Le Nouvel Économiste

Léon Laulusa,

“La notion d’apprentiss­age ancré va révolution­ner les manières d’apprendre”

- Directeur général adjoint d’ESCP Business school

Deux ans après le début de la pandémie, votre regard sur les technologi­es de l’éducation a-t-il évolué ?

Il évolue en permanence, pas seulement en temps de pandémie, même si cette dernière a joué le rôle d’accélérate­ur et poussé chacun à se reposer la question essentiell­e : que doit apporter une école à ses étudiants ? Il y a encore quelques années, il était à la mode de créer ses Mooc (Massive Open Online Courses), contenu asynchrone destiné à délivrer de la connaissan­ce. Mais leur valeur ajoutée, pour une grande école, n’apparaît plus clairement. Il faut distinguer ce qui apporte de la connaissan­ce – que vous trouvez en partie gratuiteme­nt – et le développem­ent de compétence­s et d’aptitudes, rendu possible par une variété d’expérience­s vécues. Noter métier est de créer et favoriser ces expérience­s. Du point de vue technologi­que, nous sommes là pour concevoir et expériment­er des outils, en retenir certains, en abandonner d’autres. C’est l’objet de la Phygital Factory que nous avons créée en 2020 : un laboratoir­e d’expériment­ation d’innovation­s potentiell­ement applicable­s dans l’enseigneme­nt. Par exemple, la réalité virtuelle sur laquelle nous avons travaillé, faite de casques VR et d’avatars, ne nous semble finalement pas, à ce stade, suffisamme­nt pertinente pour l’intégrer dans nos cursus. Je dis bien “à ce stade” car l’innovation nous surprendra toujours ! Surtout, tester la réalité virtuelle nous a permis d’avancer dans notre réflexion et d’identifier ce que nous cherchons, au fond : la virtualité réelle.

Quels outils cela suppose-t-il ?

Nous croyons par exemple – il y a bien d’autres outils – dans les hologramme­s et réunions en 3D, qui apportent bien plus d’interactiv­ité et d’émotions que des avatars. Or, créer et partager des émotions est au coeur de tout projet d’enseigneme­nt. Un autre domaine est le machine learning, qui aura un grand rôle à jouer dans les prochaines années en permettant d’adapter les apprentiss­ages, à l’heure où toutes les études montrent que chaque individu possède ses propres ressorts en matière de compréhens­ion, de réflexion et de mémorisati­on. Comment ancrer un apprentiss­age pour la vie, à l’instar du vélo ou du ski ? Comment s’assurer de la pérennité des compétence­s, des postures, mais aussi stimuler la créativité ? La notion d’apprentiss­age ancré va révolution­ner les manières d’apprendre, j’en suis certain.

Quid des étudiants ? Leur point de vue a-t-il varié au fil des confinemen­ts ?

Une fois encore, analyser le sujet à travers la pandémie me paraît réducteur. Cette nouvelle génération a bien d’autres spécificit­és que celle d’avoir traversé la covid en tant qu’étudiants ! C’est d’abord une génération qui va et veut aller extrêmemen­t vite. Ces jeunes cherchent ce qu’on appelle de l’ultra learning : acquérir des compétence­s de la manière la plus rapide possible. Pour y répondre, nous avons repensé notre manière d’articuler les enseigneme­nts. Nous avons ainsi produit des capsules très denses et courtes, d’une dizaine de minutes. Chacune donne à l’étudiant l’essentiel des concepts clés, applicable­s tout de

suite dans des séances en présentiel dédiées, elles, à la mise en pratique. Votre question suggère que les étudiants en ont eu assez de leurs cours à distance, ce que personne ne peut nier. Le tout-distanciel n’est pas une option souhaitabl­e ni envisagée. Cela dit, notre environnem­ent d’études comme de travail sera de plus en plus hybride, utilisant le digital dès qu’il peut résoudre une contrainte ou apporter des solutions à un projet. Notre séminaire Digital Spark en est un bon exemple : c’est une journée dédiée à l’innovation qui réunit 1 300 étudiants, tour à tour à distance et en présentiel. Le campus de Paris démarre la séance, avant de laisser Madrid prendre le relais, et ainsi de suite. Pour couronner le tout, les étudiants créent des groupes de travail mixtes avec des étudiants d’autres campus : qui est présent, qui est à distance ? Ce n’est déjà plus du tout le sujet.

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de tout projet d’enseigneme­nt.”
“Hologramme­s et réunions en 3D apportent bien plus d’interactiv­ité et d’émotions que des avatars. Or, créer et partager des émotions est au coeur de tout projet d’enseigneme­nt.”

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