La levée de fonds, aussi une affaire d’avocats
Propriété intellectuelle, ‘management package’, ‘term sheet’ et autres BSA, des questions de spécialistes
Le moment de la levée de fonds est primordial pour le développement des startup. Pour ne pas entacher leur valorisation et gagner la confiance des investisseurs, 2
021 a été une très bonne année sur le marché du capital-risque. Les investisseurs institutionnels et les business angels se sont bousculés au portillon. Résultat, les start-up françaises ont levé 5,6 milliards d’euros au premier semestre 2021. En 7 ans, les montants investis dans les levées de fonds en France ont quasiment triplé. Mais pour profiter de tout cet argent disponible, les entrepreneurs ne sont pas toujours bien armés légalement. Propriété intellectuelle, droit social, gouvernance… Bon nombre de sujets peuvent se révéler épineux au moment des négociations avec les investisseurs, lorsque les fondateurs des start-up ne se sont pas assurés au préalable que toutes leurs affaires juridiques étaient en ordre. Bien souvent, les entrepreneurs qui débutent délaissent le volet juridique pour se concentrer sur le développement de leur produit ou de leur technologie. Et c’est quand il s’agit de lever des fonds les jeunes pousses doivent être irréprochables en matière de droit social, de droit des sociétés et de droit de la propriété intellectuelle. S’entourer d’avocats que les failles juridiques surgissent, empêchant parfois la bonne tenue d’un deal. Par exemple au moment de la “due diligence”, quand l’investisseur commence à auditer les comptes, les statuts et les process internes de la start-up qu’il compte financer. “Nous essayons de sensibiliser nos clients en amont et nous réalisons des mini-audits avec les fondateurs pour s’assurer que tout est en ordre. Et ce sont souvent les mêmes failles que l’on retrouve”, explique Laure Khemiri, avocate au sein du département corporate du cabinet August-Debouzy.
Conflits récurrents autour de la propriété intellectuelle
Les potentiels litiges en matière de droit social et de propriété intellectuelle sont en tête de liste. Le cas se produit lorque la start-up, au moment des négociations avec un investisseur, se rend compte qu’elle n’a pas de brevet sur la technologie qu’elle développe, ou que la propriété intellectuelle de cette innovation revient à l’un des salariés et non à la société. “On constate presque tous les jours ce problème-là, notamment quand les entrepreneurs travaillent avec des
Au moment de lever des fonds, les failles juridiques surgissent, empêchant parfois la bonne tenue d’un deal
free-lances, un statut qui peut poser problème lorsqu’il s’agit de rapatrier la propriété intellectuelle dans le capital de la start-up”, commente Guillaume de Ternay, avocat associé chez Apollo, un cabinet spécialisé dans les opérations de private equity et de LBO. De cette situation découlent de nombreux bras de fer entre free-lance ou salariés et dirigeants de start-up autour de la propriété intellectuelle de telle ou telle innovation. Une situation plus que problématique quand on spécialisés est la solution pour bien vérifier, négocier et rédiger les différents documents nécessaires à un tour de table réussi. sait que la technologie et le capital humain sont au coeur de la valorisation de de la start-up, qui affiche souvent à ses débuts pas ou peu de chiffre d’affaires. “Notre travail consiste alors à s’assurer que les contrats de travail contiennent bien toutes les clauses en matière cession de droits de propriété intellectuelle, ainsi que les clauses de non-concurrence”, expose Laure Khemiri. Mieux vaut en effet avoir recours à un avocat sur ce dossier, car une clause mal rédigée peut parfois se révéler non opposable.
Turbulences dans la gouvernance
L’entrée au capital d’investisseurs extérieurs peut aussi déstabiliser la gouvernance d’une start-up. “Les entrepreneurs doivent bien définir leur projet managérial avant de se lancer dans la levée de fonds. Notamment en délimitant bien le périmètre d’action des nouveaux actionnaires : qui pourra révoquer les dirigeants, quelles décisions stratégiques seront sujettes à un droit de veto de la part de l’investisseur…”, liste Olivia Guégen, avocate spécialisée en fusions-acquisitions et
private equity au sein bureau parisien du cabinet Dentons, expert du capital-risque en France et sur les marchés internationaux (ÉtatsUnis, Chine, Allemagne). Cette liste de décisions soumises à un droit de veto peut par exemple octroyer à l’investisseur un droit de regard en cas de changement d’activité, d’investissement imprévu ou d’augmentation de personnel, il pourra donc bloquer à sa guise des orientations stratégiques pour des raisons financières. Sur cette question, la tâche de l’avocat consiste à élaborer un savant compromis entre les managers qui veulent avoir les coudées franches pour développer leur business et les apporteurs de financement qui veulent sécuriser leur investissement. La situation se complique lorsqu’un groupe industriel qui investit en capital-risque est présent dans le pool d’investisseurs, faisant planer la menace d’un rachat complet à terme ou d’une absorption partielle ou totale de la technologie développée par la start-up. “À mon sens, faire rentrer une grosse capitalisation dans son capital, c’est se suicider au sens juridique du terme”, juge Florence Savouré, avocate associée chez Apollo, un cabinet qui accompagne des start-up jusqu’à la signature du pacte d’associés. Le recours à un avocat peut alors être précieux, afin de déterminer quelles informations les fondateurs peuvent garder pour eux, et lesquelles ils sont dans l’obligation de transmettre. “Les groupes industriels qui investissent dans des startup sont souvent là pour prendre un ticket et voir comment ça se passe, plutôt que pour absorber des technologies. Tout notre conseil consiste à déterminer avec qui on partage ces informations corporate, et à quel moment. Le timing est primordial”, considère encore Olivia Guégen.
