La mue ESG du capital-investissement
Le private equity se transforme pour devenir un boosteur de RSE dans le non-coté
Souvent critiqué pour son manque d’intérêt envers la responsabilité sociale des entreprises (RSE), le capital-investissement accélère depuis 10 ans sa mutation. La raison? Les fonds
L’intérêt porté par les fonds d’investissement aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) s’accélère. Ces dernières sont même devenues une priorité stratégique pour le capital-investissement (ou private equity en anglais), qui y voit un facteur de performance permettant de contribuer à créer de la valeur ajoutée. Ce que confirme Sophie de Fontenay, general counsel et head of sustainability de Raise : “il existe trois enjeux dans l’ESG : le premier est civique, le second est sa raison d’être et le troisième est sa monétarisation. Cela permet aussi d’attirer des investisseurs institutionnels comme privés, qui souhaitent une mesure de l’ESG parfaitement claire et alignée avec les objectifs financiers”. Outre les enjeux financiers, le private equity est confronté à d’investissement ont réalisé que les critères ESG ppermettaient de contribuer à créer de la valeur pour les entreprises. À cela s’ajoute une pression tant des investisseurs que de une pression multiple, de la part à la fois des investisseurs, de la société et de la réglementation – française comme européenne – qui s’étoffe de plus en plus. De quoi susciter une mutation des sociétés de capital-investissement, tant au sein de leurs équipes et de leur propre fonctionnement que vis-à-vis des entreprises cibles.
Être soi-même responsable
Avant d’investir dans des entreprises non cotées pour en faire des entités durables et responsables, les fonds d’investissement se doivent eux aussi de mettre en place une politique RSE en interne pour être plausibles. Selon PwC, 95 % des sociétés françaises de private equity déclarent avoir mis en place ou être en cours d’intégration des critères ESG dans leurs pratiques.
Selon Noëlla de Bermingham, présidente de la commission sustainability de France Invest, “la première étape pour les fonds d’investissement est de mettre en place une personne référente ou dédiée à la RSE”. Une démarche qui passe par un recrutement de responsables ESG ou autres professions spécialisées. Peu à peu, les équipes RSE s’étoffent et de nouvelles fonctions apparaissent, telles que les “operating partners” (chargés de reporting) qui analyseront les indicateurs extra-financiers et autres chefs de projets. Aux équipes dédiées, s’ajoute une stratégie ESG la société et des nouvelles réglementations. Désormais, ils entament leur mue interne tout en accompagnant les entreprises non cotées dans la mise en oeuvre d’une stratégie RSE. interne. “PwC dispose de sa propre stratégie RSE, indispensable pour parler à nos clients, pour nos collaborateurs et nous permet d’être cohérents avec nos valeurs”, précise Sylvain Lambert, associé cofondateur du département développement durable chez PwC France et Maghreb. “Dès 2014, Idia Capital-investissement (Idia CI) a formalisé une démarche ESG qui s’est intensifiée au fil des années, pour devenir en 2022 une philosophie d’investissement” commente Anne-Caroline PaceTuffery, sa directrice exécutive. D’autres vont plus loin. “Chez Raise, les équipes d’investissement versent 50 % de leur intéressement afin de financer le fonds de dotation Raisesherpas”, souligne Clara Gaymard, co-fondatrice du groupe avec Gonzagues de Bliguières. Raise a aussi mis en place une parité femmeshommes totale. Par ailleurs, la signature des Principles for Responsible Investment (PRI) et la labellisation des sociétés
Il s’agit bien pour le capitalinvestissement de créer de la valeur financière grâce à des critères ESG extra-financiers
d’investissement s’imposent peu à peu. Une démarche qui devient un impératif pour Noëlla de Bermingham France invest : “les fonds d’investissement qui n’auraient pas de stratégie RSE crédible risquent à l’avenir de ne plus être en capacité de lever des fonds. La RSE est désormais au coeur des affaires.”
L’impact de l’ESG sur la performance financière
Une fois leur stratégie interne mise en place, les acteurs du capital-investissement pourront contribuer à la transformation des entreprises non cotées. Car ils ont bien compris que les enjeux ESG pouvaient avoir un impact sur la performance financière de l’entreprise. “Le lien entre ESG et création de valeur est devenu le principal intérêt du private equity, selon l’étude 2021 de Private equity responsible investment de PwC, alors qu’en 2019, le lien ESG-gestion des risques et compliance était en tête. Une entreprise non cotée qui dispose d’une stratégie ESG solide est désormais perçue comme plus performante et plus attractive, tant en externe qu’en interne”, confirme Sylvain Lambert, PwC. “L’impact de la RSE sur la valeur d’une entreprise est sorti du domaine de la communication. Les directions générales des ETI s’en emparent et comprennent qu’elle aura un impact en profondeur sur leur production, leurs relations avec leurs fournisseurs ou encore leurs collaborateurs”, constate Guillaume Rebaudet, directeur associé chez Siparex ETI. Sophie de Fontenay s’en explique : “la performance extra-financière d’une société peut être monétisée à la fin du processus. Ainsi, si son bilan carbone s’améliore, l’entreprise améliorera sa rentabilité et augmentera sa valeur financière”. Car il s’agit bien pour le capital-investissement de créer de la valeur financière grâce à des critères ESG extra-financiers. “Pour 76 % des fonds de capital-investissement, l’ESG est un élément qui fait partie du plan d’action post-acquisition, qu’ils contrôleront par du reporting ou du pilotage. À la revente, plus de 50 % des fonds de private equity valoriseront la progression de l’entreprise en matière d’ESG”, indique Sylvain Lambert.
