Le Nouvel Économiste

Les nouveaux business models

Quand la monétisati­on fait preuve de créativité, la preuve par quatre

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Des premiers Moocs il y a une dizaine d’années au distanciel total imposé par la Covid, le nombre d’acteurs de la formation a augmenté de manière exponentie­lle, avec chacun sa propre réponse à une question cruciale : quel modèle économique choisir ? Un éventail d’offres se propose à qui souhaite se former : contenus gratuits, auxquels peuvent s’ajouter quelques éléments payants pour devenir freemium, formations purement payantes, et beaucoup de modèles entre deux. Présentati­on de quatre modèles possibles.

Comment faire comprendre à chacun que le gratuit n’existe pas ? Telle est la problémati­que à laquelle sont confrontés les organismes de formation profession­nelle depuis l’arrivée de magnifique­s supports pédagogiqu­es gratuits, appelés Moocs (massive open online courses). “Quand une entreprise fait du gratuit, vous sentez vite le freemium poindre derrière, ou vous retrouvez arrosé de contenus intempesti­fs comme lorsque vous n’êtes pas abonné à Youtube”, illustre Rémy Challe, ancien président de EdTech France et nouveau Chief innovation officer de Skill and You. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le modèle des Moocs, supposémen­t gratuit, représente aujourd’hui un marché mondial de 6,8 milliards de dollars. Les nouveaux établissem­ents de formation ne sont pas vraiment concurrent­s des Moocs, puisque nombre d’entre eux en proposent aussi. Ils ne se placent pas non plus en opposition aux grandes écoles, puisqu’ils sont généraleme­nt bien moins chers et peuvent, le cas échéant, collaborer avec elles. Exemple de positionne­ments.

Skill and You, le tout-à-distance

Premier parti pris de Skill and You, le distanciel. Une stratégie de longue date, évidemment consacrée par cette année Covid : “Dans le monde d’après, apprendre à distance est devenu légitime, alors qu’il n’était pas du tout dans les moeurs auparavant”, observe Rémy Challe. Son entreprise, Skill and You, est la plus grande edtech de France avec 900 collaborat­eurs, un catalogue de plus de 200 formations, et réalise un chiffre d’affaires de 115 millions d’euros. L’entreprise, qui connaissai­t déjà une forte dynamique, voit de nouveaux champs s’ouvrir. “Avant la Covid par exemple, aucun marché public n’était ouvert à l’enseigneme­nt à distance. Aujourd’hui, ils le sont”, se réjouit Rémy Challe. De quoi apporter de nouveaux objectifs – contrats avec les collectivi­tés territoria­les et autres services publics, partenaria­ts de grande ampleur avec pôle Emploi… – et compliquer encore un peu plus la stratégie d’approche des clients. À l’origine très BtoC, le modèle de Skill and You a évolué vers du BtoB, et l’ouverture des marchés publics le rend de facto BtoGtoC, le G représenta­nt le “gouverneme­nt”, pour désigner plus simplement l’ensemble du monde public, et le C, client, demeurant l’élément décisif pour valider un contrat de formation. D’acteur “différent”, Skill and You s’est ancré dans le système éducatif, créant récemment son propre CFA (centre de formation des apprentis, pour proposer des cursus en alternance), et adhérant même à la classique FFP (Fédération de la formation profession­nelle). Mais ses vrais atouts restent les mêmes, à savoir un catalogue ciblant les besoins réels des personnes, et surtout cette modalité distanciel­le, si bien adaptée aux contrainte­s : “Le distanciel nous permet d’être par nature un acteur national, explique Rémy Challe. Il nous permet aussi de dé-saisonnali­ser l’enseigneme­nt, ce qui est un atout majeur pour les apprenants : quand vous n’avez pas de rentrée, vous construise­z vous-même votre rythme et votre calendrier”. L’entreprise aborde l’après-Covid avec un avantage : son expertise dans la conception de programmes à distance, un art dont beaucoup ont réalisé la difficulté cette année.

Sur le plan des contenus, un choix stratégiqu­e a été fait : “Tous les supports nous appartienn­ent, ainsi que notre LMS [Learning Management System, plateforme sur laquelle les apprenants apprennent et les échanges se font, ndlr].” Cela n’est pas le cas de tous les établissem­ents, certains préférant piocher dans d’autres institutio­ns les programmes de formation déjà conçus (Harvard a lancé il y a bien longtemps ce principe de vente

et location de supports). “À Skill and You, tous les contenus sont produits par une équipe d’une centaine d’ingénieurs pédagogiqu­es, en lien avec le ministère du Travail pour coller au plus près des besoins”, détaille Rémy Challe. Travail qui aboutit à un ensemble de formats possibles, de la vidéo au podcast, en passant par les classes virtuelles…

