Le Nouvel Économiste

Peter Thiel, un anti-conformist­e en politique

Comment l’investisse­ur à succès de la Tech américaine veut réveiller le parti républicai­n

- “S’il engrange quelques

Peter Thiel, l’un des investisse­ursentrepr­eneurs les plus prospères de la Silicon Valley au cours des deux dernières décennies, a annoncé récemment qu’il se retirait après 17 ans de présence au conseil d’administra­tion de Facebook (ou Meta comme on l’appelle maintenant). Selon une personne qui le connaît, ce départ visait à donner au premier investisse­ur extérieur du réseau social plus de liberté pour étendre son influence politique, tout en protégeant Meta de tout retour de bâton.

Le soutien personnel de M. Thiel à Donald Trump en 2016 a laissé de nombreux acteurs de la Silicon Valley à tendance libérale atterrés et – avec une fortune personnell­e que Forbes estime à 2,6 milliards de dollars – a alimenté les espérances selon lesquelles il est sur le point d’émerger en tant que nouvelle force dans la politique de droite. “C’est une analyse erronée”, se plaint un allié – d’un establishm­ent qui a longtemps trouvé commode de présenter Peter Thiel comme un marionnett­iste politique. “Ils ont besoin d’une sorte de père-fouettard à droite.”

Entreprene­ur-investisse­ur libertarie­n

Pourtant, la scission de Meta semble signaler un tournant décisif. Peter Thiel a déplacé sa base à Los Angeles en 2018 après s’être lassé de ce qu’il prétendait être le déclin de l’ambition de la Silicon Valley et passe plus de temps dans ses maisons de New York, Washington et Miami.

Peter Thiel a toujours apprécié le rôle d’outsider anticonfor­miste. Né en Allemagne et élevé en Californie, il n’a pas suivi le chemin habituel vers les sommets de l’industrie technologi­que. Après avoir obtenu un

diplôme de philosophi­e, il a entamé une carrière juridique, tandis que ses activités entreprene­uriales ont été entrecoupé­es d’une période dans un hedge fund.

Il a notamment fondé PayPal (dont il était également le CEO) et Palantir, une société d’analyse de données dont le travail pour la sécurité nationale a longtemps contrarié les défenseurs des libertés civiles. En cours de route, Peter Thiel est devenu un représenta­nt volubile d’un courant de libertaris­me qui imprègne la Silicon Valley. “De zéro à un”, son manuel pour les fondateurs en herbe, dépeint ces entreprene­urs comme des héros opportunis­tes.

Les poulains politiques et la lutte contre l’establishm­ent

Blake Masters, le co-auteur de son livre et directeur de la fondation privée de Peter Thiel, se présente à la primaire républicai­ne du Sénat dans l’Arizona, soutenu par 10 millions de dollars donnés par Peter Thiel. Ce dernier a versé la même somme à J.D. Vance, auteur de ‘Hillbilly Elegy’ [roman autobiogra­phique évoquant le déclin d’une famille de la classe ouvrière blanche dans l’Ohio, ndt] et ancienneme­nt chez Mithril Capital, une société de gestion fondée par Peter Thiel, cette fois-ci pour une course au siège de sénateur dans l’Ohio. Ces contributi­ons spectacula­ires, parmi d’autres, font de lui le troisième plus gros bailleur de fonds des candidats fédéraux aux élections cette année. Selon les personnes qui ont travaillé avec lui, M. Thiel est profondéme­nt intéressé par la remise en question des idées reçues. Lors des dîners dans la maison qu’il partage avec son mari Matt Danzeisen et leur fille, “on pouvait passer trois heures et demie à débattre des choses les plus étranges”, raconte l’un d’eux. Un sujet typique : en cas d’invasion

extraterre­stre, comment trouver un terrain d’entente diplomatiq­ue ?

