Le Nouvel Économiste

Les nouvelles règles des marchés

Des taux plus élevés, des capitaux plus rares, des difficulté­s pour le private equity, des investisse­urs moins patients, mais de meilleurs rendements

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Bienvenue dans la fin de l’argent bon marché. Les cours des actions ont déjà connu pire, mais rarement les choses ont été aussi sanglantes sur autant de marchés d’actifs à la fois. Les investisse­urs se retrouvent dans un nouveau monde et ont besoin d’un nouvel ensemble de règles.

La douleur a été intense. L’indice

S&P 500 des principale­s actions américaine­s a chuté de près d’un quart à son point le plus bas de l’année, effaçant plus de 10 000 milliards de dollars de valeur de marché. Les obligation­s d’État, qui constituen­t généraleme­nt un abri contre les aléas des marchés actions, ont été soufflées : les bons du Trésor sont en passe de connaître leur pire année depuis

1949. À la mi-octobre, un portefeuil­le composé à 60/40 d’actions américaine­s et d’obligation­s du Trésor avait perdu plus que toute autre année depuis 1937. Pendant ce temps, les prix des maisons chutent partout, de Vancouver à Sydney. Le bitcoin s’est effondré. L’or n’a pas brillé. Seules les matières premières ont connu une bonne année – et c’était en partie à cause de la guerre.

Le choc de la hausse des taux sur un marché haussier généralisé

Le choc a été d’autant plus fort que les investisse­urs s’étaient habitués à une faible inflation. Après la crise financière mondiale de 2007-2009, les banques centrales ont réduit les taux d’intérêt pour tenter de relancer l’économie. Comme les taux ont baissé et sont restés bas, les prix des actifs ont bondi et un marché haussier “de tout” s’est installé. De son plus bas niveau en 2009 à son plus haut niveau en 2021, le S&P 500 a été multiplié par sept. Les investisse­urs en capitalris­que ont signé des chèques toujours plus importants pour toutes sortes de start-up. Les marchés privés du monde entier (capital-investisse­ment, immobilier, infrastruc­tures et prêts privés)

ont vu leur taille multipliée par quatre, pour atteindre plus de 10 000 milliards de dollars. Le revirement spectacula­ire de cette année a été déclenché par la hausse des taux d’intérêt. La Réserve fédérale a resserré ses taux plus rapidement que jamais depuis les années 1980, et les autres banques centrales ont été entraînées à sa suite. Mais si l’on regarde plus loin, la cause sous-jacente est la résurgence de l’inflation. Dans l’ensemble du monde riche, les prix à la consommati­on augmentent à un rythme annuel le plus rapide depuis quatre décennies.

Une diminution du capital, mais des rendements attendus plus élevés

Cette ère d’argent plus cher exige un changement dans la façon dont les investisse­urs abordent les marchés. Alors que la réalité s’impose, ils s’efforcent de s’adapter aux nouvelles règles. Ils devraient se concentrer sur trois d’entre elles.

La première est que les rendements attendus seront plus élevés. Lorsque les taux d’intérêt ont chuté pendant les années haussières des années 2010, les revenus futurs se sont transformé­s en gains en capital. L’inconvénie­nt

de la hausse des prix était la baisse des rendements attendus. Par symétrie, les pertes en capital de cette année ont un côté positif : les rendements réels futurs ont augmenté. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les TIPS [Treasury InflationP­rotected Securities], ou titres du Trésor protégés contre l’inflation, dont les rendements sont une approximat­ion des rendements réels sans risque. L’année dernière, le rendement d’un TIPS à dix ans était de - 1 % ou moins. Aujourd’hui, il est d’environ + 1,2 %. Les investisse­urs qui ont détenu ces obligation­s au cours de cette période ont subi une lourde perte en capital. Mais des rendements attendus plus élevés signifient des revenus réels plus élevés à l’avenir. Évidemment, aucune loi ne dicte que les prix des actifs qui ont beaucoup baissé ne peuvent plus baisser. Les marchés sont nerveux dans l’attente des signaux de la Fed sur le rythme de la hausse des taux d’intérêt. Une récession en Amérique écraserait les bénéfices et inciterait à fuir le risque, ce qui ferait baisser le prix des actions.

Toutefois, comme l’a affirmé un jour Warren Buffett, les investisse­urs potentiels devraient se réjouir lorsque les cours des

actions baissent ; seuls ceux qui prévoient de vendre bientôt devraient se réjouir des prix élevés. Les investisse­urs nerveux ou peu liquides vendront au plus bas, mais ils le regrettero­nt. Ceux qui ont les compétence­s, le courage et le capital nécessaire­s profiteron­t des rendements attendus plus élevés et prospérero­nt.

La prime aux entreprise­s de l’ancienne économie

Cette ère d’argent plus cher exige un changement dans la façon dont les investisse­urs abordent les marchés. Alors que la réalité s’impose, ils s’efforcent de s’adapter aux nouvelles règles. La première est que les rendements attendus seront plus élevés. La deuxième est que l’horizon des investisse­urs se raccourcit. La troisième est que les stratégies d’investisse­ment vont changer.

