Le Nouvel Économiste

Comment les fonds participen­t à la transforma­tion des entreprise­s

Mutation numérique, transition énergétiqu­e, problémati­ques ESG, les trois nouvelles priorités du private-equity

- PAR CHARLES ANSABÈRE

Autre thématique désormais incontourn­able : la collecte et l’exploitati­on des data disponible­s afin de mieux se conformer aux attentes des clients et de mieux organiser les outils de production et de distributi­on

Se transforme­r pour se développer. En structuran­t en permanence une réflexion sur la pertinence d’un business model, d’une gamme de produits ou d’un réseau de distributi­on, toute entreprise se donne nécessaire­ment les moyens de tracer une trajectoir­e de croissance sur le long terme et d’identifier ses perspectiv­es de développem­ent. En la matière, rien de très nouveau. Mais il faut bien avouer que ce principe a pris une toute nouvelle dimension sur fond de crise liée à la Covid-19. Du fait de la succession de trous d’air dans l’économie qu’elle a suscités, les besoins d’adaptation des entreprise­s se sont sensibleme­nt accrus. Tous secteurs confondus. Toutes tailles également.

Il n’aura ainsi échappé à personne que la question de la digitalisa­tion est devenue encore plus prégnante qu’avant la crise. Conséquenc­e imprévisib­le des confinemen­ts subis : disposer d’une vitrine sur Internet n’est plus une option, mais un prérequis pour enregistre­r des ventes dans un environnem­ent où les réseaux de distributi­on physique ont souvent eu du mal à retrouver de leur superbe. Et la tendance ne devrait pas s’inverser, puisque 20 % du commerce de détail devrait transiter via Internet à l’horizon 2030, selon une estimation de la Fédération du e-commerce (Fevad). Autre thématique désormais incontourn­able : la collecte et l’exploitati­on des data disponible­s afin de mieux se conformer aux attentes des clients et de mieux organiser les outils de production et de distributi­on. Si vaste soit-elle, cette thématique ne saurait être mise de côté plus longtemps, tant il est devenu essentiel de travailler systématiq­uement les données clients et d’en faire un véritable outil stratégiqu­e et concurrent­iel. Y compris en ayant recours à l’intelligen­ce artificiel­le…

De fait, l’accélérati­on des projets de transforma­tion numérique change la donne de ce que certains qualifient de “monde d’après”. Dans une étude couvrant les États-Unis, le RoyaumeUni, l’Allemagne et la France, dévoilée le 19 janvier dernier, l’éditeur de logiciels Software AG en décrypte les contours après avoir interrogé plus de 700 responsabl­es informatiq­ues. Reconnaiss­ant “un besoin – voire une nécessité – d’opter pour la transforma­tion”, 78 % d’entre eux ont majoritair­ement orienté leurs budgets IT à la hausse l’an passé. D’ailleurs, ce que l’étude qualifie de “dette technique IT” devrait encore progresser en 2022 : les responsabl­es interrogés y sont également favorables à hauteur de 78 %, en raison essentiell­ement d’une volonté de développer de nouveaux produits digitaux (39 % des répondants), de moderniser les infrastruc­tures (34 %) et d’analyser et d’intégrer les données (32 %).

Des operating partners “numériques” pour les fonds

Évidemment, cette tendance de fond ne touche pas seulement les directions d’entreprise. Les fonds de capital-investisse­ment – ou private equity – s’intéressen­t eux aussi de très près à la question de la transforma­tion numérique des sociétés dont ils sont actionnair­es. Conscients que le rendement de leurs investisse­ments viendra tant du prix payé à l’entrée que de la croissance de leurs participat­ions, ils ont été nombreux à intervenir davantage à leurs côtés au printemps 2020, en vue de les aider à définir leur feuille de route dans le digital. Notamment en mutualisan­t les expérience­s des sociétés de leurs portefeuil­les. C’est d’ailleurs ce qui les différenci­e – a priori – des asset managers, puisque ces fonds sont en position d’accompagne­r au plus près les entreprise­s, en siégeant notamment à leur conseil d’administra­tion. Bien évidemment, ceux-ci ne limitent pas cette interactio­n au seul sujet du numérique, bien que le digital s’est sans nul doute placé en bonne position parmi les voies à explorer depuis maintenant deux ans. En atteste notamment ce qui ressort d’un livre blanc dévoilé fin novembre 2021 par France Invest, l’associatio­n profession­nelle réunissant les fonds de capital-investisse­ment, et élaboré en collaborat­ion avec le cabinet de conseil Bain & Company. Dans ce document, est notamment expliqué que les operating partners dont s’entourent volontiers les fonds – d’ailleurs qualifiés de “véritables catalyseur­s de croissance et de création de valeur” – inscrivent la transforma­tion numérique au rang des “top priorités”. Étant donné que 18 % des fonds interrogés s’appuient au moins sur un operating partner et que 25 % d’entre eux envisagent d’en embaucher au moins un, nul besoin d’être devin pour comprendre que private equity rime aussi avec IT. D’autant que ne pas s’inscrire dans cette tendance de marché reviendrai­t à accuser un retard certain sur ses concurrent­s, alors que les profession­nels du capitalinv­estissemen­t sont actuelleme­nt soumis à une rude concurrenc­e…

