Edtechs, l’heure du tri
Passée la “zoomification” forcée, l’enseignement supérieur aborde une nouvelle vague faite d’IA, de neurosciences et d’environnements collaboratifs
Après deux ans de cours forcés en visioconférence, le débat distanciel vs présentiel est derrière nous. L’apport des edtechs, ou technologies de l’éducation, est désormais centré sur l’accompagnement des étudiants et l’individualisation de leur parcours
Les étudiants semblent si heureux de retrouver leur bonne vieille salle de classe qu’il serait malvenu de leur reparler dès maintenant de cours à distance. Depuis plus de deux ans que la covid sépare ponctuellement les écoles de leurs élèves, la fierté d’avoir réussi à passer les enseignements à distance et l’engouement suscité ont laissé place à une vision plus nuancée. “Beaucoup de professeurs n’en pouvaient plus de faire cours à des vignettes”, admet Stéphanie Lavigne, directrice générale de Toulouse Business school (TBS), qui fut l’une des premières ravies de revoir ses 5 500 étudiants sur les campus. Elle n’est pourtant pas vraiment considérée comme réfractaire au digital. “L’innovation pédagogique est une marque de fabrique de TBS. C’est ce qui nous distingue ; beaucoup de professeurs choisissent de nous rejoindre en partie pour cela”, souligne même Stéphanie Lavigne.
Halte au tout-distanciel
d’apprentissage, non à travers la seule transmission de connaissances, mais par la multiplication des expériences et des situations qui permettent l’acquisition de compétences. Dans ce cadre, les apports des sciences cognitives et de l’intelligence artificielle s’avèrent
La pandémie a pu créer une confusion entre distanciel et edtechs, ces nouvelles technologies de l’éducation. Or, la visioconférence n’est qu’une petite partie des innovations à l’oeuvre dans le domaine. Le débat qui a pu avoir lieu en 2020 sur l’utilité réelle d’un campus ou l’importance d’une salle de cours semble derrière nous. “La question pouvait légitimement se poser. A-t-on vraiment besoin de demander aux étudiants de venir physiquement ? Nous avons répondu oui, dès lors que ce temps passé est une expérience inoubliable”, plaide Stéphanie Lavigne qui, joignant le geste à la parole, travaille sur l’ouverture d’un campus de 8 000 m2 à Barcelone à la rentrée prochaine et le déménagement de la maison mère dans un bâtiment de 31 500 m2 en plein coeur de Toulouse.
De quoi trancher la question : le distanciel ne sera pas, a priori, la priorité de TBS. Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de nouveautés : “nous devons sortir du schéma de l’école classique pour inspirer et insuffler de l’innovation à tous les étages”, annonce Stéphanie Lavigne. Cela passe par une multitude de détails, comme
Plus agiles que les ministères, ce sont souvent les start-up qui conçoivent et expérimentent les outils éducatifs
“expérimenter des diffuseurs d’odeurs dans certaines parties du campus, et pas les autres, afin de pouvoir évaluer leur impact”, illustre la directrice, qui use elle-même de l’hologramme pour animer certaines réunions ou s’adresser directement aux étudiants de ses campus de Barcelone et de Casablanca. Mais l’avenir de essentiels pour seconder tant l’enseignant que l’apprenant. Un modèle qui conquiert les grandes écoles et la formation continue, qui voient l’intérêt d’une pédagogie faite de séquences synchrones/asynchrones et d’environnements de travail collaboratifs.
l’enseignement passe surtout par l’application de toutes nouvelles connaissances scientifiques. Six ingénieurs pédagogiques sont désormais à l’oeuvre à TBS.
Sur les tables de chevet de ces nouveaux profils, devenus cibles de toute école qui se respecte, s’empilent les études sur des neurosciences et sciences cognitives en pleine ébullition, l’intelligence artificielle (IA) et ses applications éducatives, le machine learning, le traitement automatique des langues, les réalités augmentée/virtuelle, la blockchain pour garantir la fiabilité des diplômes et certifications… Et pas une semaine ne passe sans qu’une école se voie proposer une application révolutionnaire germant dans un incubateur edtech.
Sciences cognitives à l’appui
C’est d’ailleurs souvent à l’échelle des start-up, par nature plus agiles que les ministères de l’Éducation
nationale ou de l’Enseignement supérieur, que les outils éducatifs sont conçus et expérimentés. Ils le sont auprès des enseignants, trop
facilement réputés hostiles à l’intégration de technologies dans leurs cours : “quand on présente les profs comme résistants au numérique, on ne saurait être plus loin de la vérité”, affirme Thierry de Vulpillières, fondateur d’Evidence B, start-up produisant des contenus éducatifs adaptatifs, principalement – pour le moment – à destination de l’enseignement primaire et secondaire, et primés par peu ou prou tous les salons edtech du monde. Pour ce philosophe de formation, se déclarer pour ou contre l’IA ou les outils numériques n’a aucun sens ; le sujet est purement éducatif. “Les systèmes se sont massifiés, avec toujours plus d’élèves mais aussi de laissés-pourcompte”, analyse-t-il. Selon l’Unesco, près de 60 % des enfants du monde ont des problèmes pour lire, écrire et compter. Autre donnée que Thierry de Vulpillières aime à évoquer : “alors qu’un bébé à la naissance a le sens des proportions, 75 % des enfants scolarisés pensent que 2/5 est plus grand que 1/2. Il y a là un point de blocage dans l’apprentissage. Notre travail est d’identifier de tels blocages et de proposer un chemin pour les résoudre”. Lequel chemin s’appuie sur quantité de travaux “qui nous apprennent tant de nouvelles choses sur la manière dont notre cerveau fonctionne”, et des collaborations avec des dizaines de chercheurs en “sciences co” (sciences cognitives), laboratoires et centres de recherche.
