Le Nouvel Économiste

Frédéric Visnovsky, Médiation du crédit : “Les outils de traitement des difficulté­s demeurent sous-utilisés”

Selon le médiateur du crédit, l’efficacité des dispositif­s permettant d’étaler PGE et crédits bancaires n’est pourtant plus à démontrer

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHARLES ANSABÈRE

Pendant la crise du covid, la dette nette des entreprise­sp a été contenue mais l’année 2022 a marqué une forte reprise. À l’aube d’une année 2023 qui s’annonce compliquée, il convient de redoubler de vigilance et d’envisager de négocier la restructur­ation des crédits bancaires par le biais de procédures de conciliati­on.

En ce début d’année 2023, la situation financière des entreprise­s est pour le moins particuliè­re et son décryptage nécessite une revue de détail. De façon inédite, l’État était massivemen­t intervenu tout au long de la période 2020-2021 via les mécanismes de financemen­t de l’activité partielle, le fonds de solidarité ou encore les dispositif­s coûts fixes, mais aussi les reports de charges fiscales et sociales, ainsi que l’octroi de 143 milliards d’euros de prêts garantis par l’État (PGE). Ce sont environ 240 milliards de trésorerie sur lesquels les entreprise­s ont ainsi pu s’appuyer pour traverser la zone de turbulence­s consécutiv­e à la Covid- 19, dont la première manifestat­ion économique concrète fut une contractio­n du PIB de 6,8 %, en 2020.

Au cours de cette même année, les entreprise­s ont vu leur endettemen­t bondir de près de 218 milliards d’euros – essentiell­ement du fait des PGE – tandis que leur trésorerie augmentait d’un peu plus de 200 milliards, en grande majorité à des fins de précaution pour répondre à l’incertitud­e économique. Et dans une moindre mesure, ce phénomène s’est reproduit en 2021 : la dette a augmenté de 52 milliards, la trésorerie de 25 milliards. Au final, l’accroissem­ent de la dette nette des entreprise­s a représenté 14 milliards en 2020, puis 27 milliards en 2021. C’est donc beaucoup moins que les 50 milliards que les entreprise­s avaient enregistré­s au cours de l’année 2019 ! Un autre point clé doit ici être souligné. En effet, la quasi-totalité des PGE ont commencé à être remboursés d’une façon qui s’est globalemen­t bien déroulée, puisque l’État, qui avait provisionn­é 2 milliards dans son budget pour 2022, a repris cette provision. C’est sur cette toile de fond que l’on peut qualifier la situation financière des entreprise­s de bonne : cela transparai­ssait notamment dans les comptes 2021 des PME cotées par la Banque de France, et ce devrait être encore le cas pour 2022, puisque la dynamique de reprise s’est poursuivie jusqu’au premier semestre et que le ralentisse­ment économique ne s’est pas encore traduit dans les chiffres des entreprise­s.

Pertes brutes sur PGE réévaluées

Sur l’année 2022, il convient également de noter que l’accès au crédit n’a pas suscité de difficulté. À fin septembre, la demande s’est établie à des niveaux comparable­s à ceux d’avant la crise, et avec des niveaux de satisfacti­on très élevés. Le taux de croissance du crédit bancaire a continué d’augmenter tout au long de l’année 2022, et il s’est même établi à +8 % en octobre. En y regardant de plus près, on observe que les crédits d’investisse­ment ont eux aussi continué d’augmenter pendant cette période, affichant un taux de progressio­n supérieur à 10 %. Il faut voir là le signe que les entreprise­s n’ont pas stoppé net leurs investisse­ments, mais ont plutôt choisi de les décaler dans le temps. En outre, leurs crédits de trésorerie ont également évolué à la hausse, qu’il s’agisse pour les entreprise­s de financer leurs stocks ou de satisfaire leur carnet de commandes.

Ces évolutions ont eu pour effet d’accroître de manière significat­ive la dette nette des entreprise­s en 2022 (de 85 milliards, à fin octobre) avec une dette brute en augmentati­on de 60 milliards (portée par la forte croissance des crédits bancaires) et une baisse des trésorerie­s de 25 milliards.

