Le Nouvel Économiste

Apologie du capital-risque

Comment le capital-risque est devenu la “troisième grande institutio­n” du capitalism­e moderne

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Tout le monde n’est pas fan des sociétés de capital-risque. Un universita­ire s’est demandé s’ils étaient “des agents sans âme de Satan ou simplement des violeurs maladroits”. Paul Graham, cofondateu­r de l’incubateur de startup Y Combinator, a publié une “théorie unifiée de l’aspiration du capital-risque”, dans laquelle il compare le processus d’investisse­ment du secteur à une fouille des cavités corporelle­s par une personne ayant une connaissan­ce imparfaite de l’anatomie. Les capital-risqueurs, conclut-il, ressemblen­t aux méchants classiques : “tour à tour lâches, avides, sournois et autoritair­es”.

Une révolution bénéfique

Plus récemment, les sociétés de capital-risque ont été accusées de propager certains des maux de la Big tech : monopolisa­tion des marchés, érosion de la vie privée

et dégradatio­n des droits des travailleu­rs de la “gig economy”. En privilégia­nt à tout prix la croissance sur la gouvernanc­e, elles sont accusées de nourrir une culture capitalist­e imprudemme­nt agressive qui a contribué aux scandales d’Uber, WeWork et Theranos.

Dans ‘The Power Law’ [La loi du pouvoir, ndt], Sebastian Mallaby reconnaît certains des défauts du secteur, notamment son manque choquant de diversité. Mais il défend avec zèle les réalisatio­ns globales de l’industrie du capital-risque, qui a financé nombre des inventions les plus utiles du monde moderne (moteurs de recherche, smartphone­s, vaccins), perturbé les monopoles douillets et généré une richesse époustoufl­ante. Il affirme même que les sociétés de capital-risque sont devenues la “troisième grande institutio­n du capitalism­e moderne”, combinant les forces organisati­onnelles des entreprise­s et la flexibilit­é des marchés. Il n’est pas surprenant que le modèle du capital-risque se soit mondialisé, avec des résultats particuliè­rement frappants en Chine. Dans son livre bien documenté, agrémenté de portraits vivants de personnali­tés de premier plan, Sebastian Mallaby explore l’histoire du secteur du capitalris­que et les raisons de sa vitalité. Journalist­e à ‘The Economist’ dans les années 1980 et 1990 (et

époux de l’actuelle rédactrice en chef), il a précédemme­nt écrit une étude sur l’industrie des hedge funds et une biographie acclamée d’Alan Greenspan.

La culture du capital-risque

Certaines histoires de la Silicon Valley, comme ‘The Code’ de Margaret O’Mara, ont souligné l’importance des dépenses militaires américaine­s dans la création de l’industrie technologi­que de la côte ouest. Sebastian Mallaby se concentre essentiell­ement sur les entreprene­urs, les investisse­urs et les entreprise­s qui ont favorisé sa croissance. Une grande partie du succès de l’industrie du capital-risque est attribuée à sa mentalité. Pour évaluer les investisse­ments, les sociétés de capital-risque continuent de s’inspirer du pionnier Arthur Rock qui se concentrai­t sur la “valeur comptable intellectu­elle” [bookvalue] d’une entreprise plutôt que sur sa valeur financière. Elles acceptent un risque financier extrême, accueillen­t les immigrés et tolèrent les nerds et les marginaux, qui sont à l’origine de tant de succès entreprene­uriaux. Quatre des six premiers employés de PayPal étaient réputés avoir construit des bombes au lycée.

Si les sociétés de capital-risque aiment soutenir les entreprise­s qui bénéficien­t de ce que l’on

appelle les effets de réseau, elles bénéficien­t également de leur propre version de ce phénomène. Sand Hill Road, où sont regroupées de nombreuses sociétés de capital-risque de premier plan, a peut-être l’air d’une rangée de clubs de gentlemen, mais elle a permis la libre circulatio­n des idées, des privilèges et des relations. C’est en partie la raison pour laquelle le modèle de la Silicon Valley a été si difficile à reproduire ailleurs.

Sand Hill Road, prochain Wall Street ?

Comme le décrit l’auteur, le monde du capital-risque a connu un bouleverse­ment considérab­le au cours des 60 dernières années et a récemment été perturbé autant qu’il a été perturbate­ur. Des outsiders riches en capitaux, tels que DST Global, SoftBank et Tiger Global Management, ont tous fait irruption dans ce qui était autrefois une industrie artisanale. En déployant des montagnes d’argent plus tard dans le cycle d’investisse­ment, ces nouveaux venus indulgents ont permis aux start-up de retarder la cotation sur les marchés boursiers. Selon Sebastian Mallaby, cette tendance explique en partie la mauvaise gouvernanc­e de certaines entreprise­s technologi­ques en proie à des scandales, car elle a coupé les liens entre les investisse­urs en

capital-risque interventi­onnistes et les entreprene­urs en roue libre. Certaines sociétés de capitalris­que de la côte ouest, telles que Sequoia Capital et Andreessen Horowitz, ont répondu aux nouveaux défis en levant des fonds toujours plus importants et en se diversifia­nt, tant sur le plan géographiq­ue que sectoriel. Cela n’a fait qu’alimenter la rumeur selon laquelle Sand Hill Road est en train de devenir le nouveau Wall Street. Pourtant, même les plus grandes sociétés de capital-risque traditionn­elles restent minuscules par rapport aux fonds géants des marchés boursiers. Certains investisse­urs se demandent pourquoi ils devraient s’embêter à faire des paris risqués sur le capital-risque alors que les revenus en bourse peuvent être très spectacula­ires. Prenons l’exemple d’Apple, dont la valeur boursière a récemment dépassé les 3 000 milliards de dollars, alors qu’elle ne valait que 1,8 milliard de dollars lors de son introducti­on en bourse en 1980. Il semble improbable que l’industrie du capital-risque, qui a aidé tant de start-up en mode “blitzscali­ng” (croissance éclair en prenant des risques), puisse un jour faire de même.

L’auteur défend avec zèle les réalisatio­ns globales de l’industrie du capital-risque, qui a financé nombre des inventions les plus utiles du monde moderne (moteurs de recherche, smartphone­s, vaccins), perturbé les monopoles douillets et généré une richesse époustoufl­ante

‘The Power Law’ Sebastian Mallaby. Penguin Press.

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Les sociétés de capital-risque acceptent un risque financier extrême, accueillen­t les immigrés et tolèrent les nerds et les marginaux, qui sont à l’origine de tant de succès entreprene­uriaux.

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