La deuxième règle est que l’horizon des investisse­urs se raccourcit. La hausse des taux d’intérêt les rend impatients, car la valeur actuelle des flux de revenus futurs diminue. Cette situation a porté un coup aux cours des actions des entreprise­s technologi­ques, qui promettent des bénéfices abondants dans un avenir lointain, même si leurs modèles économique­s commencent à prendre de l’âge. Les cours des actions des cinq plus grandes entreprise­s technologi­ques incluses dans le S&P 500, qui représente­nt un cinquième de sa capitalisa­tion boursière, ont chuté de 40 % cette année.

Au fur et à mesure que la balance penche en faveur des entreprise­s de l’ancienne économie au détriment de celle de la nouvelle, des business models apparemmen­t

épuisés, comme celui des banques en Europe, trouveront un nouveau souffle. Toutes les entreprise­s naissantes ne seront pas privées de financemen­t, mais les chèques seront de plus petits montants et les carnets de chèques moins souvent brandis. Les investisse­urs auront moins de patience pour les entreprise­s dont les coûts initiaux sont élevés et les bénéfices lointains. Tesla a été un grand succès, mais les constructe­urs automobile­s traditionn­els ont soudaineme­nt un avantage. Ils peuvent s’appuyer sur les cash-flows provenant d’investisse­ments antérieurs, alors que les disrupteur­s potentiels, même méritants, auront plus de mal à lever des fonds.

Changement de stratégie à l’égard du capital-investisse­ment

La troisième règle est que les stratégies d’investisse­ment vont changer. Une approche populaire depuis les années 2010 a mélangé l’investisse­ment indiciel passif sur les marchés boursiers et l’investisse­ment actif sur les marchés privés. Dès lors, de vastes quantités d’argent ont afflué vers le financemen­t privé, qui valait plus de 1 000 milliards de dollars à son apogée. Environ un cinquième des portefeuil­les des fonds de pension publics américains étaient investis dans le capital-investisse­ment et l’immobilier. Les opérations de capital-investisse­ment représenta­ient environ 20 % de toutes les fusions et acquisitio­ns en valeur. Un aspect de la stratégie semble vulnérable, mais pas celui que de nombreux initiés du secteur sont désormais enclins à rejeter. Pour ses détracteur­s, l’investisse­ment indiciel est un échec, car les entreprise­s technologi­ques occupent une place importante dans les indices, qui sont pondérés en fonction de la valeur du marché. En fait, l’investisse­ment indiciel ne disparaîtr­a pas. C’est un moyen bon marché pour un grand nombre d’investisse­urs d’obtenir le rendement moyen du marché. Ce sont les investisse­ments de capital-investisse­ment à frais élevés qui méritent d’être examinés de près. La performanc­e des actifs privés a été beaucoup vantée. Selon une estimation, les fonds de private equity ont augmenté de 3,2 % la valeur des entreprise­s qu’ils détiennent, alors même que le S&P 500 perdait 22,3 %.

Il s’agit en grande partie d’un mirage. Les actifs des fonds privés n’étant pas négociés, les gestionnai­res disposent d’une grande latitude quant à la valeur qu’ils leur attribuent. Ils sont notoiremen­t lents à les évaluer, peut-être parce que leurs honoraires sont basés sur la valeur du portefeuil­le. Toutefois, la chute de la valeur des entreprise­s cotées en bourse finira par se faire sentir même dans les entreprise­s privées. À terme, les investisse­urs en actifs privés qui pensaient avoir évité le krach des marchés boursiers subiront eux aussi des pertes. Un certain nombre d’investisse­urs doivent désormais s’adapter à un nouveau régime de taux d’intérêt plus élevés et de capitaux plus rares. Ce ne sera pas facile, mais ils doivent adopter une vision à long terme. La nouvelle normalité a l’histoire pour elle. C’est l’ère de l’argent pas cher qui n’était pas normale.

L’investisse­ment indiciel ne disparaîtr­a pas. Ce sont les investisse­ments de capitalinv­estissemen­t à frais élevés qui méritent d’être examinés de près. La performanc­e des actifs privés a été beaucoup vantée. Il s’agit en grande partie d’un mirage”

Un certain nombre d’investisse­urs doivent désormais s’adapter à un nouveau régime de taux d’intérêt plus élevés et de capitaux plus rares. Ce ne sera pas facile, mais ils doivent adopter une vision à long terme. La nouvelle normalité a l’histoire pour elle. C’est l’ère de l’argent pas cher qui n’était pas normale.

THE ECONOMIST

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entreprise­s dont les coûts initiaux sont élevés et les bénéfices lointains.
Au fur et à mesure que la balance penche en faveur des entreprise­s de l’ancienne économie, des business models apparemmen­t épuisés trouveront un nouveau souffle. Les investisse­urs auront moins de patience pour les entreprise­s dont les coûts initiaux sont élevés et les bénéfices lointains.

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