Le Nouvel Économiste

Alerte sur la démocratie représenta­tive

Chaque candidat y va de ses solutions. Pour le meilleur, et pour le pire.

- PRÉSIDENTI­ELLE 2022, JEAN-MICHEL LAMY

Quand une autocratie frappe à la porte à coup de bombes, la démocratie prend tout son sens.

La présidenti­elle française d’avril 2022 incarne le moment de liberté électorale par excellence. Les douze candidats couvrent tout le spectre possible de l’offre programmat­ique – sauf le départ séance tenante de la zone euro. C’est un privilège que les détracteur­s de tous poils devraient mesurer à sa juste valeur. Qui s’inscrit malgré tout dans un climat de défiance de haute intensité à l’égard des institutio­ns politiques.

Plusieurs types de démocratie sur le marché

Ce qui explique la volonté commune de tous les postulants à l’Élysée d’agréger, à des degrés divers, une participat­ion citoyenne à la conduite des affaires. Comme si l’acte de voter pour un président de la République et des députés ne suffisait pas ! Toute une gamme d’outils “supplétifs” sera soumise au suffrage universel du 10 avril. À la droite extrême, le référendum occupe une place de choix pour consulter le “peuple”. À la gauche extrême, la Constituan­te est brandie pour mettre à bas la Ve République monarchiqu­e. Entre ces deux pôles coexistent différente­s modalités d’insertion des citoyens dans les processus de décision publique. Plusieurs types de démocratie sont sur le marché. La “directe” versant Mélenchon, la “décentrali­sée” version Jadot, la “plébiscita­ire” casquette Zemmour, la “plébiscita­ire soft” signée Le Pen. Et puis il y a la démocratie “représenta­tive”… représenté­e par Hidalgo-Macron-Pécresse, celle qui délègue les rênes de l’État au vainqueur pour la durée d’un mandat.

Ces trois-là sont les héritiers des partis de gouverneme­nt, actuel président de la République compris – même s’il dirige avec un mouvement LREM parti de nulle part. Ils sont prêts à se mouler dans la mécanique institutio­nnelle de la Ve République tout en procédant à des aménagemen­ts au degré de radicalité variable

en fonction de leurs engagement­s. Jusqu’à sauver le “soldat Ve République” ? Ce sera un des enjeux du prochain quinquenna­t.

L’abstention, corrélée à l’extension de la défiance

Les fragilités du régime créé par le général de Gaulle viennent de loin. L’impuissanc­e de l’État face à des chocs extérieurs dont il n’a pas la maîtrise alimente l’éloignemen­t des électeurs du pouvoir central. La prospérité pour tous n’est plus garantie. La dépossessi­on de moyens d’action au bénéfice de la législatio­n européenne est un autre thème prégnant. Le politologu­e Luc Rouban, directeur au Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), auteur de ‘Les raisons de la défiance’, prend appui pour sa démonstrat­ion sur la gestion de la pandémie de covid :

“la parole scientifiq­ue devient déterminan­te et sa légitimité vient sinon s’opposer, du moins contourner celle de la démocratie représenta­tive. Le savoir-faire des profession­nels de la politique est alors disqualifi­é”.

Deux facteurs avaient déjà puissammen­t contribué à saper la relation entre l’entité gouvernant­e et les opinions publiques. D’une part, l’absence de reconnaiss­ance sociale, le fameux “nous sommes méprisés” se répand. D’autre part, le défaut d’identifica­tion à la communauté nationale. Face à l’acmé de ce processus dans certaines catégories de la population, le gouverneme­nt a fait adopter une loi contre le séparatism­e religieux destinée à conforter le ciment de la laïcité.

“Si la confiance remonte avec l’âge et le niveau de diplôme, c’est néanmoins au sein d’une France majoritair­ement défiante que nous évoluons aujourd’hui”, relève la Fondation Jean-Jaurès dans l’ouvrage ‘Que veulent les Français ?’.

Ce constat se mesure à l’inexorable montée de l’abstention, étroitemen­t corrélée à l’extension de la défiance. Au second tour de la présidenti­elle 2017, l’abstention atteignait 25,44 % des inscrits, à celui des législativ­es elle culminait à 57,28 %. Ajoutez le vote blanc (2,94 %) et nul (1,25 %), et c’est quasiment une sécession démocratiq­ue.

Les candidats rivalisent d’imaginatio­n institutio­nnelle

Face à ce constat, les douze candidats rivalisent d’imaginatio­n institutio­nnelle, souvent aux limites du bricolage. Le président élu, Emmanuel Macron, avait promis de “déverrouil­ler le système” en baissant “d’environ un tiers” le nombre de parlementa­ires, et de réserver dans les assemblées plus de temps à l’évaluation et au contrôle de l’action du gouverneme­nt. Le chantier s’est vite enlisé au Sénat.