‘Management package’
Les conseils juridiques sont aussi là pour aider les startuppers à négocier les termes du “management package”, autrement dit les outils et les mécanismes d’intéressement des salariés imposés par le fonds d’investissement. Un sujet sensible pour les entrepreneurs, qui craignent qu’on touche à leurs revenus ou de se retrouver pieds et poings liés face à une société de gestion de fonds ou un groupe industriel. Les investisseurs demandent souvent aux start-up des clauses d’inaliénabilité des titres pendant 5 ou 10 ans, c’est-à-dire l’interdiction faite aux dirigeants d’une start-up de vendre leurs parts sur cette période. Ici, l’avocat peut venir négocier des clauses de respiration, qui laisseront tout de même aux fondateurs la possibilité de vendre une partie des actions de leur société. Les clauses de “good et bad leaver” font aussi souvent peur aux entrepreneurs, car elles obligent un manager à vendre ses parts en deçà de leur valeur vénale si jamais il quitte son entreprise avant un délai fixé par les investisseurs. “Pourtant, la clause de ‘bad leaver’ permet aussi aux dirigeants de start-up de se protéger en cas de départ d’un associé, et donc d’assurer la pérennité de leur affaire”, commente Maxime Legourd, avocat chez August-Debouzy, un cabinet qui accompagne chaque année une dizaine de start-up françaises via son concours Start you up.
‘Term sheet’
La plupart de ces clauses juridiques sont décidées très vite dans la négociation, et sont inscrites noir sur blanc dans le “term sheet”, une lettre d’intention signée par l’investisseur et les fondateurs comme base de négociation. “Il est très important de bien rédiger les clauses de ce term-sheet car une fois signé cet accord de principe entre start-up et investisseurs, il est très difficile de modifier les termes du deal. Tout l’investissement est conditionné par ce premier document”, poursuit Maxime Legourd, bon connaisseur du dossier car spécialisé sur les questions de management package au sein du cabinet August-Debouzy. Globalement, ces négociations sont rodées et les instruments juridiques bien connus de tous. Lors des premiers tours de levées de fonds, les demandes des investisseurs sont souvent les mêmes. Les deals peuvent être conclus en quelques semaines. Une situation qui conduirait presque à rendre la présence d’un avocat superflue… “Mais ce serait oublier que les startup n’ont souvent pas bien structuré leurs statuts sociaux au début, qu’il y a des failles dans la gouvernance, ce qui vient très souvent compliquer les choses”, pointe Florence Savouré, avocate associée chez Apollo.
Actions préférentielles & BSA
Au fil des tours de financement, de nouvelles complexités juridiques peuvent aussi apparaître. “À chaque tour, la start-up va émettre des actions préférentielles, qui confèrent à l’investisseur qui les achète des droits supérieurs aux autres détenteurs du capital de la start-up. De facto, on en arrive à empiler des catégories d’actions, et cela amène à des subtilités en matière de droit des sociétés, de convocation d’AG”, ajoute Olivia Guégen. L’avocat peut ainsi conseiller les fondateurs de start-up quant à la structuration financière de leurs levées de fonds, le capital-risque utilisant des outils financiers spécifiques. Notamment les bons de souscription d’action, dits “BSA ratchets”, qui permettent aux investisseurs de se “reluer” sans coût supplémentaire en cas d’éventuelle baisse de valorisation de la start-up lors des tours de financement suivant celui dans lequel ils ont investi. Cette clause est très souvent demandée par les investisseurs minoritaires, qui cherchent à se protéger d’une dilution de leur capital.
Les dirigeants de start-up vont plutôt vouloir émettre des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSCPE), un outil financier d’intéressement des salariés. “Les fondateurs doivent être attentifs à cette question de l’intéressement de leurs équipes, car il s’agit souvent de profils très diplômés et très recherchés. Ici, les négociations portent souvent sur le plafond maximum distribué et la période de vesting, soit la durée au but de laquelle le salarié peut récupérer ses actions gratuites”, détaille Laure Khemiri. Plus les investisseurs prennent des risques financiers, et plus les mécanismes juridiques se complexifient par rapport à des opérations plus classiques de LBO ou de capital-développement. “Le vrai sujet, c’est le rapport de force entre fonds d’investissement et start-up”, relève Florence Savouré. En 2021, il fut très favorable aux patrons de la tech. 2022 ne devrait pas faire exception.
Plus les investisseurs prennent des risques financiers, et plus les mécanismes juridiques se complexifient par rapport à des opérations plus classiques de LBO ou de capitaldéveloppement.