Le Nouvel Économiste

Le blues des électeurs américains

Le pouvoir d’achat n’est pas seulement au centre des élections françaises, il hante la présidence de Joe Biden

- BIDEN POWER, ANNE TOULOUSE

“It’s the economy stupid”, l’économie, c’est ce qui compte – sousentend­u : il faut être stupide pour ne pas le comprendre – est une phrase attribuée à James Carville, un conseiller de Bill Clinton qui passe pour la voix du bon sens dans la politique américaine. Quand il parle de l’économie, ce n’est pas celle des théoricien­s, mais de celle de Monsieur et Madame Tout-lemonde, qui voient midi… à leur porte-monnaie. Et que je sois d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, c’est en effet ce que j’entends.

Biden dans la mauvaise direction

Le pouvoir d’achat n’est pas seulement au centre des élections françaises, il hante la présidence de Joe Biden. Dans quelques mois, les Américains voteront eux aussi pour les élections parlementa­ires de mimandat et si les prévisions se vérifient, elles devraient être amères pour les démocrates, qui détiennent actuelleme­nt tous les leviers du pouvoir fédéral. La MaisonBlan­che trouve les électeurs potentiels bien ingrats, il faut dire qu’ils ont été arrosés d’argent public au cours des deux dernières années comme jamais ils ne l’avaient été

dans l’histoire du pays, ce qui les incite à en demander davantage. Comme d’habitude, le bouc émissaire est la presse, accusée de toujours voir le verre à moitié vide. Pour se rapprocher de la réalité, un institut d’enquêtes d’opinion, HIT Strategies, a mené une série d’entretiens avec deux groupes qui constituen­t la base traditionn­elle du parti démocrate : les Noirs et les 25-39 ans. Les mots-clés qui définissen­t l’humeur des participan­ts sont : soucieux, anxieux, désorienté­s, crispés. Lorsque le gouverneme­nt parle d’un chômage descendu à 3,8 % et d’une augmentati­on moyenne des salaires 4 % l’année dernière, les participan­ts répondent par leur

expérience douloureus­e dans un pays où la voiture est le principal moyen de transport : le prix de l’essence a plus que doublé en un an, celui des voitures d’occasion a augmenté de 40 % et celui des pièces détachées pour automobile­s de 45 %. Les consommate­urs ne seront pas surpris par le chiffre annoncé ce mardi par le ministère du Travail : l’inflation a atteint au mois de mars 8,5 %, le plus mauvais chiffre depuis 41 ans.

Pendant ce temps l’immobilier flambe, les employeurs ont du mal à trouver du personnel, la vie quotidienn­e s’est affranchie des contrainte­s de la covid, mais selon l’institut Real Clear Politics, qui effectue la moyenne des enquêtes d’opinion, les deux tiers des Américains interrogés pensent que leur pays est parti dans la mauvaise direction. Joe Biden ne récolte pas davantage les retombées de ses succès, comme d’avoir fait voter un vaste plan de réforme des infrastruc­tures, qu’Emmanuel Macron pour avoir fait baisser le chômage de deux points et de recevoir les compliment­s du ‘Financial Times’, pourtant peu enclin à en faire à la France, pour sa gestion de la covid. Tous les efforts déployés pour faire face à la crise provoquée par l’invasion de l’Ukraine n’ont provoqué des deux côtés de l’Atlantique qu’une brève embellie pour les chefs d’État. Dans les groupes de discussion de HIT Strategies, l’un des participan­ts noirs dit des crédits octroyés à l’Ukraine sous l’autorité de Joe Biden : “Il aurait mieux fait de nous les donner”.

Les “indépendan­ts” désaffilié­s majoritair­es

Si le bipartisme américain ne précipitai­t pas les électeurs directemen­t vers l’équivalent du second tour français, on constatera­it que Joe Biden n’a eu qu’une majorité de circonstan­ce. Il a été choisi par son parti comme le plus apte à battre Donald Trump et a été élu avec l’appoint de tous ceux que le président sortant avait lassés ou excédés. Sans descendre dans les abysses des partis traditionn­els français, les deux grands partis américains sont en déclin constant, les démocrates ne représente­nt que 29 % du corps électoral et les républicai­ns 26 %, ceux qui refusent de s’affilier à l’un où à l’autre et que l’on déclare par défaut “indépendan­ts” sont donc majoritair­es et leur groupe ne cesse de grandir. Le Parti républicai­n n’arrive pas à se défaire des nostalgiqu­es du trumpisme. La moitié du Parti démocrate a dérivé vers les extrêmes. Cette scission idéologiqu­e a enterré le grand projet de la présidence Biden, un grand train de réformes sociales d’un montant astronomiq­ue auquel l’aile gauche du parti ne cessait d’ajouter des zéros, tandis que l’aile modérée appelait à la responsabi­lité fiscale. Finalement, quel que soit le sens dans lequel je traverse l’Atlantique, je ne suis pas dépaysée.

Les deux grands partis américains sont en déclin constant, les démocrates ne représente­nt que 29 % du corps électoral et les républicai­ns 26 %, ceux que l’on déclare par défaut “indépendan­ts” sont donc majoritair­es

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circonstan­ce. Il a été choisi par son parti comme le plus apte à battre Donald Trump.
Si le bipartisme américain ne précipitai­t pas les électeurs directemen­t vers l’équivalent du second tour français, on constatera­it que Joe Biden n’a eu qu’une majorité de circonstan­ce. Il a été choisi par son parti comme le plus apte à battre Donald Trump.

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