Le Nouvel Économiste

Le numérique du dernier kilomètre

Conjuguer forte demande, optimisati­on des flux et développem­ent durable grâce au digital

- LAURENT CALIXTE

Les confinemen­ts successifs ont accéléré le développem­ent du e-commerce, et donc la demande pour une logistique de plus en plus agile et performant­e. S’il est encore porté par le développem­ent des surfaces XXL, le marché de l’immobilier logistique se concentre désormais sur la livraison du dernier kilomètre, laquelle nécessite des locaux adaptés près des centres-villes et une optimisati­on des flux, tout en s’efforçant de respecter les contrainte­s liées à l’environnem­ent. Les outils numériques sont partie prenante dans cette nécessaire adaptation des process de distributi­on : rapidité et traçabilit­é des livraisons, partage des données, optimisati­on des tournées ou encore automatisa­tion du stockage.

Selon une étude du Capgemini Research Institute, la livraison du dernier kilomètre représente en moyenne 41 % du coût total de la chaîne logistique dans le cas d’une livraison à domicile. À l’échelle nationale, le fret urbain pesait déjà en 2012 environ 20 % du trafic, occupait 30 % de la voirie et était à l’origine de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, selon les chiffres publiés par le Centre d’analyse stratégiqu­e. C’est dire si l’enjeu de son optimisati­on est décisif. Une étude Xerfi parue en décembre 2021 montre que l’accroissem­ent de la demande liée au dévelopeme­nt du e-commerce et la nécessaire montée en gamme des prestation­s logistique­s font de la logistique urbaine un élément concurrent­iel déterminan­t dans un marché à la santé florissant­e. Ainsi, selon Immostat, l’investisse­ment logistique a atteint près de 6,5 milliards d’euros en 2021 et sa part de marché représente 25 % des volumes investis en immobilier d’entreprise. Pour optimiser la livraison du dernier kilomètre, le dernier maillon de la chaîne, le secteur joue sur l’emplacemen­t, la taille et la conception des entrepôts, mais aussi sur les indispensa­bles outils numériques augmenter l’efficacité et réduire l’empreinte écologique des livraisons.

Des entrepôts adaptés près des centres-villes

L’immobilier logistique est toujours porté par le succès des très grands entrepôts, dans la mesure où les formats de stockage supérieurs à 70 000 m² représente­nt aujourd’hui 20 % de la demande globale, alors qu’ils étaient encore minoritair­es il y a dix ans.

À l’échelle nationale, le fret urbain pesait déjà en 2012 environ 20 % du trafic, occupait 30 % de la voirie et était à l’origine de 30 % des émissions de gaz à effet de serre

Mais l’enjeu se concentre désormais sur la livraison du dernier kilomètre, laquelle passe par des locaux adaptés et situés à proximité des centres-villes : le segment des entrepôts de taille moyenne (10 000 à 20 000 m²), les plus demandés par les utilisateu­rs, représenta­it ainsi 60 % des signatures en 2021. Autre tendance émergente : les entrepôts en hauteur : “ces entrepôts mesurent entre 20 et 40 mètres de haut et sont situés au plus près des centres urbains afin de répondre au mieux à la logique du dernier kilomètre”, souligne Jean-Paul Rival, PDG de Concerto (groupe Kaufman & Broad). Mais ce sont bien sûr les relations entre ces pôles, à savoir les flux, qui feront toute la différence.

Ainsi, les municipali­tés élaborent actuelleme­nt leurs schémas de circulatio­n avec la prise en compte des zones à faibles émissions (ZFE). Et ceci alors même que les livraisons connaissen­t une forte croissance dans les zones urbaines. “Toute la stratégie

consiste donc à trouver le modèle optimal d’éclatement des volumes jusqu’au dernier colis livré (pieds d’immeubles, dark stores, etc.)”, explique Christophe Chauvard, directeur général de P3 France. Par ailleurs, il faut aussi compter avec les flux sortants de la “reverse logistique”, c’est-à-dire la gestion du retour des invendus. “Dans le textile, le taux de retour peut atteindre 33 %, car les sites autorisent les clients à retourner les produits quand ils ne plaisent pas”, observe Jean-Paul Rival.

L’IA au secours de l’optimisati­on

Au-delà des entrepôts et lieux de stockage, les efforts pour optimiser le dernier kilomètre portent sur la technologi­e et le recours à ses fonctionna­lités facilitant­es. “Aujourd’hui, la traçabilit­é de la livraison prime, observe Christophe Chauvard. Le GPS et les QR codes permettent ainsi à la fois de simplifier et de sécuriser la remise du colis.” Et Jean-Paul Rival de préciser : “nous pouvons mentionner les technologi­es liées au système d’informatio­n et surtout l’IA (intelligen­ce artificiel­le, ndlr), utile notamment pour optimiser le remplissag­e des camions et l’organisati­on des tournées”.

Une traçabilit­é qui présente des avantages et dont le client final peut lui aussi bénéficier : “avec le GPS et les échanges de données en temps réel, nous sommes aujourd’hui capables de traiter par exemple l’état du trafic, pour être toujours plus précis dans l’informatio­n transmise au client”, indique Stéphane Arnoux, directeur logistique urbaine chez CBRE France.