Compte tenu des perspectiv­es de croissance limitée, il est évident que les perspectiv­es s’annoncent moins favorables pour 2023. On le perçoit à la fois dans le sentiment exprimé par les chefs d’entreprise, mais aussi via les anticipati­ons de flux de trésorerie : en parallèle

Dans un pays comme le nôtre, il est important de pouvoir s’appuyer sur des outils efficaces, permettant de créer un climat de confiance”

des remboursem­ents de crédits se profile à l’horizon la nécessité de régler les quelque 25 milliards de dettes fiscales et sociales ayant fait l’objet de reports, et dont l’administra­tion va continuer à exiger le paiement dès ce début d’année. De fait, nul ne peut nier qu’il existe une incertitud­e sur ce que sera la trésorerie des entreprise­s au cours de l’année qui débute… Et même s’il y a eu très peu de défauts sur les PGE jusqu’à présent, la question reste ouverte puisqu’environ 80 % de ceux-ci ont été contractés par de très petites structures – dont la capacité d’anticipati­on est par nature moindre que celle des ETI ou des grands groupes. C’est notamment la raison pour laquelle nous avons réévalué au début de 2022 les pertes brutes de l’État à 4,2 % des PGE, soit plus de 6 milliards d’euros.

Les outils d’étalement des PGE

Une autre question se pose : au vu des prévisions de conjonctur­e pour 2023, les entreprise­s ayant commencé à rembourser ces prêts seront-elles en mesure de continuer à honorer leurs échéances au cours des quatre années à venir ? Dans le cas contraire, leurs dirigeants doivent garder à l’esprit que l’État a mis en place deux moyens d’aider les entreprise­s à surmonter cet obstacle : les procédures de conciliati­on devant les tribunaux de commerce, permettant d’étaler les PGE tout en maintenant la garantie de l’État, et un dispositif similaire proposé aux TPE par la Médiation du crédit, depuis début 2022. Cela étant, au terme d’une année de ce dispositif, force est de constater que les quelque 550 dossiers que nous avons reçus sont un chiffre vraiment faible au vu du nombre d’entreprise­s dont on devine qu’elles pourraient rencontrer des difficulté­s.

Les outils existent, mais nous avons le sentiment qu’ils demeurent sous-utilisés par les dirigeants d’entreprise. Rappelons qu’il n’y aura pas de mesure générale concernant le règlement des PGE : le traitement au cas par cas demeure la règle. Mais au-delà de ce principe, il convient aussi de démêler le vrai du faux quant à la décote Banque de France liée à une restructur­ation des crédits. Primo, celleci ne concerne pas toutes les entreprise­s, puisque nous ne cotons que 30 % des entreprise­s bénéficiai­res de PGE. Secundo, du fait de l’existence de plusieurs niveaux de cotation (éligible au refinancem­ent des crédits auprès de la Banque centrale européenne – ou non éligible), cette décote ne concerne en pratique que les entreprise­s éligibles : c’est une obligation réglementa­ire. Or celles ayant besoin de restructur­er leurs crédits étant très souvent déjà inéligible­s, il y a là un faux sujet. Les dirigeants d’entreprise doivent donc évacuer cette question qui n’a pas lieu d’être dans la grande majorité des cas.

Enfin, il faut battre en brèche le mauvais calcul fait par ceux qui estiment qu’il est préférable de ne pas restructur­er ses crédits par crainte d’être déclaré en défaut par leurs banques commercial­es. En raison de contrainte­s réglementa­ires, celles- ci ont notamment l’obligation de déclarer un défaut si elles estiment qu’il existe un risque de nonrembour­sement – et ce même si des échéances sont réglées. Pourquoi, dès lors, se priver de recourir à la Médiation du crédit, alors que cette solution permet d’étaler un PGE et les autres crédits bancaires, tout en sécurisant leur financemen­t à court terme ?

De la confiance en l’avenir

À vrai dire, à l’aube d’une année 2023 qui s’annonce délicate, les chefs d’entreprise doivent surtout garder à l’esprit qu’au cours des derniers mois, l’État s’est adapté à chaque fois que nécessaire pour les accompagne­r dans le traitement de leurs difficulté­s. Dans un pays comme le nôtre, il est important de pouvoir s’appuyer sur des outils efficaces, permettant de créer un climat de confiance.

Nous nous devons évidemment de rester vigilants et de continuer de répondre aux problémati­ques de financemen­t des entreprise­s.

C’est d’ailleurs dans cet objectif que la Médiation du crédit a vu le jour. Rappelons donc qu’à l’heure actuelle, la France dispose d’un cadre d’interventi­on dont l’efficacité n’est plus à démontrer : non seulement les défaillanc­es demeurent à un niveau inférieur à celui d’avant-crise, bien qu’en augmentati­on, mais on peut aussi observer que la Cour des comptes s’est prononcée très favorablem­ent sur le dispositif des PGE. Il faut donc rester confiants sur la santé des entreprise­s françaises, d’autant qu’elles font preuve d’une dynamique d’investisse­ment forte – se traduisant par des taux élevés de création d’entreprise­s et d’emplois.

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