, date à laquelle les Hachémites ont été repoussés vers le territoire jordanien par les Anglais. Les luttes d’influence dans cette zone ont engendré la montée en puissance du royaume saoudien, privilégié par les Anglais, et la perte des trois lieux saints pour les Hachémites à savoir La Mecque, Médine et Jérusalem. Depuis quelques années, le roi Abdallah II doit composer avec de nombreuses difficulté­s. En effet, depuis les Printemps arabes, la dynastie s’est vue ébranlée par des manifestat­ions réclamant une démocratis­ation et une ouverture du pays. Les révoltes et dissension­s se sont considérab­lement accrues au fur et à mesure de la dégradatio­n de la situation économique, sur fond de dénonciati­on de corruption des hauts placés et membres de la famille royale jordanienn­e. La Jordanie, qui ne dispose pas de ressources naturelles comme ses voisins du golfe Persique, peine en effet à garder la tête hors de l’eau. Accueillan­t 2,2 millions de réfugiés palestinie­ns et 1,3 million de réfugiés syriens, la Jordanie souffre d’un chômage endémique (23 %), d’une forte dette publique et voit depuis la crise de la Covid-19, ses recettes touristiqu­es sévèrement impactées. Le royaume survit essentiell­ement grâce à l’aide économique de ses partenaire­s américain, israélien et saoudien. De plus, les frontières partagées avec Israël, l’Irak et la Syrie, trois pays livrés à des guerres longues et meurtrière­s, sont une difficulté de plus à gérer pour le roi. Enfin, soucieux de préserver l’unité de son pouvoir, ce dernier a mis au pas ses rivaux potentiels au cours des dernières années.

Hamza ben Hussein, opposant trop populaire

L’ancien vice-prince héritier du royaume jordanien, Hamza ben Hussein, soupçonné d’avoir voulu renverser son demifrère Abdallah II, le roi actuel de Jordanie, a été assigné à résidence dans son palais à Amman. Malgré la débâcle évidente, la famille royale s’est évertuée à éviter de pparler “d’un coup d’État” et a assuré que la situation était sous contrôle.

Toutafois, Hamza ben Hussein s’est avéré être un opposant récalcitra­nt. En effet, malgré sa destitutio­n qui l’a cantonné à un rôle symbolique, ce dernier est dans la ligne de mire du roi en raison de sa propension à la critique de sa gestion du royaume, mais également de sa grande popularité auprès du peuple jordanien et de sa légitimité dynastique. Bien que théoriquem­ent coupé du monde extérieur depuis son assignatio­n à résidence il y a quelques jours, ordonnée par le chef d’état-major de l’armée, l’ancien dauphin a fait savoir par la voix de son avocat qu’il n’obéirait pas aux ordres du général Youssef Huneiti. Il en a également profité pour rendre publiques ses critiques, autrefois calfeutrée­s au sein de la famille royale : “Le pouvoir pense que ses intérêts personnels, ses intérêts financiers, sa corruption sont plus importants que la vie, la dignité et l’avenir des dix millions de personnes qui vivent ici. Malheureus­ement, ce pays s’est enfoncé dans la corruption, dans le népotisme et dans la mauvaise administra­tion, avec pour résultat l’anéantisse­ment ou la perte de l’espoir”. Le divorce au sein de la royauté jordanienn­e est bel et bien consommé.

L’Arabie saoudite à la manoeuvre ?

Aymane Safadi, vice-Premier ministre jordanien, avait évoqué à chaud la complicité d’une

puissance étvrangère sans la nommer. Or, parmi la quinzaine de personnes arrêtées, une personne intrigue particuliè­rement par son curriculum vitæ. En effet, Bassem Awadallah, l’ancien ministre des Finances et du Plan et ex-chef de la Cour royale (2007-2008) – aux côtés de Cherif Hassan ben Zaid qui a également été arrêté – fait partie de la liste. Notons qu’il fut également l’ancien ambassadeu­r de la Jordanie en Arabie saoudite et qu’il est considéré comme un proche du prince héritier saoudien à la réputation sulfureuse, Mohammed ben Salmane, dit MBS. Riyad s’est fendue d’un tweet pour partager son “appui total au royaume hachémite de Jordanie (…) et aux décisions et mesures prises par le roi Abdallah II et le prince héritier Hussein pour sauvegarde­r la sécurité et la stabilité” en Jordanie. Malgré le soutien immédiat apporté par l’Arabie saoudite au roi Abdallah II, les soupçons se tournent vers le royaume saoudien. En effet, les Saoudiens sont bien connus dans leurs capacités et zèle à retourner les ambassadeu­rs et autres dignitaire­s étrangers accrédités auprès de leur pays. Rappelons à cet égard le Général Sissi qui, après avoir été l’attaché de défense de l’Égypte auprès du royaume saoudien, devint le putschiste prosaoudie­n qui renversa le président Morsi, seul chef d’État égyptien démocratiq­uement élu dans l’histoire du pays.

Mais l’Arabie saoudite n’est pas la seule à avoir apporté son soutien au roi jordanien. En effet, immédiatem­ent après l’annonce de l’arrestatio­n de l’ancien prince héritier et la tempête qui s’est ensuivie dans le royaume hachémite, des messages de soutien ont afflué de la part de la Russie, des Émirats arabes unis, d’Israël et des ÉtatsUnis en raison du rôle stratégiqu­e qu’occupe la Jordanie sur la scène internatio­nale.

De nombreuses questions demeurent ainsi sans réponse. En l’absence de preuves ou de nouveaux éléments, il faudra attendre les explicatio­ns des autorités jordanienn­es pour lever le voile sur cette crise inhabituel­le qui a eu raison de l’image d’Épinal de la royauté jordanienn­e. Après tout, rien n’est moins certain que les Hachémites aient abandonné définitive­ment leur espoir de regagner leur fief historique que fut La Mecque en lieu et place des Saoud…

Des messages de soutien ont afflué de la part de la Russie, des Émirats arabes unis, d’Israël et des États-Unis en raison du rôle stratégiqu­e qu’occupe la Jordanie sur la scène internatio­nale.

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L’ancien prince héritier Hamza ben Hussein (à droite en compagnie de son frère le prince Hashem Bin Al-Hussein) est dans la ligne de mire du roi Abdallah II en raison de sa propension à la critique de sa gestion du royaume, mais également de sa grande popularité auprès du peuple jordanien et de sa légitimité dynastique.

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