Comment les fonds participent à la transformation des entreprises
Mutation numérique, transition énergétique, problématiques ESG, les trois nouvelles priorités du private-equity
Autre thématique désormais incontournable : la collecte et l’exploitation des data disponibles afin de mieux se conformer aux attentes des clients et de mieux organiser les outils de production et de distribution
Se transformer pour se développer. En structurant en permanence une réflexion sur la pertinence d’un business model, d’une gamme de produits ou d’un réseau de distribution, toute entreprise se donne nécessairement les moyens de tracer une trajectoire de croissance sur le long terme et d’identifier ses perspectives de développement. En la matière, rien de très nouveau. Mais il faut bien avouer que ce principe a pris une toute nouvelle dimension sur fond de crise liée à la Covid-19. Du fait de la succession de trous d’air dans l’économie qu’elle a suscités, les besoins d’adaptation des entreprises se sont sensiblement accrus. Tous secteurs confondus. Toutes tailles également.
Il n’aura ainsi échappé à personne que la question de la digitalisation est devenue encore plus prégnante qu’avant la crise. Conséquence imprévisible des confinements subis : disposer d’une vitrine sur Internet n’est plus une option, mais un prérequis pour enregistrer des ventes dans un environnement où les réseaux de distribution physique ont souvent eu du mal à retrouver de leur superbe. Et la tendance ne devrait pas s’inverser, puisque 20 % du commerce de détail devrait transiter via Internet à l’horizon 2030, selon une estimation de la Fédération du e-commerce (Fevad). Autre thématique désormais incontournable : la collecte et l’exploitation des data disponibles afin de mieux se conformer aux attentes des clients et de mieux organiser les outils de production et de distribution. Si vaste soit-elle, cette thématique ne saurait être mise de côté plus longtemps, tant il est devenu essentiel de travailler systématiquement les données clients et d’en faire un véritable outil stratégique et concurrentiel. Y compris en ayant recours à l’intelligence artificielle…
De fait, l’accélération des projets de transformation numérique change la donne de ce que certains qualifient de “monde d’après”. Dans une étude couvrant les États-Unis, le RoyaumeUni, l’Allemagne et la France, dévoilée le 19 janvier dernier, l’éditeur de logiciels Software AG en décrypte les contours après avoir interrogé plus de 700 responsables informatiques. Reconnaissant “un besoin – voire une nécessité – d’opter pour la transformation”, 78 % d’entre eux ont majoritairement orienté leurs budgets IT à la hausse l’an passé. D’ailleurs, ce que l’étude qualifie de “dette technique IT” devrait encore progresser en 2022 : les responsables interrogés y sont également favorables à hauteur de 78 %, en raison essentiellement d’une volonté de développer de nouveaux produits digitaux (39 % des répondants), de moderniser les infrastructures (34 %) et d’analyser et d’intégrer les données (32 %).
Des operating partners “numériques” pour les fonds
Évidemment, cette tendance de fond ne touche pas seulement les directions d’entreprise. Les fonds de capital-investissement – ou private equity – s’intéressent eux aussi de très près à la question de la transformation numérique des sociétés dont ils sont actionnaires. Conscients que le rendement de leurs investissements viendra tant du prix payé à l’entrée que de la croissance de leurs participations, ils ont été nombreux à intervenir davantage à leurs côtés au printemps 2020, en vue de les aider à définir leur feuille de route dans le digital. Notamment en mutualisant les expériences des sociétés de leurs portefeuilles. C’est d’ailleurs ce qui les différencie – a priori – des asset managers, puisque ces fonds sont en position d’accompagner au plus près les entreprises, en siégeant notamment à leur conseil d’administration. Bien évidemment, ceux-ci ne limitent pas cette interaction au seul sujet du numérique, bien que le digital s’est sans nul doute placé en bonne position parmi les voies à explorer depuis maintenant deux ans. En atteste notamment ce qui ressort d’un livre blanc dévoilé fin novembre 2021 par France Invest, l’association professionnelle réunissant les fonds de capital-investissement, et élaboré en collaboration avec le cabinet de conseil Bain & Company. Dans ce document, est notamment expliqué que les operating partners dont s’entourent volontiers les fonds – d’ailleurs qualifiés de “véritables catalyseurs de croissance et de création de valeur” – inscrivent la transformation numérique au rang des “top priorités”. Étant donné que 18 % des fonds interrogés s’appuient au moins sur un operating partner et que 25 % d’entre eux envisagent d’en embaucher au moins un, nul besoin d’être devin pour comprendre que private equity rime aussi avec IT. D’autant que ne pas s’inscrire dans cette tendance de marché reviendrait à accuser un retard certain sur ses concurrents, alors que les professionnels du capitalinvestissement sont actuellement soumis à une rude concurrence…
