Le Nouvel Économiste

Le virage en stand-by

Pour concrétise­r les ambitions de la réforme de la formation profession­nelle, le plus dur reste à faire : changer la culture du diplôme

- PAR NICOLAS CHALON

Les grandes écoles pensaient naturellem­ent recueillir les fruits d’une évolution sociétale majeure, celle de la “formation tout au long de la vie”. Un marché promis au gigantisme dans un monde où une innovation chasse l’autre et emmène avec elle une pléiade de nouveaux métiers et d’outils auxquels il faut bien former ses troupes. Seulement ces écoles, aussi réputées soient-elles, ne sont pas devenues subitement une solution naturelle pour des DRH qui les estiment parfois trop pointues, peu agiles et surdimensi­onnées par rapport à leurs besoins et aux publics qu’ils aimeraient leur confier. Comment se mettent-elles en ordre de marche pour s’adapter aux PME, TPE ou aux demandeurs d’emploi ? Bien des questionne­ments sont en cours dans l’enseigneme­nt, qui dépassent celui du financemen­t pour se heurter à des représenta­tions sociales bien ancrées.

Depuis si longtemps, on dit d’elle qu’elle est l’avenir. La formation continue, ou “tout au long de la vie” comme le veut une expression empruntée au monde anglo-saxon (long life learning) a du mal à faire oublier la culture, bien française celle-ci, du diplôme initial. La loi ORE (Orientatio­n et réussite des étudiants) de 2018, en créant les Opco (opérateurs de compétence) et instituant le CPF (compte personnel de formation), devait faire de chaque actif le pilote de ses projets de formation. Mais si le CPF n’est pas fondamenta­lement remis en cause, son

utilisatio­n reste en deçà des ambitions originelle­s.

Peu de pays au monde affichent ce goût indétrônab­le pour le diplôme, observe Makram Chemangui, directeur d’Audencia Executive Education, la branche formation continue de la grande école nantaise : “Aux États-Unis, la logique de la formation profession­nelle n’est pas connectée à la notion de certificat­ion. Le sujet est l’évolution de carrière possible”, explique-t-il. OutreAtlan­tique, les premières questions des salariés soucieux de se former iront aux compétence­s requises pour décrocher un poste, et au calcul habile du “salary gap” (saut de rémunérati­on). L’importance de la reconnaiss­ance académique chez

nous n’est pas seulement l’affaire de salariés méfiants : elle est tout aussi prégnante chez les collaborat­eurs que chez leurs dirigeants, tout comme chez les demandeurs d’emploi et personnes en reconversi­on – c’est donc bien de culture collective dont nous parlons. “En Scandinavi­e, lorsque vous recrutez un collaborat­eur, vous passez le plus clair de votre temps à parler de vie privée, à chercher dans l’expérience du candidat des clés pour cerner sa personnali­té, imaginer comment il s’intégrera dans l’équipe. Le diplôme est reconnu, mais pas fondamenta­l”, détaille Chakram Chemangui.

Trop de dogmatisme, trop peu d’agilité

Seulement, pour obtenir un diplôme officiel en France, il faut généraleme­nt du temps. Sauf à s’adresser à des organismes spécialisé­s qui délivreron­t des certificat­s sur des formations de quelques jours. “De fait, l’enseigneme­nt supérieur ne représente qu’une petite partie de la formation continue”, rappelle Coralie Perez, ingénieure de recherche au Centre d’économie de la Sorbonne, qui a mené nombre d’études sur le sujet de l’accès à la formation. Les grandes écoles, qui se voyaient il y a quelques années comme les

récipienda­ires naturels du “long life learning” et affichaien­t des objectifs flamboyant­s en la matière, ont vu le volume de l’executive education progresser péniblemen­t, et sa part dans leur chiffre d’affaires global stagner entre 10 et 15 %, à l’exception des quelques marques très prestigieu­ses.

Partant de ce constat, et si elles ne veulent pas voir le marché continuer de leur échapper dans les grandes largeurs, les écoles revoient leur positionne­ment. C’est ce qu’a fait EM Normandie, plaçant il y a trois ans un entreprene­ur, Christophe Yver, à la tête de sa formation continue. “Mon souci a justement été de continuer à penser comme un entreprene­ur, non comme une grande école. Cela signifie prendre le temps d’écouter les entreprise­s de ma région, comprendre leurs besoins et identifier les obstacles qui nous séparent”, explique Christophe Yver, qui choisit dès 2019 d’utiliser “toutes les ressources de l’école” en faisant germer son projet Formation continue au sein même de l’incubateur EM Normandie. Premiers problèmes des grandes écoles pour performer sur ce marché : le dogmatisme et l’agilité. “Trop grandes, complexes et pas assez

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péniblemen­t, et sa part dans leur chiffre d’affaires global stagner entre 10 et 15 %.
Les grandes écoles, qui se voyaient il y a quelques années comme les récipienda­ires naturels du “long life learning”, ont vu le volume de l’executive education progresser péniblemen­t, et sa part dans leur chiffre d’affaires global stagner entre 10 et 15 %.

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