Accompagner et motiver tout au long du processus
L’accompagnement des entreprises peut s’effectuer par le biais d’un actionnariat minoritaire ou majoritaire, l’identification de sujets clés issus des Objectifs de développement durable (ODD) de l’Onu, la mise en place de bonnes pratiques, du dialogue, ou encore un mix de tous ces éléments. “La connaissance de la réglementation, le partage des bonnes pratiques et notre capacité à mettre en contact des entreprises innovantes avec des entreprises plus matures nous permet d’anticiper, et surtout de créer de la valeur”, fait valoir AnneCaroline Pace-Tuffery. Pour sa part, Siparex ETI étudie “l’intérêt du projet et la capacité d’impact” pour faire progresser les sociétés “par l’écoute, le dialogue et par des actions ambitieuses. Nous essayons de motiver tout l’écosystème de l’entreprise en mettant en place des politiques ESG sur mesure”, indique Guillaume Rebaudet, Siparex, qui poursuit : “nous avons ainsi mis en place dans l’intéressement du management des critères ESG qui, s’ils sont atteints, permettent d’obtenir un bonus. Cette démarche a suscité un vif intérêt au sein des ETI”. “Raise fait extrêmement attention aux KPIs (Key Performance Indicators) ESG tout au long de la durée de vie d’un investissement et suit précisément leur évolution afin d’aider au mieux les entreprises dans leur stratégie RSE”, fait valoir Clara Gaymard.
La pression des controverses
Cet accompagnement se poursuit même en cas de controverses, autrement dit de scandale, rumeur ou dérapage des entreprises sur les versants environnement, responsabilité sociale ou gouvernance. “Ecofi a mis en place un système de niveau de controverse, numéroté de 0 à 5, 5 étant le niveau le plus élevé. Lorsque les sociétés atteignent un niveau 3 ou 4, Ecofi entame un dialogue avec elles pour connaître leur point de vue, ainsi que la politique qui sera mise en place pour résoudre la controverse”, fait remarquer Cesare Vitali, responsable du département ISR d’Ecofi. Et d’ajouter : “les gérants disposent d’un délai de 30 jours pour vendre les actions des entreprises qui ne passent plus le filtre ISR d’Ecofi”. Même son de cloche chez Idia CI, qui fait appel à un cabinet de conseil externe spécialisé en cas de controverses : “après étude de la controverse éventuelle, nous entamons un dialogue avec le dirigeant. Si la confiance est rompue, il n’est pas exclu que nous sortions du capital”, souligne sa directrice exécutive.
Du reporting à l’action
Si le capital-investissement est de plus en plus concerné par l’ESG, le chemin à parcourir reste long. “On constate depuis 10 ans une lame de fond concernant l’implication du capital-investissement dans la RSE, mais l’application des stratégies RSE est encore très graduelle”, commente Noëlla de Bermingham. La récupération des données auprès des entreprises est parfois complexe à obtenir, d’où une nécessaire amélioration du reporting. “La production des données par les TPEPME et ETI non cotées constitue un point faible de l’ESG”, reconnaît Sylvain Lambert, qui tempère : “il n’est pas toujours nécessaire de s’intéresser aux chiffres. Les fonds effectueront une analyse des enjeux ESG des sociétés et construiront une politique ESG en se focalisant sur quelques sujets clés. Des actions seront mises en place et, peu à peu, les fonds obtiendront des chiffres sur ces sujets précis”. De fait, les acteurs du private equity tendent actuellement à mettre davantage l’accent sur les actions, voire l’impact réel des entreprises dans lesquelles ils ont investi. Ainsi, Ecofi surpondère “les indicateurs d’impact en ajoutant ceux liés aux impacts réels de la politique des entreprises”, souligne Cesare Vitali. “Il ne s’agit plus aujourd’hui que de faire du reporting, mais aussi de mettre en oeuvre des actions tangibles pour obtenir un avantage compétitif et faire changer ces ETI non cotées de dimension. À l’avenir, les investissements seront fléchés vers les entreprises disposant d’une stratégie ESG. Cela deviendra un avantage compétitif pour elles, si la démarche est sincère et concrète”, conclut Guillaume Rebaudet.
“Il ne s’agit plus aujourd’hui que de faire du reporting, mais aussi de mettre en oeuvre des actions tangibles pour obtenir un avantage compétitif et faire changer ces ETI non cotées de dimension”