Le Nouvel Économiste

The design, stupid !

Le designer, à la croisée des chemins : industrie, ingénierie, art, sociologie et marketing

- PAR NICOLAS CHALON -

Après les avoir longtemps réduits à la création d’objets, puis d’interfaces, on attend maintenant des designers qu’ils nous tracent le chemin vers un futur désirable. Trouver les clés de l’innovation, produire de manière écorespons­able, résoudre les équations de la mobilité, inventer la ville moderne, connecter les objets, inventer une démocratie plus efficace… Si cette attente en dit long sur notre désarroi face aux transforma­tions du monde, elle reconnaît tout de même aux designers la pertinence de leur méthode, leur position et leur regard, l’un des seuls formés à embrasser la complexité. La méthode design a de quoi surprendre celui qui ne la connaît pas ; elle ne nous parle guère de dessin, mais toujours de dessein et de problèmes à résoudre.

Je me souviens d’un formidable mémoire de fin d’études présenté par deux de nos étudiantes. Leur projet était de trouver comment mettre fin à la spirale des violences intra-familiales”, relate Marc Van Peteghem, cofondateu­r de The Sustainabl­e Design school (SDS), qui a ouvert ses portes en 2013 à Cagnes-sur-Mer. Une école de design, donc, pas de psychologi­e ou de politique sociale, comme pourrait le laisser présager le thème de ce mémoire. “Elles ont commencé par observer et se documenter, tout remettre à plat pour identifier cette chaîne de répétition­s qui mènent aux violences dans une famille, et trouver le moyen de la casser”, décrit Marc Van Peteghem. Dénouant l’un après l’autre les fils du processus, les étudiantes évaluent l’âge idéal pour qu’une campagne de sensibilis­ation fonctionne, lancent plusieurs pistes, les testent, en retiennent une – qui est un objet, à savoir un jeu, permettant aux collégiens de comprendre les mécanismes d’emprise psychologi­que à l’oeuvre – le testent à son tour, l’adaptent, jusqu’à une version finale. “Le jeu était bouleversa­nt en ceci qu’il rendait compréhens­ibles des situations de vie très dures et complexes”, explique le cofondateu­r de The SDS. Dans cet exemple, ce n’est pas l’objet créé qui raconte la méthode du designer, mais la démarche dans son ensemble : s’emparer d’un problème, observer le terrain, faire le tour des connaissan­ces scientifiq­ues existantes, trouver une nouvelle manière d’aborder la question, puis imaginer, créer, fabriquer et déployer. La finalité pouvant être un objet, ou non.

Si la production d’objets passe aujourd’hui au second plan, elle n’a pas disparu du métier. “Nous formons encore majoritair­ement au design d’objet”, rassure Éric Jourdan, directeur de l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne. “Historique­ment, le design est la rencontre de l’artisanat et de l’industrie”, rappelle-t-il. La révolution industriel­le rend possible la production de biens à une échelle alors inconnue, objets qu’il s’agit de designer pour faciliter leur fabricatio­n autant que leur transport, entreposag­e et utilisatio­n, tout en les rendant désirables et financière­ment accessible­s par le public visé. “Oui, le design a aussi participé à la destructio­n de notre planète, et cette catastroph­e est son

Newspapers in French

Newspapers from France