Soulager les professeurs
Comme dans tout secteur, l’innovation passe d’abord par la résolution d’un problème. Les deux tâches qui mobilisent le plus de temps et génèrent le plus de stress aux professeurs sont la préparation des cours et la correction des copies. Evidence B propose de les aider en priorité sur ces deux aspects, à travers la conception de logiciels d’exercices de maths, langue maternelle, langues étrangères et histoire-géographie. Des “modules” concentrant de 300 à 6 000 exercices à travers lesquels l’élève trace son chemin, au gré de ses réussites et échecs, tandis que le professeur dispose d’un tableau de bord lui permettant de suivre au plus près l’évolution de chacun, l’alertant sur certains blocages. Néanmoins, “c’est lui qui tiendra toujours les rênes du cours, car il a un avantage inappréciable sur la machine : il connaît ses élèves et les éléments de contexte à l’instant T”, promet le directeur général d’Evidence B. En un mot, le prof sait, la plupart du temps, pourquoi un élève n’est pas dans son assiette ce jour-là, ou à côté de quel élément perturbateur il s’est assis. Relativisant du même coup l’éclairage de l’IA et surtout de ces modules, “comme un paquet de copies déjà corrigées”, estime le cofondateur d’Evidence B.
Côté design, l’UX et l’UI (pour User’s eXperience et Interface) sont des éléments importants de ces nouveaux supports de cours, mais pas question de parler de gamification : “il ne s’agit pas de jouer, mais d’apprendre. Si vous mettez des diplodocus au milieu d’une opération, les élèves se souviennent du diplodocus, pas de l’opération”, illustre-t-il. Si l’interface est jolie, ce n’est qu’au service d’objectifs précis de compréhension et de mémorisation. Le passage des nouveaux outils de la start-up aux salles de classe demeure complexe, particulièrement dans le “K12”, à savoir l’ensemble du monde scolaire et périscolaire, lequel ne concentre que 20 % du chiffre d’affaires des edtechs, marché encore jeune et peuplé d’acteurs de petite taille (65 % des entreprises comptent moins de 10 salariés). Les modules d’exercices d’Evidence B, appelés Adaptiv’Math ou encore Adaptiv’Langue ont pourtant réussi à convaincre la région Ilede-France, “dont 80 % des lycées ont téléchargé notre application”, annonce Thierry de Vulpillières. Le fondateur d’Evidence B mène aussi des discussions sur le plan national avec le ministère de l’Éducation pour un éventuel déploiement d’Adaptiv’Math dans toutes les écoles primaires de France, et a été choisi par la Commission européenne pour déployer un module adaptif (dédié à l’IA) dans quatre pays de l’Union.
Rien sans humains
Dans l’enseignement supérieur, et surtout la formation professionnelle, le distanciel reste un axe de développement majeur, loin de l’image simpliste, brutale et topdown (le professeur délivre son cours aux étudiants isolés derrière leur écran) que les confinements successifs nous ont fait connaître, plaide Gilles Pouligny, directeur général adjoint du Groupe IGS : “nous savons que les technologies sont disponibles. Notre sujet doit être pédagogique”. Le développement de compétences en ligne ne s’improvise pas et suppose de concevoir “des modules de cours spécifiques, de former les formateurs ou encore d’en recruter de nouveaux”. Un investissement que le Groupe IGS a commencé à développer bien avant la covid sous le concept de “digital learning accompagné”. Aujourd’hui, ces formations 100 % en ligne délivrent 6 titres reconnus, 25 certificats (appelés blocs de compétences) découpés en centaines de modules sur trois grandes filières du groupe : ressources humaines, management et commerce/marketing. Chaque module réunit un ensemble de bonnes pratiques désormais connues des formations en ligne : séquences courtes et rythmées, formats variés, évaluations fréquentes sous forme de quiz, serious games, classes virtuelles et forums déclinés par thèmes pour que les étudiants, qu’ils soient appelés ainsi ou “apprenants” ou “stagiaires”, puissent échanger.
Des deux côtés de l’écran, des humains parlent aux humains et “c’est toujours l’accompagnement qui détermine la réussite, jamais la modalité d’enseignement choisie”, affirme Gilles Pouligny. Les stagiaires de la formation continue du Groupe IGS bénéficient de cet accompagnement individuel et collectif assuré par des experts et coachs métier sur un campus digital accessible 24 h/24 sur tout appareil disposant d’une connexion internet. Un mode de formation tellement pratique pour ce public – souvent des salariés en poste souhaitant passer un cap ou faire certifier les compétences acquises au fil des ans – qu’il n’est pas envisageable de s’en passer dans les années à venir. “Se former en ligne, ce n’est pas se former seul”, insiste Gilles Pouligny. La valeur ajoutée des programmes vient de l’habile articulation entre séquences synchrones/asynchrones et la mise en place d’environnements de travail collaboratifs permettant de délivrer ce qui fait, finalement, le vrai “sel” d’une formation : le partage, avec ou sans smileys.
Des deux côtés de l’écran, des humains parlent aux humains et “c’est toujours l’accompagnement qui détermine la réussite, jamais la modalité d’enseignement choisie”