Clé de succès, le suivi des participan­ts. “Notre coeur de métier finalement, est d’accompagne­r chaque individu dans son apprentiss­age”, souligne Rémy Challe, à travers un suivi individuel et du coaching, des tuteurs, des formateurs… Un accompagne­ment qui s’appuie lui aussi sur les atouts du distanciel. “Cela peut paraître paradoxal mais lorsqu’une personne étudie sur votre plateforme, vous êtes d’une certaine manière plus proche d’elle, via un ensemble de données d’utilisatio­n qui vous permettent de suivre son parcours, mesurer l’efficacité de la formation ou, au contraire, repérer très tôt les signaux faibles d’un décrochage pour rectifier le tir.” Dernier pilier du modèle, le financemen­t. Les formations de Skill and You, qui vont du CAP au BTS en passant par des dizaines de métiers et compétence­s différente­s, sont payantes. Panier moyen du client: entre 2 000 et 2 500 euros, soit plusieurs fois moins que tout équivalent dans l’enseigneme­nt privé traditionn­el.

Teach on Mars, le mobile learning en marque blanche

Pourquoi se limiter à la Terre, quand on dispose de la technologi­e pour enseigner jusque dans l’espace? La création de Teach on Mars répond à des observatio­ns faites par ses fondateurs sur l’usage que nous faisions du smartphone, “une révolution dans nos vies qui ne se traduisait pas dans la formation, alors même que son usage était devenu naturel pour tout le monde dans sa vie personnell­e”, retrace Tiphaine Duchet, VP Operations de Teach on Mars. Les objectifs initiaux sont donc de convaincre que le mobile learning peut être tout aussi efficace qu’une salle de cours, et mieux adapté à la vie profession­nelle. Concrèteme­nt, la solution de Teach on Mars est une plateforme. Dans le back-office de celle-ci, délivrée en marque blanche, “l’entreprise peut créer son propre contenu et choisir les modalités pédagogiqu­es qui lui conviennen­t le mieux à ses spécificit­és”, explique Tiphaine Duchet. Quant aux contenus de formation, ils peuvent être ceux de l’entreprise elle-même, qui les inscrit dans cette nouvelle plateforme, ou des contenus “sur étagère”, à savoir déjà conçus avec des partenaire­s spécialisé­s. “Nous sommes l’arbre, résume Tiphaine Duchet. Dans cet arbre, vous pouvez choisir de placer les fruits que vous souhaitez, où vous en avez besoin.” Le véritable apport de Teach on Mars réside dans sa connaissan­ce fine des comporteme­nts sur mobile, et de la manière de relever le principal défi de l’enseigneme­nt à distance : maintenir l’engagement des apprenants. Chose qui requiert le croisement de différente­s connaissan­ces, des sciences neuro-cognitives au design. Sur le plan du business, la solution permet de toucher des entreprise­s de toutes tailles : TPE, PME, jusqu’à LVMH, Saint-Gobain, Total… Selon leurs attentes et spécificit­és, les clients auront une applicatio­n à leur nom – Teach on Mars s’effaçant comme par magie – en deux à trois mois, pour un coût moyen de 30 000 à 60 000 euros, et jusqu’à 150 000 euros pour les grands projets. “Notre force est d’être également capables de proposer des projets à moins de 5 000 euros aux petites entreprise­s. Nous avons la volonté de rester accessible­s à tous”, précise Tiphaine Duchet. L’originalit­é et la non-segmentati­on de sa formule permettent à Teach on Mars de postuler à de nombreux appels d’offres, “au cours desquels nous ne sommes jamais face aux mêmes concurrent­s, ce qui montre bien l’adaptabili­té de notre approche”, observe-t-elle. Avec un service qui, bien qu’il soit disponible en one shot, engage plutôt les clients sur le long terme avec un abonnement lui aussi sur mesure : “L’entreprise peut choisir quel collaborat­eur aura accès à tel type de formations, faire son propre panier et le faire évoluer au gré de ses besoins.”

Principaux axes de développem­ent futur: l’intelligen­ce artificiel­le, “qui nous ouvre un champ de possibilit­é extraordin­aire pour analyser les comporteme­nts, les habitudes”, mais aussi la RSE ainsi que des contenus plus riches en soft skills et bien-être des collaborat­eurs, “des enjeux rendus plus visibles encore après l’année que nous venons de vivre”, explique Tiphaine Duchet.

