Le numérique du dernier kilomètre
Conjuguer forte demande, optimisation des flux et développement durable grâce au digital
Les confinements successifs ont accéléré le développement du e-commerce, et donc la demande pour une logistique de plus en plus agile et performante. S’il est encore porté par le développement des surfaces XXL, le marché de l’immobilier logistique se concentre désormais sur la livraison du dernier kilomètre, laquelle nécessite des locaux adaptés près des centres-villes et une optimisation des flux, tout en s’efforçant de respecter les contraintes liées à l’environnement. Les outils numériques sont partie prenante dans cette nécessaire adaptation des process de distribution : rapidité et traçabilité des livraisons, partage des données, optimisation des tournées ou encore automatisation du stockage.
Selon une étude du Capgemini Research Institute, la livraison du dernier kilomètre représente en moyenne 41 % du coût total de la chaîne logistique dans le cas d’une livraison à domicile. À l’échelle nationale, le fret urbain pesait déjà en 2012 environ 20 % du trafic, occupait 30 % de la voirie et était à l’origine de 30 % des émissions de gaz à effet de serre, selon les chiffres publiés par le Centre d’analyse stratégique. C’est dire si l’enjeu de son optimisation est décisif. Une étude Xerfi parue en décembre 2021 montre que l’accroissement de la demande liée au dévelopement du e-commerce et la nécessaire montée en gamme des prestations logistiques font de la logistique urbaine un élément concurrentiel déterminant dans un marché à la santé florissante. Ainsi, selon Immostat, l’investissement logistique a atteint près de 6,5 milliards d’euros en 2021 et sa part de marché représente 25 % des volumes investis en immobilier d’entreprise. Pour optimiser la livraison du dernier kilomètre, le dernier maillon de la chaîne, le secteur joue sur l’emplacement, la taille et la conception des entrepôts, mais aussi sur les indispensables outils numériques augmenter l’efficacité et réduire l’empreinte écologique des livraisons.
Des entrepôts adaptés près des centres-villes
L’immobilier logistique est toujours porté par le succès des très grands entrepôts, dans la mesure où les formats de stockage supérieurs à 70 000 m² représentent aujourd’hui 20 % de la demande globale, alors qu’ils étaient encore minoritaires il y a dix ans.
À l’échelle nationale, le fret urbain pesait déjà en 2012 environ 20 % du trafic, occupait 30 % de la voirie et était à l’origine de 30 % des émissions de gaz à effet de serre
Mais l’enjeu se concentre désormais sur la livraison du dernier kilomètre, laquelle passe par des locaux adaptés et situés à proximité des centres-villes : le segment des entrepôts de taille moyenne (10 000 à 20 000 m²), les plus demandés par les utilisateurs, représentait ainsi 60 % des signatures en 2021. Autre tendance émergente : les entrepôts en hauteur : “ces entrepôts mesurent entre 20 et 40 mètres de haut et sont situés au plus près des centres urbains afin de répondre au mieux à la logique du dernier kilomètre”, souligne Jean-Paul Rival, PDG de Concerto (groupe Kaufman & Broad). Mais ce sont bien sûr les relations entre ces pôles, à savoir les flux, qui feront toute la différence.
Ainsi, les municipalités élaborent actuellement leurs schémas de circulation avec la prise en compte des zones à faibles émissions (ZFE). Et ceci alors même que les livraisons connaissent une forte croissance dans les zones urbaines. “Toute la stratégie
consiste donc à trouver le modèle optimal d’éclatement des volumes jusqu’au dernier colis livré (pieds d’immeubles, dark stores, etc.)”, explique Christophe Chauvard, directeur général de P3 France. Par ailleurs, il faut aussi compter avec les flux sortants de la “reverse logistique”, c’est-à-dire la gestion du retour des invendus. “Dans le textile, le taux de retour peut atteindre 33 %, car les sites autorisent les clients à retourner les produits quand ils ne plaisent pas”, observe Jean-Paul Rival.
L’IA au secours de l’optimisation
Au-delà des entrepôts et lieux de stockage, les efforts pour optimiser le dernier kilomètre portent sur la technologie et le recours à ses fonctionnalités facilitantes. “Aujourd’hui, la traçabilité de la livraison prime, observe Christophe Chauvard. Le GPS et les QR codes permettent ainsi à la fois de simplifier et de sécuriser la remise du colis.” Et Jean-Paul Rival de préciser : “nous pouvons mentionner les technologies liées au système d’information et surtout l’IA (intelligence artificielle, ndlr), utile notamment pour optimiser le remplissage des camions et l’organisation des tournées”.
