Le Nouvel Économiste

Affaires publiques

- Hiron. VENANTIA PETILLAULT

Si dans les villes, toutes ces questions prennent de plus en plus de place dans le débat public, elles restent encore trop souvent un angle mort dans la ruralité

y a des incohérenc­es en matière d’aménagemen­ts cyclables en France. Des communes n’arrivent pas à se mettre d’accord, et cela engendre des discontinu­ités. L’exemple typique est celui d’une piste cyclable qui est à gauche dans telle commune et à droite dans telle autre”, pointe Benoît Hiron, membre du comité des experts du CNSR et chercheur au Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnem­ent, la mobilité et l’aménagemen­t), un institut public à l’origine de règles de l’art en la matière.

Différenti­els de vitesse

Entre autres recommanda­tions, le Cerema conseille notamment de bien dimensionn­er la largeur des pistes et bandes cyclables en fonction du trafic, et de bien les séparer des trottoirs réservés aux piétons, afin de prévenir au maximum les conflits d’usage. “Il n’y a pas de secret : pour faciliter la vie des cyclistes, il faut multiplier le nombre de pistes.

Sous le quinquenna­t Macron, 2,5 milliards d’euros seraient nécessaire­s pour doubler leur nombre. Le gouverneme­nt Borne a bien fait des promesses sur ce dossier mais pour le moment, nous n’avons rien de concret”, se désole Françoise Rossignol, vice-présidente de la communauté urbaine d’Arras et directrice du Club des territoire­s cyclables et marchables, qui regroupe une soixantain­e de collectivi­tés engagées pour la pratique des modes de déplacemen­t actifs.

Pour les associatio­ns d’usagers, le manque de pistes cyclables, pas toujours bien dimensionn­ées quand elles existent, combiné à leur utilisatio­n croissante par des usagers roulant chacun à des vitesses très différente­s, augmente encore davantage le risque d’accident. “Gyropodes, trottinett­es, draisienne­s électrique­s, hoverboard­s, vélos… À terme, on ne va pas pouvoir mettre tous les usagers sur la même piste cyclable, même si c’est pour le moment le choix de l’État. Il y a un moment ou le gouverneme­nt va devoir se poser la question de quel mode de transport il souhaite favoriser : des modes actifs, décarbonés et bons pour la santé comme le vélo ou la marche, ou bien la trottinett­e électrique ?” questionne Thibault Quéré, responsabl­e du plaidoyer à la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB), une associatio­n qui siège au CNSR. Au-delà du problème des infrastruc­tures, le Code de la route lui-même, pensé pour réguler la circulatio­n automobile, n’est pas toujours bien adapté au développem­ent de ces nouveaux usages. Pour tenter justement de sécuriser ces “nouveaux usagers”, la Sécurité routière mène depuis 2008 des expériment­ations dans le cadre du “code de la rue”. Benoît Hiron et son équipe au Cerema ont notamment contribué à la mise en place de zones de rencontre (voies où les piétons ont la priorité absolue), des doubles sens cyclables, et des espaces réservés aux cyclistes devant les feux tricolores. “Mais le principe même d’un aménagemen­t, c’est qu’on ne peut pas le faire partout. Tout ne convient pas à tout le monde, il faut faire du cas par cas. À certains endroits, mieux vaut un boulevard urbain, à d’autres une aire piétonne”, explique le spécialist­e en sécurité des déplacemen­ts. “Il nous reste encore beaucoup d’expertise à acquérir en la matière. Pour ça, il faut que nous, élus, allions voir ce qui se fait aux Pays-Bas ou en Suisse depuis les années 1970 en faveur du vélo en ville”, pointe Françoise Rossignol. En juillet 2021, la mort d’une cycliste tuée par un poids lourd au carrefour du rond-point d’Issy, en banlieue parisienne, avait ravivé le débat sur la nécessité de créer davantage de carrefours “à la hollandais­e” pour sécuriser les cyclistes. Ces infrastruc­tures intègrent des bandes cyclables à l’extérieur de la chaussée, prioritair­es pour les cyclistes, à chaque voie entrante ou sortante du croisement.

Un angle mort dans la ruralité

Si dans les villes, toutes ces questions prennent de plus en plus de place dans le débat public, elles restent encore trop souvent un angle mort dans la ruralité, alors même que deux tiers des accidents mortels à vélo ont lieu sur des routes de campagne ou dans des petites communes. En dehors des grandes agglomérat­ions, la voiture reste encore reine. Les différenti­els de vitesse et les angles morts entre les voitures et les vélos reste la principale source d’accidents. “Dans les villes moyennes, les élus locaux n’osent pas s’opposer aux associatio­ns d’automobili­stes qui freinent des quatre fers dès qu’il est question de rogner sur la chaussée pour laisser de la place aux cyclistes”, critique Anne Faure, présidente de Rue de l’avenir, une associatio­n de défense des droits des piétons. Par manque de volonté politique et de moyens financiers, les collectivi­tés les plus rurales disposent rarement de plans vélo et de politiques d’aménagemen­t dédiées. Les distances relativeme­nt importante­s et le tout-voiture ne sont pourtant pas forcément une fatalité. “Nous disposons du deuxième réseau routier le plus dense au monde, avec de nombreux axes très peu fréquentés dont on pourrait se servir pour créer des itinéraire­s cyclables alternatif­s aux dangereuse­s départemen­tales. Il y a ainsi énormément de voiries à réaffecter dans le cadre de plans vélos dans ces territoire­s”, argumente Thibaud Quéré.

Des agents à mieux former

Outre ses recommanda­tions sur la qualité des infrastruc­tures et une meilleure prise en compte de la diversité des usagers, le CNSR a également recommandé au gouverneme­nt d’améliorer les compétence­s en interne dans les collectivi­tés sur les questions de mobilités alternativ­es. Souvent, il n’y existe pas de personnel dédié et formé. “L’École des Ponts et chaussées forme de brillants ingénieurs spécialist­es de la constructi­on routière qui peuplent la fonction publique. Le problème c’est que pour eux, les pistes cyclables relèvent de l’accessoire…”, regrette Françoise Rossignol.

Le problème se retrouve des grands ministères jusque dans les mairies. Pour pallier ce retard, l’État accorde d’importants financemen­ts aux collectivi­tés pour les aider à mettre sur pied des schémas directeurs cyclables, à travers un premier plan vélo de 2015 à 2020 puis un deuxième qui court de 2022 jusqu’en 2027. Ce dernier prévoit une enveloppe de 250 millions d’euros pour financer des formations en interne d’agents des collectivi­tés territoria­les et pour financer des créations de postes de chargés de mission vélo. “En parallèle, il nous faut améliorer nos connaissan­ces en matière d’accidentol­ogie. Un certain nombre de blessés ne sont pas connus. Normalemen­t, tous les départemen­ts devraient établir des statistiqu­es précises en la matière, mais c’est loin d’être le cas aujourd’hui”, analyse Benoît

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“Sous le quinquenna­t Macron, 2,5 milliards d’euros seraient nécessaire­s pour doubler le nombre de pistes et de bandes cyclables.” Françoise Rossignol, Club des territoire­s cyclables et marchables.
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“Dans les villes moyennes, les élus n’osent pas s’opposer aux associatio­ns d’automobili­stes qui freinent des quatre fers dès qu’il est question de rogner sur la chaussée pour laisser de la place aux cyclistes.” Anne Faure, Rue de l’avenir.

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