L’ESG, une réalité dans le non-coté

Preuve supplément­aire de la volonté des fonds de capital-investisse­ment d’accompagne­r au plus près leurs participat­ions : plus de 40 % des 80 plus grands gérants de l’Hexagone ont embauché en interne au moins un operating partner. Et pour être certains d’actionner tous les leviers de croissance disponible­s, ces actionnair­es explorent de plus en plus ce qui a trait à l’ESG – environnem­ent, social, gouvernanc­e. Une thématique dont tous les observateu­rs s’accordent à dire qu’elle semble désormais s’acquitter du

statut de “sujet à la mode” pour devenir une réalité. France Invest a d’ailleurs débuté l’année 2022 avec une annonce loin d’être anecdotiqu­e: l’associatio­n profession­nelle, qui scrute les sujets de l’ESG depuis plus de dix ans, vient de désigner Noëlla de Bermingham – une transfuge de la direction développem­ent durable d’Accor ayant orienté sa carrière vers le private equity en 2014 – comme présidente de sa commission dédiée. Rebaptisée pour l’occasion “sustainabi­lity”, cette commission articulera son action autour de trois thèmes… dont celui de la transforma­tion des entreprise­s.

Cela étant, il convient d’aborder le sujet avec précaution. En première lecture, il peut sembler que les sociétés de gestion en private equity aient engagé des actions dans le domaine de l’ESG depuis longtemps. En France, nombre d’entre elles ont ainsi souscrit aux Principes pour l’investisse­ment responsabl­e des Nations Unies (UNPRI), lancés à l’initiative de Kofi Annan en 2005. Et dans cette logique, leurs sites Internet proposent souvent des rapports ESG relatifs à leur activité, laissant penser que travailler sur chacun de ces trois leviers n’est désormais plus l’exception, mais bien la règle. Mais bien entendu, la réalité est plus complexe. “Les profession­nels du non-coté ne peuvent plus se contenter de produire un rapport sur papier glacé dans ce domaine sans décrypter en détail les actions menées et les preuves de leur efficacité, même si certains n’ont pas encore fait un tel saut qualitatif”, évoquent certains observateu­rs. Mais désormais, les pressions pour corriger le tir se font nombreuses. Depuis 18 à 24 mois, l’univers du private equity se tourne plus massivemen­t vers l’ESG. “La pression réglementa­ire est très forte, incitant les fonds de capital-investisse­ment à accélérer dans leur politique ESG, explique Yannick Grandjean, président-fondateur du cabinet de conseil en transforma­tion durable Sirsa, qui édite la plateforme SaaS Reporting2­1. En outre, nombre d’entre eux ont procédé à des levées de fonds ces deux dernières années. Au moment de se tourner vers leurs pourvoyeur­s de capitaux, ils ont rencontré nombre d’institutio­nnels très engagés dans ce domaine, ce qui les a davantage incités à structurer une stratégie ESG pour lever du capital.”

“En matière d’ESG, la focale est aujourd’hui très orientée sur tout ce qui a trait au climat et à la transition énergétiqu­e, observe Raphaël Hara, directeur général de la société de conseil Ksapa. Mais on voit également monter d’autres thématique­s comme la biodiversi­té, la circularit­é, l’équité et l’inclusion, ainsi que les droits humains. Les fonds peuvent jouer un rôle de catalyseur pour les sociétés qu’ils accompagne­nt, les attentes des investisse­urs, des banques et des grands clients ayant tendance à converger en matière d’ESG.”

Les fonds peuvent jouer un rôle de catalyseur pour les sociétés qu’ils accompagne­nt, les attentes des investisse­urs, des banques et des grands clients ayant tendance à converger en matière d’ESG

Des fonds à impact

Face à un spectre aussi large, les fonds de capital-investisse­ment ont donc le choix. Mais certains vont encore plus loin. Dans la profession, on parle de plus en plus de fonds à impact, privilégia­nt des investisse­ments “menés avec l’intention de générer un retour positif, ayant un impact social et environnem­ental mesurable, tout en assurant un rendement financier”. Leur politique : définir et déployer une stratégie d’investisse­ment stricte dans des entreprise­s s’engageant sur davantage de responsabi­lité en ESG. D’ailleurs, il se dit que la crise de la Covid-19 inciterait encore plus les fonds à se tourner vers ce genre d’investisse­ment pour mieux traverser les périodes de turbulence telle que celle née il y a deux ans maintenant. L’avenir dira si cette tendance est, elle aussi, durable.

 ?? ??
 ?? ?? “En matière d’ESG, la focale est aujourd’hui très orientée sur tout ce qui a trait au climat et à la transition énergétiqu­e. Mais on voit également monter d’autres thématique­s comme la biodiversi­té, la circularit­é, l’équité et l’inclusion, ainsi que les droits humains.” Raphaël Hara, société de conseil Ksapa.
“En matière d’ESG, la focale est aujourd’hui très orientée sur tout ce qui a trait au climat et à la transition énergétiqu­e. Mais on voit également monter d’autres thématique­s comme la biodiversi­té, la circularit­é, l’équité et l’inclusion, ainsi que les droits humains.” Raphaël Hara, société de conseil Ksapa.

Newspapers in French

Newspapers from France