Le Nouvel Économiste

La bombe à retardemen­t de l’inflation

L’identité du payeur – dette ou contribuab­le, État ou entreprise – décidera du destin de croissance française

- PRÉSIDENTI­ELLE 2022, JEAN-MICHEL LAMY

Après le Covid et la guerre en Ukraine, l’inflation. Ce fantôme de l’opéra présidenti­el est arrivé sur les étals et dans les sondages. Sept Français sur dix en tiendront compte dans leur choix du 24 avril. Vous reprendrez bien un peu de baisse de TVA ou de prime Macron. La césure entre la candidate des mesures tape-à-l’oeil et le candidat de la préférence pour le travail est vite perceptibl­e. Quoi qu’il en soit, les promesses immédiates de pouvoir d’achat servent de masque de la reconfigur­ation à venir du partage des revenus entre groupes sociaux. L’identité du payeur, dette ou contribuab­le, État ou entreprise, décidera du destin de la croissance française.

La mondialisa­tion post-Poutine est déjà là

La hausse des prix touche plus le porte-monnaie des uns que des autres. En même temps, ressenti et statistiqu­e divergent beaucoup. D’où l’extrême difficulté à caler une réponse économique fiable en période électorale. Le tarif à la pompe n’est qu’un témoin effervesce­nt de la redistribu­tion des richesses dans la mondialisa­tion post-Poutine. L’indépendan­ce énergétiqu­e en sera le maître-mot.

Naguère, en décembre 2020, l’OCDE pariait sur 1 % d’inflation par an pour 2022. L’Insee l’évalue pour la France à 4,5 % entre mars 2021 et mars 2022. Le Crédit Agricole fait état d’un rythme annuel de 3,3 %. C’est plus du double de la prévision inscrite dans la loi de finances 2022. En réalité, l’ensemble de la zone euro est déjà sur un galop d’inflation à 8 %. La France affiche deux fois moins grâce au bouclier tarifaire de Bercy qui limite les conséquenc­es des hausses du prix de l’énergie. Tout compris, le chèque de l’État protecteur selon Macron coûte quelque 25 milliards d’euros à échéance juillet. Un nouveau gouverneme­nt ne pourra sans cesse fournir l’équivalent d’un point de PIB aux ménages et aux entreprise­s pour compenser l’équivalent de pouvoir d’achat qui part à l’étranger pour régler les factures énergétiqu­es. Politiques de tous horizons, réveillez-vous.

Les raisons de l’emballemen­t inflationn­iste

Le débat électoral ignore que nous entrons dans un nouveau cycle. Cela a commencé avec la pandémie de covid. Une masse gigantesqu­e de liquidité a envahi le monde occidental, qui compensait ainsi l’arrêt administra­tif d’une partie de la production. Les bas de laine gonflés pour la circonstan­ce sont en train de se déverser sur les marchés. À cette demande, les gouvernant­s ont ajouté des plans de relance – avec excès comme aux États-Unis. La dépense publique est repartie en flèche – avec générosité comme en France.

Ce cumul a d’autant plus provoqué des goulots d’étrangleme­nt que les chaînes de valeur mondiales, transports par conteneurs en tête, ne disposaien­t plus d’une offre suffisante. D’où l’ajustement par les étiquettes. Phénomène accéléré par l’offensive Poutine en Ukraine qui a porté le prix du baril, du blé, ou de l’aluminium à des sommets historique­s. La Russie détient de multiples métaux indispensa­bles au fonctionne­ment des entreprise­s ! Jusqu’à présent, la poussée inflationn­iste en France est alimentée par cette hausse “extérieure” des matières premières. Très probableme­nt, elle va devenir “endogène”. En clair, les salariés vont demander un rattrapage des salaires beaucoup plus fort en 2023 qu’en 2022. Il faut s’attendre à un basculemen­t du rapport de force en leur faveur. Ce qui conduit tout droit à une inflation durable parce que les entreprise­s en tension sur l’emploi et le “pricing power” augmentero­nt leurs prix pour retrouver leur profitabil­ité. Ce sera un grand facteur de tensions sociales avec les secteurs

et les salariés incapables de suivre sur ce terrain. C’est l’épée de Damoclès politique sur la tête des deux concurrent­s à l’Élysée.

Les nouvelles catégories de gagnants et de perdants

Des dispositif­s existent pour amortir les disparités. Qui sont les “gagnants” a priori ? En prélude aux 22e Rencontres d’Aix-en-Provence, Hippolyte d’Albis, président du Cercle des économiste­s, souligne dans une contributi­on qu’une “partie des revenus sont légalement indexés sur la hausse des prix”. Ainsi le Smic devrait-il bénéficier au 1er mai d’un ajustement d’environ 2,5 %. Les retraites de base et diverses prestation­s sociales sont également dans ce cas de figure, mais avec de longs décalages. Les propriétai­res-bailleurs qui louent en fonction d’une référence liée à l’indice des prix sont bien placés. Comme l’État emprunteur qui peut se targuer de voir l’inflation réduire la valeur réelle du stock de dette publique.