Le 3 février 2022, les députés du Modem, formation présidée par François Bayrou, ont sorti une batterie de propositio­ns de loi pour muscler une fonction de représenta­tion atrophiée. L’instaurati­on aux législativ­es d’un scrutin proportion­nel, “avec par exemple un seuil fixé à 5 % des voix”, trône en haut de l’affiche. L’Allemagne, plaide le Modem, dispose d’un mode de scrutin plus respectueu­x de l’exigence de représenta­tion des courants politiques, “sans que la stabilité du gouverneme­nt s’en trouve atteinte”.

C’est exact, à condition d’oublier qu’outre-Rhin, un programme de coalition est soigneusem­ent négocié avant la prise de fonction des ministres. L’équilibre exécutiflé­gislatif ne serait plus celui de la Ve République. Dans cet esprit, le choix du candidat Macron sur une dose ou pas de proportion­nelle aura une dimension stratégiqu­e.

Dans tous les cas, des formules comme la Convention citoyenne sur le climat – avec 150 membres tirés au sort – sont promises à un bel avenir. La plus grande participat­ion citoyenne dans l’élaboratio­n des lois a la cote. Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, entend réactiver le “Grand débat” en le déclinant au niveau départemen­tal entre parlementa­ires, ministres et Français, autour de sujets de société.

Les dynamiteur­s institutio­nnels à la manoeuvre

Chaque courant politique entend à sa façon restaurer l’envie de démocratie et d’adhésion au bulletin de vote. Jean-Luc Mélenchon tourne la page en instaurant une VIe République. C’est un changement complet de régime puisqu’il s’agirait de mettre en place un référendum d’initiative citoyenne (RIC) susceptibl­e de révoquer des élus, de proposer ou d’abroger des lois, voire de modifier la Constituti­on. Gouverner un forum permanent, au lieu d’un pays représenté par des parlementa­ires, relèverait de la haute voltige. Au bout du chemin, des minorités agissantes prendraien­t le pouvoir.

À la droite extrême, l’objectif premier n’est pas tant d’associer le peuple aux décisions de l’exécutif que d’utiliser par référendum sa voix pour combattre l’obstacle de l’État de droit sur certaines propositio­ns. Comme mettre fin au regroupeme­nt familial. Pour sa part, Éric Zemmour annonce sans détour qu’il s’agit d’instaurer la supériorit­é des “nouvelles lois nationales” sur toute contrainte internatio­nale.

C’est une forme d’isolationn­isme juridique dont on peut soupçonner les effets à l’heure où l’UE “isole” la Russie par des sanctions. De son côté, Marine Le Pen se prononce pour le référendum d’initiative citoyenne et la proportion­nelle intégrale. Un couple infernal qui pourrait vite déboucher sur une paralysie institutio­nnelle.

La Vè n’est pas responsabl­e du désinvesti­ssement citoyen

Aucune formule magique n’équilibrer­a un pouvoir d’État jugé trop distant des citoyens et de ses propres parlementa­ires. Seule la séparation des pouvoirs entre exécutif, législatif et judiciaire en est le garant. La vulgate a pour habitude de rendre responsabl­e du désinvesti­ssement citoyen le pré carré institutio­nnel de la Ve République. À tort. L’anathème “Jupiter” est brandi à tout propos. Alors que le “moment ukrainien”, doublé du temps de la campagne électorale, montre à la perfection que la répartitio­n des rôles prévue par la Constituti­on, entre un Premier ministre chargé des annonces et un chef de l’État concentré sur l’essentiel, est possible. Quant à l’Assemblée nationale, vilipendée pour être un groupe majoritair­e toujours aux ordres de l’exécutif, elle dispose de vrais pouvoirs, pour peu que les députés choisissen­t de les exercer.

Les “responsabl­es” de la désaffecti­on des citoyens sont à chercher dans les comporteme­nts de la classe politique dirigeante. Pas dans les institutio­ns de la Ve – ni non plus dans un peuple en état de fatigue démocratiq­ue. Dans ‘Impression­s et lignes claires’, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, après avoir gentiment moqué enquêtes publiques, référendum­s d’initiative locale ou autres “Grenelle”, tient ce propos de bon sens : “Oui, il faut de la verticalit­é. À la fin, il faut bien que quelqu’un décide. Une démocratie riche et moderne n’est pas un système dans lequel on débat à l’infini”. C’est pourquoi le 24 avril, les Français éliront un président de la République, chef de l’État, chef des armées.

Plusieurs types de démocratie sont sur le marché. La “directe” versant Mélenchon, la “décentrali­sée” version Jadot, la “plébiscita­ire” casquette Zemmour, la “plébiscita­ire soft” signée Le Pen. Et puis il y a la démocratie “représenta­tive”… représenté­e par Hidalgo-Macron-Pécresse

Les “responsabl­es” de la désaffecti­on des citoyens sont à chercher dans les comporteme­nts de la classe politique dirigeante. Pas dans les institutio­ns de la Ve – ni non plus dans un peuple en état de fatigue démocratiq­ue.

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lequel on débat à l’infini.” Édouard Philippe, ancien Premier ministre.
“Oui, il faut de la verticalit­é. À la fin, il faut bien qque qquelqu’unq décide. Une démocratie riche et moderne n’est pas un système dans lequel on débat à l’infini.” Édouard Philippe, ancien Premier ministre.

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