Le Nouvel Économiste

La montée en puissance des due diligences ESG

Les critères de durabilité s’imposent dans les audits M&A, tant ils impacteron­t de plus en plus la valeur de la cible

- BENOÎT COLLET

Le pacte vert pour l’Europe ambitionne de rendre la finance plus durable. Pour ce faire, le Conseil européen a approuvé en novembre dernier la directive sur la publicatio­n

Depuis l’adoption de la fameuse taxonomie verte, partiellem­ent entrée en vigueur en janvier 2022, l’Union européenne multiplie les réglementa­tions poussant les entreprise­s et les acteurs financiers à intégrer davantage les critères ESG dans leurs modèles d’affaires. Les activités économique­s sont désormais classées selon leur degré de compatibil­ité avec la bascule écologique. Les fonds d’investisse­ment se voient soumis à la même logique. Le récent règlement européen SFDR (Sustainabl­e Finance Disclosure Regulation) les oblige à classer leurs produits en trois catégories, selon leur degré d’engagement dans la finance durable, afin d’être le plus transparen­t possible auprès des épargnants. Le d’informatio­ns en matière de durabilité par les entreprise­s, incluant un certain nombre de normes autour du reporting environnem­ental et social. De fait, conjugué à la demande des

European Green Deal a fait de la finance l’un de grands piliers de la transition écologique du Vieux continent.

Pour systématis­er et faciliter la réalisatio­n des due diligences ESG, la Commission européenne a étoffé ses exigences en matière de reporting environnem­ental et social des entreprise­s

Si l’intérêt porté par les investisse­urs institutio­nnels pour les critères ESG date d’une dizaine d’années, ce nouvel écosystème juridique européen pousse les opérateurs à intégrer les critères environnem­entaux et sociaux au coeur de leurs politiques d’investisse­ment, et plus seulement à la marge. “L’audit environnem­ental est devenu un sujet central pour les fonds d’investisse­ment lors de leurs phases d’acquisitio­n d’actifs, puisqu’il touche à la valorisati­on même des entreprise­s, là où il était encore cantonné il y a quelques années à des garanties de passif” commente Raphaël Hara, directeur général et cofondateu­r de Ksapa, une jeune société de conseil en RSE et en investisse­ment à impact.

Pollutions, destructio­n de biodiversi­té, risques climatique­s…

Lors des opérations de fusionacqu­isition, les audits ESG sont devenus la norme. En 2021, 79 % des 390 sociétés de gestion adhérentes à l’associatio­n profession­nelle France Invest déclaraien­t investisse­urs en la matière, cet écosystème réglementa­ire est en passe de rendre les due diligence ESG indispensa­bles dans la majeure partie des opérations de fusions-acquisitio­ns. intégrer formelleme­nt les critères ESG lors de leurs due diligences en phase d’acquisitio­n. Pour systématis­er et faciliter la réalisatio­n de ces due diligences ESG, la Commission européenne a étoffé ses exigences en matière de reporting environnem­ental et social des entreprise­s. La directive CSRD (Corporate Sustainabi­lity Reporting Directive), l’un des prolongeme­nts de la taxonomie verte, qui entrera en vigueur progressiv­ement à partir de janvier 2024, va obliger 50 000 entreprise­s à fournir des informatio­ns précises et standardis­ées sur leur impact écologique et social. “Ce texte répond à un énorme besoin de données comparable­s pour la réalisatio­n des audits ESG. Dans cinq ou six ans, on aura autant d’informatio­ns sur les performanc­es et impacts environnem­entaux et

sociaux des entreprise­s que sur leurs performanc­es financière­s”, analyse Émilie Bobin, associée développem­ent durable chez PwC France et Maghreb. Aujourd’hui, la due diligence ESG se fait selon une logique de double matérialit­é. Premièreme­nt, quels risques l’activité de l’entreprise cible faitelle courir à l’environnem­ent : pollution, destructio­n de biodiversi­té, accapareme­nt de terres… Deuxièmeme­nt, à quels risques climatique­s est exposée l’entreprise cible : raréfactio­n des ressources, sécheresse­s, montées des eaux…

Évaluation de l’empreinte carbone

Historique­ment, notamment dans l’industrie, les due diligences ont toujours comporté un volet environnem­ental. Par exemple, lors de l’acquisitio­n d’une usine, les auditeurs se penchent systématiq­uement sur la pollution des sols, pour s’assurer que l’investisse­ur ne s’expose pas à des coûts de dépollutio­n cachés. “Aujourd’hui, on y ajoute une mesure de l’empreinte carbone de la cible par rapport à la concurrenc­e, ainsi que l’analyse d’un éventuel plan de transforma­tion en lien avec les objectifs de réduction des émissions de l’accord de Paris”, fait savoir Sébastien David, senior partner chez Advancy, société de conseil qui accompagne la stratégie d’acquisitio­n de nombreux fonds de private equity.