Une traçabilité qui présente des avantages et dont le client final peut lui aussi bénéficier : “avec le GPS et les échanges de données en temps réel, nous sommes aujourd’hui capables de traiter par exemple l’état du trafic, pour être toujours plus précis dans l’information transmise au client”, indique Stéphane Arnoux, directeur logistique urbaine chez CBRE France.
Réussir la livraison dès la première présentation
Ces informations sont souvent cruciales pour une livraison réussie : “l’efficacité réside dans une livraison réussie dès la première présentation en vue de limiter le nombre de kilomètres effectués par le transporteur”, explique Grégoire Lalaque, directeur du pôle pilotage de la distribution chez LOG’s. Pour ce faire, plusieurs technologies peuvent être utilisées : “notification au destinataire la veille de la mise en livraison pour s’assurer de sa présence, possibilité offerte au destinataire de suivre l’avancement de la livraison, définition et optimisation de la tournée du chauffeur en fonction du nombre de colis à livrer, de la localisation de la livraison, de l’état de la circulation, etc.”, détaille-t-il.
Erick Schiller, responsable de la logistique urbaine chez Arthur Loyd, va même plus loin : “au-delà de la technologie, c’est surtout la data qui est centrale pour mieux emballer, expédier rapidement, remplir davantage les véhicules, optimiser les tournées et gérer les retours. C’est donc une combinaison de différentes technologies qui fait progresser la livraison du dernier kilomètre : scan de QR codes pour le tracking, algorithme d’optimisation du colisage et des tournées, GPS pour connaître la position du livreur ou encore application pour renseigner le client final. L’étape suivante consistera à partager ces données entre acteurs, pour optimiser davantage et modéliser à grande échelle les flux last mile”.
Automatisation des entrepôts, engagements de décarbonation
Au niveau des fonctionnalités, l’automatisation des entrepôts a le vent en poupe : “nous constatons aujourd’hui une forte demande autour de l’automatisation, notamment dans les grands entrepôts, relève Christophe Chauvard (P3 France). Néanmoins, l’humain reste au coeur d’un grand nombre de tâches précises dans les plateformes de préparation”. Un constat confirmé par Stéphane Arnoux, de CBRE France : “nous observons actuellement une forte demande pour les dark stores qui, par définition, sont de la préparation de commande”. Chez Concerto, JeanPaul Rival constate de son côté “l’automatisation du stockage en zone urbaine, dans les entrepôts en hauteur ou au niveau des zones d’éclatement”.
Mais ces technologies et ces fonctionnalités n’ont de sens à long terme que si elles permettent de mieux respecter l’environnement. Selon une étude du MIT Real Estate Innovation Lab, “les émissions carbone des achats en ligne sont en moyenne inférieures de 36 % à celles des achats en magasin”. Explication de cette statistique surprenante : “regrouper les livraisons avec
“C’est une combinaison de différentes technologies qui fait progresser la livraison du dernier kilomètre : scan de QR codes pour le tracking, algorithme d’optimisation du colisage et des tournées, GPS pour connaître la position du livreur ou encore application pour renseigner le client final”
un fourgon de livraison standard complet peut remplacer plus de 100 trajets individuels en voiture pour récupérer des produits et réduire ainsi les émissions carbone associées”. Mais ce postulat n’empêche pas les professionnels de tout faire pour limiter au maximum l’impact de leur activité sur l’environnement. Grégoire Lalaque (LOG’S) prévoit pour sa part que “les engagements liés à la décarbonation vont entraîner notamment l’essor des ZFE, des livraisons en relais et consignes ainsi que des véhicules décarbonés”.
“La technologie permet déjà à un véhicule de parcourir moins de kilomètres avec plus de marchandises, rappelle Erick Schiller de chez Arthur Loyd. D’autres maillons de la chaîne sont également des gisements d’amélioration à l’égard de l’environnement : bâtiments carbone neutre avec matériaux vertueux ou recyclés, reconversion de sites existants pour la logistique du dernier kilomètre, station multicarburants à proximité des lieux de stockage, flotte alimentée en carburants alternatifs, mode de transport doux ou encore livraison mutualisée”. En somme, pour l’environnement aussi, le dernier kilomètre passe au feu vert.