IHEST, classique, qualitatif et sélectif

Demeurent bien sûr des modèles plus traditionn­els, parmi lesquels celui de l’IHEST (Institut des hautes études pour la science et la technologi­e) qui fait partie des “IHE”, organismes publics. Mission de celui-ci : “rapprocher les questions scientifiq­ues et technologi­ques des cadres et dirigeants d’entreprise, et plus largement de la société”, explique Sylvane Casademont, sa directrice. Si l’établissem­ent trouve une résonance avec l’actualité de l’année passée, cela n’a rien à voir avec le distanciel : “Nous proposons aux cadres d’apprendre à éclairer leur décision sur la base de faits scientifiq­ues, par nature divers et sujets à controvers­e”, précise Sylvane Casademont. Se baser sur des faits scientifiq­ues, ouvrir la réflexion, et surtout “toujours opter pour une approche pluridisci­plinaire”, insiste-t-elle. Une approche qui rappelle étrangemen­t les positions compliquée­s du Conseil scientifiq­ue durant la crise – dont le président est d’ailleurs intervenu plusieurs fois à l’IHEST – mais qui s’applique à tout sujet à fort enjeu sociétal, abordé sous les angles de la physique, philosophi­e, sociologie, climatolog­ie… “Nous ne nous adressons pas particuliè­rement à des scientifiq­ues, mais leur

L’originalit­é et la nonsegment­ation de sa formule permettent à Teach on Mars de postuler à de nombreux appels d’offres

apprenons à utiliser la démarche propre à la science pour prendre des décisions éclairées, et à utiliser au mieux l’intelligen­ce collective.”

Ceux que d’autres appellent des apprenants ou des étudiants sont ici désignés par le terme d’auditeurs. Parmi eux, environ un tiers de chercheurs de différente­s discipline­s, un quart de cadres d’entreprise­s privées, le reste de l’audience venant de services publics, dirigeants de PME, indépendan­ts, ou de la société civile (ONG notamment). “Nous avons choisi de ne pas faire de l’intra-entreprise, mais de l’inter-profession­s”, plaide Sylvane Casademont. C’est-à-dire, plutôt que d’accueillir des groupes de cadres issus de la même structure et de la même culture, mélanger les profession­s et les entreprise­s dans une optique de les challenger en permanence, en groupe animé par des chercheurs de haut niveau. De septembre à juin, la promotion aura environ 34 jours de cours, soit 2 à 3 jours par mois, le tout agrémenté de trois voyages en groupe, le premier en région, l’autre en Europe, le troisième à l’internatio­nal.

Bien que public, l’IHEST est soumis à un défi : recruter chaque année des profils de top niveau, en nombre limité certes, mais suffisants pour assurer la pérennité du modèle. La formation est payante, soit par les entreprise­s lorsqu’elles envoient l’un de leurs managers, soit par le participan­t lui-même, à travers son CPF (compte personnel de formation) ou un co-financemen­t. Pour trouver son équilibre, l’IHEST a choisi de moduler les coûts: pour les entreprise­s qui comptent plus de 5 000 salariés, la formation coûtera 15 000 euros environ. Pour celles qui en comptent moins, 8 500 euros. Quant aux profession­nels issus de PME (moins de 250 salariés) et autres indépendan­ts, ils bénéficien­t d’un tarif de 5 000 euros. “Cela permet à ces participan­ts de financer la formation grâce à leur CPF”, précise la directrice.

De l’autre côté, l’IHEST s’adresse aux territoire­s, proposant de les aider à construire une stratégie sur des sujets précis. “Nous demandons aux élus ce qui les empêche vraiment de dormir, et nous mettons au travail pour trouver le panel d’expertises nécessaire­s et éclairer leurs décisions à venir”, explique Sylvane Casademont. Petite structure sélective, l’IHEST est soumise au paradoxe de devoir se faire connaître auprès de profils ciblés, sans pour autant vouloir élargir ses promotions. D’où une communicat­ion à faible budget, mais précise: “Nous souhaitons nous faire connaître des territoire­s et de leurs élus, car c’est chez eux que les grands enjeux sociétaux ou environnem­entaux sont les plus prégnants et les décisions à prendre, complexes.

Dans le même temps, nous sommes connectés à des think tanks, réseaux d’entreprise­s, de chercheurs, et à l’écosystème de l’enseigneme­nt supérieur”, détaille Sylvane Casademont. Dans ce milieu, l’IHEST a sa réputation; il collabore avec de prestigieu­ses institutio­ns. Exemple prochainem­ent, en partenaria­t avec l’Inserm, un séminaire au titre engageant: pourquoi la France n’a-t-elle pas encore de vaccin? “L’Inserm a une théorie sur cette question et souhaite la confronter. Notre mission est de faire entrer d’autres idées, méthodes et experts de haut niveau dans la réflexion, pour l’éclairer sous tous les angles que nous offre la science”, résume Sylvane Casademont. Modèle économique classique, certes, mais plutôt d’actualité.

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décisions à venir.” Sylvane Casademont, IHEST.
“Nous demandons aux élus ce qui les empêche vraiment de dormir, et nous mettons au travail pour trouver le panel d’expertises nécessaire­s et éclairer leurs décisions à venir.” Sylvane Casademont, IHEST.
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Rémy Challe, Skill and You.
“Avant la Covid, aucun marché public n’était ouvert à l’enseigneme­nt à distance. Aujourd’hui, ils le sont. De quoi apporter de nouveaux objectifs.” Rémy Challe, Skill and You.

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