L’ESG, une réalité dans le non-coté
Preuve supplémentaire de la volonté des fonds de capital-investissement d’accompagner au plus près leurs participations : plus de 40 % des 80 plus grands gérants de l’Hexagone ont embauché en interne au moins un operating partner. Et pour être certains d’actionner tous les leviers de croissance disponibles, ces actionnaires explorent de plus en plus ce qui a trait à l’ESG – environnement, social, gouvernance. Une thématique dont tous les observateurs s’accordent à dire qu’elle semble désormais s’acquitter du
statut de “sujet à la mode” pour devenir une réalité. France Invest a d’ailleurs débuté l’année 2022 avec une annonce loin d’être anecdotique: l’association professionnelle, qui scrute les sujets de l’ESG depuis plus de dix ans, vient de désigner Noëlla de Bermingham – une transfuge de la direction développement durable d’Accor ayant orienté sa carrière vers le private equity en 2014 – comme présidente de sa commission dédiée. Rebaptisée pour l’occasion “sustainability”, cette commission articulera son action autour de trois thèmes… dont celui de la transformation des entreprises.
Cela étant, il convient d’aborder le sujet avec précaution. En première lecture, il peut sembler que les sociétés de gestion en private equity aient engagé des actions dans le domaine de l’ESG depuis longtemps. En France, nombre d’entre elles ont ainsi souscrit aux Principes pour l’investissement responsable des Nations Unies (UNPRI), lancés à l’initiative de Kofi Annan en 2005. Et dans cette logique, leurs sites Internet proposent souvent des rapports ESG relatifs à leur activité, laissant penser que travailler sur chacun de ces trois leviers n’est désormais plus l’exception, mais bien la règle. Mais bien entendu, la réalité est plus complexe. “Les professionnels du non-coté ne peuvent plus se contenter de produire un rapport sur papier glacé dans ce domaine sans décrypter en détail les actions menées et les preuves de leur efficacité, même si certains n’ont pas encore fait un tel saut qualitatif”, évoquent certains observateurs. Mais désormais, les pressions pour corriger le tir se font nombreuses. Depuis 18 à 24 mois, l’univers du private equity se tourne plus massivement vers l’ESG. “La pression réglementaire est très forte, incitant les fonds de capital-investissement à accélérer dans leur politique ESG, explique Yannick Grandjean, président-fondateur du cabinet de conseil en transformation durable Sirsa, qui édite la plateforme SaaS Reporting21. En outre, nombre d’entre eux ont procédé à des levées de fonds ces deux dernières années. Au moment de se tourner vers leurs pourvoyeurs de capitaux, ils ont rencontré nombre d’institutionnels très engagés dans ce domaine, ce qui les a davantage incités à structurer une stratégie ESG pour lever du capital.”
“En matière d’ESG, la focale est aujourd’hui très orientée sur tout ce qui a trait au climat et à la transition énergétique, observe Raphaël Hara, directeur général de la société de conseil Ksapa. Mais on voit également monter d’autres thématiques comme la biodiversité, la circularité, l’équité et l’inclusion, ainsi que les droits humains. Les fonds peuvent jouer un rôle de catalyseur pour les sociétés qu’ils accompagnent, les attentes des investisseurs, des banques et des grands clients ayant tendance à converger en matière d’ESG.”
Les fonds peuvent jouer un rôle de catalyseur pour les sociétés qu’ils accompagnent, les attentes des investisseurs, des banques et des grands clients ayant tendance à converger en matière d’ESG
Des fonds à impact
Face à un spectre aussi large, les fonds de capital-investissement ont donc le choix. Mais certains vont encore plus loin. Dans la profession, on parle de plus en plus de fonds à impact, privilégiant des investissements “menés avec l’intention de générer un retour positif, ayant un impact social et environnemental mesurable, tout en assurant un rendement financier”. Leur politique : définir et déployer une stratégie d’investissement stricte dans des entreprises s’engageant sur davantage de responsabilité en ESG. D’ailleurs, il se dit que la crise de la Covid-19 inciterait encore plus les fonds à se tourner vers ce genre d’investissement pour mieux traverser les périodes de turbulence telle que celle née il y a deux ans maintenant. L’avenir dira si cette tendance est, elle aussi, durable.