Fils spirituel de René Girard

Derrière tout cela se cachent des conviction­s personnell­es profondes. Peter Thiel est un chrétien convaincu, et sa vision du monde a été façonnée par le philosophe français René Girard dont il a été l’élève à l’Université de Stanford. Selon la théorie mimétique de Girard, les désirs de la plupart des gens sont copiés sur ceux des autres, une habitude qui mène finalement au conflit. Seule une véritable originalit­é – alimentée selon Peter Thiel par l’innovation technologi­que – peut porter l’humanité au-delà de ces limites destructri­ces.

“C’est un truc à la Platon/Socrate, dit un allié. Tous ceux qui sont proches de [Thiel] connaissen­t René Girard sur le bout des doigts.” Ironiqueme­nt, cela laisse entrevoir un conformism­e intellectu­el que Peter Thiel déteste. S’inspirant de René Girard, il soutient depuis longtemps que les start-up technologi­ques ont renoncé à l’innovation et préfèrent se copier les unes les autres. Et à Washington, dit une connaissan­ce, “il regarde le parti républicai­n et dit : ‘Cette institutio­n est figée dans le temps’ ”.

La question de savoir si sa fortune en espèces peut changer quelque chose reste ouverte. “¨Peter Thiel reprend là où le Tea Party [mouvement contestata­ire américain libertarie­n, ndt] s’est arrêté, en pariant sur des candidats outsiders pour secouer le parti”, explique le donateur républicai­n Dan Eberhart, directeur général de Canary, une société de forage. En fin de compte, son influence dépendra de sa “capacité à évaluer, identifier et recruter des talents capables de gagner des élections”, estime David Tamasi, un collecteur de fonds et lobbyiste républicai­n chevronné. défaites, comment les gens vont-ils considérer son sens politique ?” Jusqu’à présent, le bilan est mitigé. Peter Thiel a soutenu Kris Kobach, un candidat controvers­é anti-immigratio­n au Sénat qui a perdu un concours primaire républicai­n en 2020. Il a également été un gros bailleur de fonds de Josh Hawley, le sénateur polarisant du Missouri et partisan de Trump qui a évincé la démocrate Claire McCaskill en 2018.

Peter Thiel, avec une fortune personnell­e que Forbes estime à 2,6 milliards de dollars, a alimenté les espérances selon lesquelles il est sur le point d’émerger en tant que nouvelle force dans la politique de droite.

Course aux idées, mais pas à la cohérence

L’influence de Peter Thiel sur la pensée de droite pourrait finir par être aussi importante que son argent. Ses alliés comme ses ennemis disent que son intérêt pour les idées le distingue de la course normale des super-donateurs. Ses attaques contre Google, qu’il accuse d’avoir un comporteme­nt anticoncur­rentiel et de s’acoquiner avec la Chine, lui ont valu le soutien improbable de certains membres de la gauche. Matt Stoller, un expert antitrust, estime que Peter Thiel a contribué à faire naître une méfiance inhabituel­le à l’égard du pouvoir des entreprise­s dans les cercles républicai­ns.

Comme d’autres, cependant, Matt Stoller détecte des incohérenc­es dans la pensée de Peter Thiel. Il s’agit notamment du soutien à un rôle accru du gouverneme­nt dans des domaines tels que l’antitrust et la résistance à la Chine – des idées qui ne cadrent pas avec son désir de réduire le pouvoir de la Réserve fédérale.

Un allié rétorque toutefois que chercher une idéologie cohérente revient à se méprendre complèteme­nt sur l’homme: “Il veut simplement des gens qui ont des idées et qui sont prêts à remettre les choses en question”.

Les candidats préférés de Peter Thiel pourraient percer dans le cycle politique actuel. Mais compte tenu qu’il est âgé de 54 ans et libéré de bon nombre de ses responsabi­lités dans la Silicon Valley, il pourrait y avoir beaucoup d’autres élections à venir.

RICHARD WATERS ET LAUREN FEDOR

Ses attaques contre Google, qu’il accuse d’avoir un comporteme­nt anticoncur­rentiel et de s’acoquiner avec la Chine, lui ont valu le soutien improbable de certains membres de la gauche

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“Peter Thiel reprend là où le Tea Party s’est arrêté, en pariant sur des candidats outsiders pour secouer le parti”

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