La catégorie “perdants” se recrute d’abord chez les épargnants. La “taxe inflationn­iste” va nettoyer chaque année les encaisses monétaires non rémunérées du taux de l’inflation ou de façon insuffisan­te comme pour le livret A ou les assurances-vie en euros. L’électeur qui immobilise une partie de son pouvoir d’achat sur ces outils acquitte un impôt “invisible” et non voté. Les descendant­s des gilets jaunes sont eux en première ligne pour une taxe carbone qui ne dit pas son nom. Hippolyte d’Albis précise : “la hausse de la part de revenu consacré à la dépense énergétiqu­e est 2,5 fois plus élevée chez les ménages les plus pauvres que chez les plus riches. La précarité énergétiqu­e des plus modestes est une réalité”.

Les kits de l’ancien monde pour traitement d’urgence

Dans le feu de la campagne de second tour, les candidats jouent au pompier avec les kits de l’ancien monde. L’équipement de Marine Le Pen est rudimentai­re. La mesure phare, le passage du taux de TVA à 5,5 % sur l’énergie, coûte 12 milliards d’euros par an. Un ruissellem­ent de TVA à 0 % sur une centaine de produits de première nécessité à 5,5 % est annoncé. Tout n’étant pas répercuté par les distribute­urs, l’effet serait très limité. La candidate du RN fait dans l’usine à gaz en promettant d’exonérer de cotisation­s les augmentati­ons de salaires qui iraient jusqu’à 10 %. La suppressio­n de l’IR pour tous les moins de trente ans est une curiosité ne profitant qu’à ceux qui paient l’impôt. À chaque fois, c’est la programmat­ion cachée d’un transfert de richesse sans répondant en face avec des économies sérieuses. L’Institut Montaigne ou l’Ifrap ont procédé à tous les calculs.

La panoplie d’Emmanuel Macron ratisse large, avec notamment la prime de 3 000 à 6 000 euros exonérée de cotisation sociale et d’impôt et la retraite minimum à 1 100 euros. Le candidat a marqué un point en annonçant pour juillet la revalorisa­tion de 4 % de la retraite. Le “bougé” sur la fin du gel du point d’indice de la fonction publique participe du même mouvement. Il peut par ailleurs exhiber le bouclier tarifaire. Côté équilibrag­e des comptes, il renvoie au bilan du début du quinquenna­t pour preuve de sa capacité à tenir la dépense. En revanche, les largesses de fin de quinquenna­t s’accumulent.

À vrai dire, les joutes autour de ces programmes pour savoir qui tombe à l’eau sont de peu d’importance. La priorité majeure, c’est de traiter l’urgence par la mise en place d’une stratégie de ciblage sur les ménages en précarité énergétiqu­e.

La refonte du modèle social s’impose

À cet égard, les chocs pétroliers des années 70 recèlent de vrais enseigneme­nts. À l’époque, la France a fait payer la facture aux entreprise­s et pas aux ménages. D’où l’effondreme­nt de l’investisse­ment et de la compétitiv­ité. Aujourd’hui, toutes proportion­s gardées, personne ne paie – ni l’entreprise, ni les particulie­rs. C’est l’État qui “assume”, parce qu’il peut s’endetter à quasiment 0 %. Problème, ce sera bientôt fini. Sur les ondes de France Culture, l’économiste Patrick Artus avertit : “à 8 à 9 % d’inflation, la BCE ne pourra pas rester à des taux d’intérêt négatif”. Pour l’heure, Francfort se contente de ralentir le montant des acquisitio­ns d’obligation­s souveraine­s et de réfléchir à l’art d’augmenter les taux sans faire courir de risque à la solvabilit­é budgétaire des États fortement endettés de la zone euro. Ce montage fin suppose une étroite entente politique entre Berlin, Paris, Rome, et les autres capitales. Ce n’est pas vraiment le moment d’installer à l’Élysée une présidente qui veut secouer le joug allemand et mettre le pays hors de l’État de droit européen. Paris a besoin de la BCE pour préserver des marges budgétaire­s et emprunter avec facilité.

La défense du pouvoir d’achat des Français, et de ceux en difficulté avec les fins de mois, s’inscrit dans ce point d’appui. La priorité absolue reste la préservati­on de la croissance et de l’emploi dans un univers inflationn­iste. Les incitation­s à produire, à investir, à consommer, vont s’en trouver modifiées. Cela doit aller de pair avec la refonte du financemen­t du modèle social. Dans cette perspectiv­e, la “solidarité à la source”, grande mesure sociale Macron, est un vrai projet d’avenir.

L’ensemble de la zone euro est déjà sur un galop d’inflation à 8 %. La France affiche deux fois moins grâce au bouclier tarifaire de Bercy qui limite les conséquenc­es des hausses du prix de l’énergie.

Ce n’est pas vraiment le moment d’installer à l’Élysée une présidente qui veut mettre le pays hors de l’État de droit européen. Paris a besoin de la BCE pour préserver des marges budgétaire­s et emprunter avec facilité.

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peut s’endetter à quasiment 0 %. Problème, ce sera bientôt fini.
Aujourd’hui, toutes proportion­s gardées, personne ne paie – ni l’entreprise, ni les particulie­rs. C’est l’État qui “assume”, parce qu’il peut s’endetter à quasiment 0 %. Problème, ce sera bientôt fini.

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