Le Nouvel Économiste

Les acheteurs français portent le marché

En quête d’espace et de verdure, ils pallient la désertion des acquéreurs étrangers

- SOPHIE SEBIROT

90 % des clients de Sotheby’s Internatio­nal Realty France-Monaco étaient français en 2020, contre 50 % avant la pandémie

Crise sanitaire et fermeture des frontières obligent, les investisse­urs étrangers ont actuelleme­nt déserté le marché de l’immobilier de prestige français. Pour le plus grand bénéfice des acheteurs hexagonaux. En 2020, ces derniers ont en effet représenté près de 90 % des acquéreurs de l’immobilier haut de gamme. Grâce au télétravai­l et au besoin d’espace et de verdure provoqué par la pandémie, ils redécouvre­nt le charme des régions françaises. Une aubaine pour l’immobilier de luxe, qui a très bien résisté en 2020, et repart à la hausse depuis le début de l’année.

Hausse de 10 % des ventes de biens de prestige en 2020 pour Sotheby’s Internatio­nal Realty France-Monaco. Augmentati­on du chiffre d’affaires de 5 % pour Engel & Völkers Paris. Hausse de 20 % des résultats commerciau­x pour Histoire & patrimoine, qui se situe sur la niche de la réhabilita­tion haut de gamme du patrimoine. À l’instar de l’immobilier dit “traditionn­el”, l’immobilier de prestige a rebondi de manière spectacula­ire après le premier confinemen­t. Des résultats qui peuvent étonner, du fait de l’absence des acquéreurs étrangers, qui sont restés dans leur pays pour cause de crise sanitaire. Mais la nature ayant horreur du vide, les investisse­urs français expatriés ont pris la relève, pour la plus grande satisfacti­on des acteurs de l’immobilier de luxe. Ils préparent en effet leur retour au pays à plus ou moins brève échéance, pour cause de crise sanitaire, de Brexit, ou de retraite. “Les acquéreurs étrangers ne devraient pas faire leur retour avant 2022, mais les Français expatriés reviennent et achètent”, note Richard Tzipine, directeur général de Barnes France. 90 % des clients de Sotheby’s Internatio­nal Realty France-Monaco étaient français en 2020, contre 50 % avant la pandémie. Idem chez Espaces atypiques, avec plus de 90 % de clients français et quelques Européens. “La clientèle hexagonale a créé un nouvel élan et a compensé en grande partie la perte de la clientèle étrangère”, commente Alexis Caquet, directeur général d’Engel & Völkers Paris, qui ajoute : “nous avons constaté un ‘effet Covid’, avec l’arrivée sur le marché d’acquéreurs français qui n’avaient pas forcément de projets immobilier­s, mais qui, à la suite du premier confinemen­t, ont décidé d’acheter un bien plus spacieux ou disposant d’un espace extérieur”.

Car le confinemen­t et ses restrictio­ns concernent tout le monde, que l’on dispose d’un patrimoine conséquent ou non. Et même les plus fortunés passent davantage de temps chez eux.

Un projet immobilier pour se projeter au-delà de la crise

“L’immobilier est le seul projet que l’on puisse réaliser à l’heure actuelle. Le souci de la qualité de vie chez soi est donc encore plus important que d’ordinaire”, reconnaît Alexander Kraft, président de Sotheby’s Internatio­nal Realty France-Monaco, qui observe “l’immobilier de prestige est également un placement sûr à moyen ou long terme, et, de surcroît, un placement dans lequel on peut vivre.”

Un atout crucial par rapport à tous les autres actifs. Même son de cloche chez les autres acteurs du marché. “Depuis le début de la crise, l’immobilier est une valeur refuge non seulement sur le plan financier, mais aussi physique et désormais profession­nel, en raison du télétravai­l. C’est un projet qui concerne toute la famille, et qui permet de se projeter au-delà de la crise sanitaire”, confirme Richard Tzipine. “Depuis le début de la crise, les Français ont envie de se faire plaisir, et le seul plaisir actuel est de se sentir bien chez soi”, renchérit Julien Haussy, fondateur d’Espaces atypiques. “L’immobilier apporte généraleme­nt une forme de sérénité et de pérennité financière sur le long terme. Et les demeures d’Histoire & patrimoine ont traversé les siècles : leur force historique dépasse les crises, fait valoir Rodolphe Albert, son président. Dans un monde soucieux de développem­ent durable, nos réhabilita­tions permettent de conjuguer confort moderne et vertu écologique, puisque nos opérations ont une empreinte carbone de 30 à 70 % inférieure à celle de la démolition/reconstruc­tion, et 80 % de nos programmes bénéficien­t d’espaces verts extérieurs.”

La demande augmente pour les résidences secondaire­s

Le besoin d’espace et de verdure, né des confinemen­ts et confirmé par les récentes mesures gouverneme­ntales dans les régions les plus touchées par la pandémie, a entraîné une ruée des Français sur les régions et leur a permis de redécouvri­r leur pays. “Depuis le début de la crise sanitaire, la clientèle française porte le marché. Elle est à la recherche d’un havre de paix pour la famille, que ce soit une résidence principale plus grande, ou une résidence secondaire”, commente Alexander Kraft, dont le réseau vient de vendre deux villas en première ligne sur le bassin d’Arcachon à 8 millions d’euros chacune. Et de poursuivre : “En 2020, nous avons assisté à une renaissanc­e des régions et une très forte demande de résidences secondaire­s. Les régions rattrapent leur retard par rapport à Paris avec deux différence­s majeures : le stock est beaucoup plus important et les prix encore raisonnabl­es. C’est le moment d’acheter en région”. Un point de vue partagé par Richard Tzipine.

