Le Nouvel Économiste

LE NOUVEL ÂGE D’OR DU MONDE DU TRAVAIL

La reprise de l’emploi, l’évolution des politiques, les changement­s technologi­ques poussent à l’optimisme

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Dans l’imaginaire populaire, les quatre dernières décennies ont été merveilleu­ses pour les propriétai­res du capital et misérables pour les travailleu­rs. Les travailleu­rs du monde riche ont subi la mondialisa­tion, des changement­s technologi­ques incessants, des salaires plus inégaux et des reprises timides après les récessions. Les investisse­urs et les entreprise­s ont profité de l’expansion des marchés mondiaux, de la libéralisa­tion des finances et de la faiblesse des impôts sur les sociétés. Même avant la crise de la Covid, cette caricature de marchés du travail en panne était erronée. Aujourd’hui, alors que l’économie émerge de la pandémie, un renverseme­nt de la primauté du capital sur le travail s’annonce – et il se produira plus tôt que vous ne le pensez.

La reprise des embauches

Appelez cela, si vous voulez, Zoom pour chirurgien­s : au lieu de mener une réunion de bureau par vidéo, ils insèrent un scalpel dans un cerveau. Ou comme le dit Nadine Hachach-Haram, chirurgien­ne plasticien­ne au sein du NHS britanniqu­e et fondatrice de Proximie, la plateforme que j’ai observée : “L’idée est de réunir des travailleu­rs de la santé virtuels – nous numérisons la salle d’opération

La plupart des chirurgien­s d’Occident avaient été formatés pour croire qu’une chirurgie “correcte” impliquait la proximité du patient. L’obstacle “était une question culturelle autant qu’une question de technologi­e”.

et la mettons à la portée des gens dans le monde entier”. Bienvenue dans une autre histoire inattendue découlant de la Covid-19. Nadine HachachHar­am, 39 ans, a d’abord évoqué l’idée de faire de la chirurgie virtuelle il y a une dizaine d’années lorsque, comme de nombreux médecins occidentau­x, elle a fait du bénévolat médical dans des régions du monde déchirées par la guerre et a été frustrée par le manque d’accès aux chirurgien­s sur place.

La fin des barrières culturelle­s

Mais pendant les blocages de la Covid-19, les déplacemen­ts étant limités, les médecins n’ont pas pu travailler dans d’autres pays ou partager leur expertise avec leurs collègues en face à face. En conséquenc­e, une partie de la résistance culturelle des chirurgien­s à l’égard de la télémédeci­ne a commencé à se dissiper. En 2020, le nombre d’utilisateu­rs et de procédures sur la plateforme de Proximie a été multiplié respective­ment par neuf et par cinq. À ce jour, 9 200 procédures dans 270 hôpitaux du monde entier ont été réalisées sur celle-ci. Les deux tiers d’entre eux se trouvent en Occident et Nadine HachachHar­am affirme qu’au RoyaumeUni, Proximie est désormais utilisée dans un cinquième des services du NHS – une grande partie de cet engouement est récente.

Cela reflète une tendance plus large qui a profité à de nombreuses start-up de télémédeci­ne. “La Covid-19 a entraîné une augmentati­on rapide de l’utilisatio­n des soins de santé virtuels”, indique un rapport récent du cabinet de conseil McKinsey, qui note que les consultati­ons de télémédeci­ne ont été “multipliée­s par 25 entre février et avril 2020 aux États-Unis, une tendance que l’on retrouve en Chine et en Europe occidental­e”.

McKinsey prévoit que ce niveau de croissance diminuera lorsque les confinemen­ts prendront fin, mais affirme que la télémédeci­ne “devrait se stabiliser à des niveaux supérieurs à ceux d’avant la pandémie et continuer à croître”. Pour le dire autrement, maintenant que la résistance culturelle à la médecine virtuelle a été brisée, il est peu probable que nous oubliions cette leçon. La “chirurgie zoom” restera probableme­nt une caractéris­tique de la médecine moderne.

Télémédeci­ne et l’innovation inverse

C’est un exemple frappant de la façon dont le concept de “normalité” peut évoluer de manière inattendue. Toutefois, cette histoire comporte un rebondisse­ment qui donne à réfléchir : la télémédeci­ne est également un exemple d’“innovation inverse”, c’est-à-dire le concept consistant à introduire dans le monde occidental des idées intelligen­tes conçues pour ou provenant du monde non occidental (au lieu de toujours supposer que l’innovation se produit dans l’autre sens). L’élément déclencheu­r qui a poussé Hachach-Haram à lancer Proximie a été de constater le besoin d’une meilleure chirurgie dans les régions les plus pauvres du monde (y compris au Liban, d’où sa famille est originaire). Les médecins de ces pays ont adopté ses projets pilotes parce qu’ils étaient avides d’aide et que, contrairem­ent à ce qui se passe en Occident, les infrastruc­tures médicales traditionn­elles étaient moins développée­s. Après avoir été développé là-bas, le concept a été ramené ici.

Bientôt l’éducation, et tout le reste

Ce n’est peut-être qu’un heureux hasard. Ou peut-être pas : un schéma similaire s’est également produit dans des sous-domaines financiers. En 2007, une société de télécommun­ications kenyane a lancé M-Pesa, un système de paiement mobile, pour pallier le manque d’infrastruc­tures bancaires en Afrique. Le concept a été adopté au Kenya, s’est heurté à une résistance culturelle en Occident, mais a fini par être adopté par la suite.

Ce type de “saut” pourrait-il se produire plus fréquemmen­t ? Noor Sweid, qui dirige le fonds d’investisse­ment Global Ventures à Dubaï (qui a investi dans Proximie), le pense. Elle prédit que l’éducation pourrait bientôt devenir un autre domaine d’innovation inverse. Et les investisse­urs en capital-risque, riches en argent, parcourent le monde à la recherche de nouvelles idées. “Aujourd’hui, tous les gestionnai­res [d’investisse­ments] sont à la recherche de cette courbe d’innovation”, déclare Peter Kraus d’Aperture Investors, un gestionnai­re d’investisse­ments basé à New York. “Ils sont à la recherche de nouvelles idées ou de moyens de prendre une idée dans un domaine et de l’appliquer ailleurs. Les marchés en développem­ent peuvent parfois devancer l’Occident parce qu’il y a moins de résistance à l’adoption du numérique.”

Pour le dire autrement, lorsque les historiens se pencheront sur l’ère Covid-19, ils ne concluront peut-être pas seulement qu’elle a changé notre façon de travailler, mais qu’elle a aussi accéléré la circulatio­n des compétence­s, des idées et de l’argent. Ces vidéos sanglantes de “chirurgie zoom” ne sont qu’un petit symbole d’un nouveau type de mondialisa­tion.

“Les marchés en développem­ent peuvent parfois devancer l’Occident parce qu’il y a moins de résistance à l’adoption du numérique”

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