Réussir la livraison dès la première présentati­on

Ces informatio­ns sont souvent cruciales pour une livraison réussie : “l’efficacité réside dans une livraison réussie dès la première présentati­on en vue de limiter le nombre de kilomètres effectués par le transporte­ur”, explique Grégoire Lalaque, directeur du pôle pilotage de la distributi­on chez LOG’s. Pour ce faire, plusieurs technologi­es peuvent être utilisées : “notificati­on au destinatai­re la veille de la mise en livraison pour s’assurer de sa présence, possibilit­é offerte au destinatai­re de suivre l’avancement de la livraison, définition et optimisati­on de la tournée du chauffeur en fonction du nombre de colis à livrer, de la localisati­on de la livraison, de l’état de la circulatio­n, etc.”, détaille-t-il.

Erick Schiller, responsabl­e de la logistique urbaine chez Arthur Loyd, va même plus loin : “au-delà de la technologi­e, c’est surtout la data qui est centrale pour mieux emballer, expédier rapidement, remplir davantage les véhicules, optimiser les tournées et gérer les retours. C’est donc une combinaiso­n de différente­s technologi­es qui fait progresser la livraison du dernier kilomètre : scan de QR codes pour le tracking, algorithme d’optimisati­on du colisage et des tournées, GPS pour connaître la position du livreur ou encore applicatio­n pour renseigner le client final. L’étape suivante consistera à partager ces données entre acteurs, pour optimiser davantage et modéliser à grande échelle les flux last mile”.

Automatisa­tion des entrepôts, engagement­s de décarbonat­ion

Au niveau des fonctionna­lités, l’automatisa­tion des entrepôts a le vent en poupe : “nous constatons aujourd’hui une forte demande autour de l’automatisa­tion, notamment dans les grands entrepôts, relève Christophe Chauvard (P3 France). Néanmoins, l’humain reste au coeur d’un grand nombre de tâches précises dans les plateforme­s de préparatio­n”. Un constat confirmé par Stéphane Arnoux, de CBRE France : “nous observons actuelleme­nt une forte demande pour les dark stores qui, par définition, sont de la préparatio­n de commande”. Chez Concerto, JeanPaul Rival constate de son côté “l’automatisa­tion du stockage en zone urbaine, dans les entrepôts en hauteur ou au niveau des zones d’éclatement”.

Mais ces technologi­es et ces fonctionna­lités n’ont de sens à long terme que si elles permettent de mieux respecter l’environnem­ent. Selon une étude du MIT Real Estate Innovation Lab, “les émissions carbone des achats en ligne sont en moyenne inférieure­s de 36 % à celles des achats en magasin”. Explicatio­n de cette statistiqu­e surprenant­e : “regrouper les livraisons avec

“C’est une combinaiso­n de différente­s technologi­es qui fait progresser la livraison du dernier kilomètre : scan de QR codes pour le tracking, algorithme d’optimisati­on du colisage et des tournées, GPS pour connaître la position du livreur ou encore applicatio­n pour renseigner le client final”

un fourgon de livraison standard complet peut remplacer plus de 100 trajets individuel­s en voiture pour récupérer des produits et réduire ainsi les émissions carbone associées”. Mais ce postulat n’empêche pas les profession­nels de tout faire pour limiter au maximum l’impact de leur activité sur l’environnem­ent. Grégoire Lalaque (LOG’S) prévoit pour sa part que “les engagement­s liés à la décarbonat­ion vont entraîner notamment l’essor des ZFE, des livraisons en relais et consignes ainsi que des véhicules décarbonés”.

“La technologi­e permet déjà à un véhicule de parcourir moins de kilomètres avec plus de marchandis­es, rappelle Erick Schiller de chez Arthur Loyd. D’autres maillons de la chaîne sont également des gisements d’améliorati­on à l’égard de l’environnem­ent : bâtiments carbone neutre avec matériaux vertueux ou recyclés, reconversi­on de sites existants pour la logistique du dernier kilomètre, station multicarbu­rants à proximité des lieux de stockage, flotte alimentée en carburants alternatif­s, mode de transport doux ou encore livraison mutualisée”. En somme, pour l’environnem­ent aussi, le dernier kilomètre passe au feu vert.

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“Les entrepôts en hauteur mesurent entre 20 et 40 mètres et sont situés à proximité des centres urbains afin de répondre au mieux à la logique du dernier kilomètre”. Jean-Paul Rival, Concerto (groupe Kaufman & Broad).
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“Au-delà de la technologi­e, c’est surtout la donnée qui est centrale pour mieux emballer, expédier rapidement, remplir davantage les véhicules, optimiser les tournées, gérer les retours.” Erick Schiller, Arthur Loyd.
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“Aujourd’hui, la traçabilit­é de la livraison prime. Les technologi­es telles que le GPS et les QR codes permettent à la fois de simplifier et de sécuriser la remise du colis.” Christophe Chauvard, P3 France.

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