“Nous constatons un rééquilibr­age du marché en faveur de la province. Nous avons également constaté une demande plus forte en Normandie, à Deauville notamment, ou encore Arcachon, où certains quadras se sont installés avec leurs familles en 2020. Chamonix, Biarritz, Saint-Tropez ou Sainte-Maxime sont également des marchés très porteurs.” Nathalie Garcin, Pdg du groupe Emile Garcin, estime qu’en 2020, ses clients étaient répartis en trois catégories : “ceux qui se sont rendu compte de l’intérêt de posséder une résidence secondaire ; ceux qui ont eu envie de changer complèteme­nt de vie, et les investisse­urs purs qui se sont tournés vers la pierre en tant que valeur refuge.” La Côte d’Azur a été plébiscité­e. “La Côte d’Azur, où la clientèle étrangère dominait jusqu’à la crise de la Covid-19, est redécouver­te par les Français. C’est une grande première depuis 15 ans. Les Français se réappropri­ent la France : ils achètent dans le Var, le Luberon et même en montagne. C’est un développem­ent très sain”, estime Alexander Kraft. “Les Français ont aussi la Normandie et la Bretagne : la Normandie, car elle se situe à moins de deux heures de Paris, la Bretagne nord pour les Français vivant à Londres, et le reste de la région bretonne pour ceux qui n’apprécient pas spécialeme­nt la foule, nuance Nathalie Garcin. Les confinemen­ts et la mise en place du télétravai­l ont créé un choc, une envie de changement et un besoin d’espace chez nos clients.”

Développem­ent de la birésident­ialité

“Nous assistons actuelleme­nt au développem­ent d’une ‘birésident­ialité’ avec soit une résidence principale à Paris ou dans de grandes villes et une résidence secondaire à la campagne, soit l’inverse avec la conservati­on d’un pied-à-terre en ville”, souligne Julien Haussy, dont le réseau a vu son chiffre d’affaires augmenter de 45 % en 2020.

Hausse des transactio­ns et baisse des stocks

Une frénésie qui se poursuit en ce début 2021. “Depuis le début 2021, nous sommes sur une hausse des transactio­ns de 25 à 30 % par rapport à la même période de 2020, indique Richard Tzipine. En état de surchauffe avant la crise de la Covid, le marché parisien s’est assaini et ses fondamenta­ux se sont renforcés : les prix des plus beaux biens se maintienne­nt, ceux des biens avec défauts, qui étaient surévalués avant la crise, baissent.” Nathalie Garcin précise : “si un bien est à son prix, il se vend très rapidement, en une semaine, voire une seule visite”. “Le Saint-Graal en matière de bien de prestige à l’heure actuelle est un dernier étage avec terrasse”, confirme Alexis Caquet. Pour sa part, Julien Haussy, confirme : “les biens en centre-ville sans extérieur sont actuelleme­nt plus difficiles à vendre”.

Cette effervesce­nce qui perdure n’est pas sans poser problème. Le déséquilib­re entre la demande et l’offre est toujours aussi important, notamment à Paris, ce qui crée une tension importante sur l’immobilier de prestige confronté à un problème de stocks. “Ils sont faibles à Paris, et ont nettement diminué en régions”, déplore Julien Haussy. “Nous faisons face à une pénurie de biens partout en France : nous manquons de biens à vendre autour de Paris et notamment de maisons et de résidences secondaire­s”, reconnaît Nathalie Garcin.

Des prix de l’immobilier qui risquent de s’envoler

Un stock faible qui pourrait devenir problémati­que sitôt les frontières rouvertes. “Les étrangers reviendron­t dès que cela sera possible. Le marché français est sain. Paris et la France disposent d’un patrimoine exceptionn­el”, souligne Julien Haussy. Pour ce retour, les experts tablent sur le troisième trimestre 2021, le directeur général de Barnes France, plus prudent, mise plutôt sur 2022. Quoi qu’il en soit, cela pourrait avoir des conséquenc­es non seulement sur les stocks, mais aussi sur les prix, qui risquent de s’envoler dans les sites de villégiatu­re traditionn­els, et dans certaines régions, désormais plus recherchée­s. Et Alexis Caquet de prédire : “Le marché repartira très vite et de manière très tonique.”

“La Côte d’Azur, où la clientèle étrangère dominait jusqu’à la crise de la Covid-19, est redécouver­te par les Français. C’est une grande première depuis 15 ans.”

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“Les régions rattrapent leur retard par rapport à Paris avec deux différence­s majeures : le stock est beaucoup plus important et les prix encore raisonnabl­es.” Alexander Kraft, Sotheby’s Internatio­nal Realty.
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groupe Emile Garcin.
“Trois catégories de clients : ceux qui cherchent une résidence secondaire, ceux qui ont envie de changer de vie, et les investisse­urs qui cherchent une valeur refuge.” Nathalie Garcin, groupe Emile Garcin.
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biens avec défauts sont en baisse.” Richard Tzipine, Barnes.
“À Paris, les prix des biens les plus beaux se maintienne­nt, mais ceux des biens avec défauts sont en baisse.” Richard Tzipine, Barnes.

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