Le virage en stand-by
Pour concrétiser les ambitions de la réforme de la formation professionnelle, le plus dur reste à faire : changer la culture du diplôme
Les grandes écoles pensaient naturellement recueillir les fruits d’une évolution sociétale majeure, celle de la “formation tout au long de la vie”. Un marché promis au gigantisme dans un monde où une innovation chasse l’autre et emmène avec elle une pléiade de nouveaux métiers et d’outils auxquels il faut bien former ses troupes. Seulement ces écoles, aussi réputées soient-elles, ne sont pas devenues subitement une solution naturelle pour des DRH qui les estiment parfois trop pointues, peu agiles et surdimensionnées par rapport à leurs besoins et aux publics qu’ils aimeraient leur confier. Comment se mettent-elles en ordre de marche pour s’adapter aux PME, TPE ou aux demandeurs d’emploi ? Bien des questionnements sont en cours dans l’enseignement, qui dépassent celui du financement pour se heurter à des représentations sociales bien ancrées.
Depuis si longtemps, on dit d’elle qu’elle est l’avenir. La formation continue, ou “tout au long de la vie” comme le veut une expression empruntée au monde anglo-saxon (long life learning) a du mal à faire oublier la culture, bien française celle-ci, du diplôme initial. La loi ORE (Orientation et réussite des étudiants) de 2018, en créant les Opco (opérateurs de compétence) et instituant le CPF (compte personnel de formation), devait faire de chaque actif le pilote de ses projets de formation. Mais si le CPF n’est pas fondamentalement remis en cause, son
utilisation reste en deçà des ambitions originelles.
Peu de pays au monde affichent ce goût indétrônable pour le diplôme, observe Makram Chemangui, directeur d’Audencia Executive Education, la branche formation continue de la grande école nantaise : “Aux États-Unis, la logique de la formation professionnelle n’est pas connectée à la notion de certification. Le sujet est l’évolution de carrière possible”, explique-t-il. OutreAtlantique, les premières questions des salariés soucieux de se former iront aux compétences requises pour décrocher un poste, et au calcul habile du “salary gap” (saut de rémunération). L’importance de la reconnaissance académique chez
nous n’est pas seulement l’affaire de salariés méfiants : elle est tout aussi prégnante chez les collaborateurs que chez leurs dirigeants, tout comme chez les demandeurs d’emploi et personnes en reconversion – c’est donc bien de culture collective dont nous parlons. “En Scandinavie, lorsque vous recrutez un collaborateur, vous passez le plus clair de votre temps à parler de vie privée, à chercher dans l’expérience du candidat des clés pour cerner sa personnalité, imaginer comment il s’intégrera dans l’équipe. Le diplôme est reconnu, mais pas fondamental”, détaille Chakram Chemangui.
Trop de dogmatisme, trop peu d’agilité
Seulement, pour obtenir un diplôme officiel en France, il faut généralement du temps. Sauf à s’adresser à des organismes spécialisés qui délivreront des certificats sur des formations de quelques jours. “De fait, l’enseignement supérieur ne représente qu’une petite partie de la formation continue”, rappelle Coralie Perez, ingénieure de recherche au Centre d’économie de la Sorbonne, qui a mené nombre d’études sur le sujet de l’accès à la formation. Les grandes écoles, qui se voyaient il y a quelques années comme les
récipiendaires naturels du “long life learning” et affichaient des objectifs flamboyants en la matière, ont vu le volume de l’executive education progresser péniblement, et sa part dans leur chiffre d’affaires global stagner entre 10 et 15 %, à l’exception des quelques marques très prestigieuses.
Partant de ce constat, et si elles ne veulent pas voir le marché continuer de leur échapper dans les grandes largeurs, les écoles revoient leur positionnement. C’est ce qu’a fait EM Normandie, plaçant il y a trois ans un entrepreneur, Christophe Yver, à la tête de sa formation continue. “Mon souci a justement été de continuer à penser comme un entrepreneur, non comme une grande école. Cela signifie prendre le temps d’écouter les entreprises de ma région, comprendre leurs besoins et identifier les obstacles qui nous séparent”, explique Christophe Yver, qui choisit dès 2019 d’utiliser “toutes les ressources de l’école” en faisant germer son projet Formation continue au sein même de l’incubateur EM Normandie. Premiers problèmes des grandes écoles pour performer sur ce marché : le dogmatisme et l’agilité. “Trop grandes, complexes et pas assez