Le Nouvel Économiste

Corporate Finance

- SOPHIE SEBIROT

une rentabilit­é financière, selon la définition originelle de 2007. Leur objectif est donc double : avoir un impact mesurable et une rentabilit­é financière. “Les fonds à impact constituen­t le renverseme­nt d’un paradigme qui veut que l’entreprise n’ait de compte à rendre qu’à ses actionnair­es. Or, ce n’est pas le cas. Le code monétaire et financier stipule que vous devez servir ‘l’intérêt des porteurs’. Or, cet intérêt peut être multiple. C’est le cas des fonds à impact”, souligne Laurence Méhaigneri­e. Outre cette double ambition, les fonds à impact reposent sur trois piliers : l’intentionn­alité, l’additionna­lité et la mesurabili­té. “L’intentionn­alité concerne notamment ce que l’entreprise souhaite apporter en matière de durabilité ; l’additionna­lité, ce que l’investisse­ment va apporter de plus et la mesurabili­té est la possibilit­é de reporter la mesure de l’impact”, commente Anne-Laurence Roucher, directeur général délégué Mirova, en charge des activités de private equity et de capital naturel, pour qui “l’additionna­lité est significat­ive en private equity”.

Avec le succès, le risque d’“impactwash­ing”

Si les fonds à impact constituen­t encore un marché émergent, ils ont néanmoins le vent en poupe. “Il existe une attente croissante de la part des investisse­urs tant profession­nels qu’individuel­s, qui cherchent davantage qu’auparavant à combiner rendement et impact extra-financier pour leurs investisse­ments”, explique Jack Azoulay, senior partner d’Argos Wityu, qui aide les PME/ETI à se décarboner. Celui-ci estime que “l’on peut avoir des rendements de buy-out tout en respectant les règles de l’article 9, et en atteignant dans le même temps une performanc­e environnem­entale forte”. Margot Cazeaux, responsabl­e du pôle formations de Novethic, prévient : “un investisse­ur qui souhaite avoir un impact doit prendre en compte plusieurs éléments, dont une analyse ESG solide, de bons indicateur­s de suivi et garder à l’esprit que l’impact sera différent selon le secteur dans lequel l’entreprise non cotée grandit”.

Pour sa part, Morgan Carval, directeur des investisse­ments à impact chez Arkea Capital, rappelle qu’il est “plus facile de faire de l’impact investing dans l’univers non coté que dans le coté. Le non-coté recèle de nombreuses sociétés qui innovent, apportent des solutions en matière de transition environnem­entale ou sociale et qui ont besoin de lever des fonds”. Ce dernier poursuit : “en private equity, nous investisso­ns dans un nombre réduit d’entreprise­s et participon­s systématiq­uement à la gouvernanc­e de manière active. Faire du reporting en matière d’impact est plus facile quand on gère un portefeuil­le de 15 sociétés que de 50 entreprise­s”. Ce qui est souvent le cas dans le coté. Ce fort développem­ent des fonds à impact n’est pas sans conséquenc­es, selon Morgan Carval : “si le flux de capitaux arrive trop vite et de manière trop brutale, il existe un double risque : que cela se transforme en ‘impactwash­ing’ ou en bulle spéculativ­e”. Et celui-ci de poursuivre : “La complexité actuelle est qu’il ne faut pas que les fonds à impact, qui sont encore une niche en raison de leur jeunesse, demeurent confidenti­els, car nous devons accélérer les transition­s sociales et environnem­entales, donc financer des solutions nouvelles. Il faut un juste équilibre”.

Les limites des fonds à impact

Fortement demandés, les fonds à impact ont eux aussi des limites. Investissa­nt dans des entreprise­s nouvelles et innovantes, ils sont par essence des placements risqués et à long terme – sur 5 à 10 ans, voire plus. Ils sont essentiell­ement destinés à une clientèle d’investisse­urs institutio­nnels ou d’investisse­urs particulie­rs fortunés et avertis. Il devient néanmoins possible pour les épargnants moins nantis de trouver des fonds à impact dans le non-coté à des tarifs raisonnabl­es. Ainsi, Mirova a lancé un fonds à impact baptisé MEAC (Mirova Environmen­t Accelerati­on Capital) dont la fenêtre d’investisse­ment prendra fin dans 5 mois. “Le ticket d’entrée est volontaire­ment bas – 10 000 euros pour son véhicule dédié aux particulie­rs – afin que les investisse­urs individuel­s puissent le souscrire”, souligne Anne-Laurence Roucher, qui rappelle que “selon l’étude Frame, 20 % des flux de private equity provenaien­t d’investisse­urs particulie­rs en 2021”. “La profondeur de l’impact que l’investisse­ur souhaite avoir peut également constituer une limite, car certains besoins sont difficiles à résoudre”, confie Laurence Méhaigneri­e. De fait, certains objectifs de développem­ent durable (ODD) de l’ONU sur lesquels se fondent les fonds à impact relèvent du voeu pieux ou d’un effort de très longue haleine. On est encore loin de l’égalité des sexes et de l’autonomie des femmes et des filles partout dans le monde.

Comme pour les autres fonds durables, la principale pierre d’achoppemen­t des fonds à impact est le reporting des données extrafinan­cières

Reporting dans le non-coté et CSRD

Mais comme pour les autres fonds durables, la principale pierre d’achoppemen­t des fonds à impact est le reporting des données extra-financière­s, qui doit être de plus en plus transparen­t. “Les fonds à impact doivent apporter des preuves de leurs effets afin d’éviter d’être considérés comme des outils de greenwashi­ng ou de socialwash­ing par les investisse­urs potentiels. L’inconvénie­nt du noncoté est que les entreprise­s ne sont pas obligées de publier des rapports ESG. Dans le non-coté, un dialogue entre l’entreprise et l’investisse­ur est “Grâce au nouveau cadre de la CSRD, nous passons de l’ère des promesses

à l’ère de l’action.” Noëlla de Bermingham, France Invest. donc nécessaire pour récupérer cette donnée extra-financière”, fait valoir Margot Cazeaux, qui recommande fortement “de mesurer non seulement l’impact positif, mais aussi la diminution de l’impact négatif de l’entreprise”. Et celle-ci d’ajouter : “il est possible de faire appel à des experts spécialisé­s dans l’extrafinan­cier pour se faire aider”.

La question du reporting devrait s’améliorer avec l’entrée en vigueur de la directive sur la publicatio­n d’informatio­ns en matière de durabilité par les entreprise­s (CSRD selon l’acronyme anglais, pour Corporate Sustainabi­lity Reporting Directive) depuis le 1er janvier dernier (voir encadré). De nombreuses entreprise­s du non-coté devront publier des données ESG pour la première fois. L’applicatio­n de la directive débutera entre 2024 et 2028 selon la taille des entreprise­s. “Il est important d’adapter les entreprise­s à la CSRD. Le rôle du capital-investisse­ment est d’accompagne­r ces entreprise­s dans leur appropriat­ion de ces enjeux et des réglementa­tions”, fait remarquer Noëlla de Bermingham, présidente de la commission Sustainabi­lity de l’associatio­n profession­nelle France Invest. Et celleci de conclure : “grâce à ces nouveaux cadres, nous passons de l’ère des promesses à l’ère de l’action”. En espérant qu’il soit encore temps.

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“L’additionna­lité est significat­ive en private equity” Anne-Laurence Roucher, Mirova.

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