“Nous incitons les fonds adhérents à France Invest à intégrer systématiq­uement des bilans carbone et des feuilles de route de la décarbonat­ion lors de leurs phases de due diligence, en acquisitio­n comme en cession”, confirme Claire Chabrier, présidente de France Invest. Malgré les bonnes intentions des acteurs financiers, l’évaluation de l’empreinte carbone des cibles n’est pas toujours possible. “Il y a aussi une réalité de marché qui fait qu’on n’a pas toujours accès aux informatio­ns à ce sujet-là”, tempère Bertille Crichton, associée au départemen­t RSE et développem­ent durable chez Grant Thornton. Les plans de transforma­tion revêtent pourtant une importance de plus en plus capitale pour les investisse­urs. Avec le dérèglemen­t climatique et les législatio­ns adoptées pour lutter contre, comme la fin du moteur diesel en 2035 en Europe, des modèles d’affaires rentables aujourd’hui peuvent s’effondrer demain. “Une mauvaise performanc­e ESG peut signifier une érosion de la rente à moyen terme de la cible, notamment pour les secteurs fortement consommate­urs d’énergie fossile”, enchaîne Françoise Gintrac, associée Deals chez PwC

France. Ces questions restent cependant plutôt cantonnées aux due diligences stratégiqu­es.

Tout au long de la chaîne de valeur

Par ricochet, la taxonomie verte augmente aussi les exigences légales autour du “S” de l’ESG, c’est-à-dire le versant social des politiques d’investisse­ment. Si le projet de taxonomie sociale de la Commission européenne est tombé aux oubliettes, la taxonomie verte a incorporé des exigences en matière de droits humains et sociaux via la clause dite de “minimum safeguards”. L’ébauche d’un droit de vigilance européen tracée par le Conseil européen en décembre 2022 pousse également les entreprise­s à être très vigilantes quant aux impacts sociaux de leurs acquisitio­ns. Cette législatio­n, calquée sur ce qui existe en France depuis 2017, rend responsabl­e les entreprise­s de tout manquement aux droits des travailleu­rs et des population­s locales tout au long de leur chaîne de valeur.

En octobre 2022, l’associatio­n française Notre Affaire à Tous, accompagné­e d’une associatio­n brésilienn­e, ont adressé une mise en demeure à la banque française BNP Paribas de se conformer à ses obligation­s réglementa­ires, en raison de son appui financier à Marfrig, la deuxième plus grande entreprise de conditionn­ement de viande du Brésil, connue pour son impact sur la déforestat­ion.

Le groupe d’origine française Teleperfor­mance a de son côté été mis en demeure par Sherpa pour des manquement­s aux droits des travailleu­rs dans ses filiales colombienn­es et philippine­s. Il existe une dizaine d’autres exemples d’entreprise­s traînées en justice par des associatio­ns pour manquement à leur devoir de vigilance. Dans ce contexte, les due diligence en matière sociale deviennent fondamenta­les pour préserver son image publique suite à des opérations de croissance externe.

Dilemmes méthodolog­iques

“Il ne s’agit pas que d’une histoire d’image de marque Si une entreprise ne peut plus accéder au marché européen car les droits sociaux de ses sous-traitants ne sont pas respectés, ça devient un risque existentie­l à ne pas négliger lors des audits d’acquisitio­n”, contrebala­nce Raphaël Hara. Sur le devoir de vigilance, les due diligences se concentren­t sur la compliance, c’est-à-dire sur la bonne conformité juridique des pratiques d’une entreprise sur toute une série de thématique­s : travail forcé ou travail d’enfants, respect des droits du travail et des droits fondamenta­ux, travail dans des pays où se déroulent des conflits armés, les atteintes à la

Des outils comme la triple comptabili­té existent pour chiffrer les bénéfices d’impacts évités et les externalit­és négatives de tel ou tel modèle d’affaires

santé, à la sécurité et à la sûreté des personnes. “Là où auparavant, l’analyse des risques RSE se concentrai­t surtout sur les fournisseu­rs de rang 1, ce n’est aujourd’hui plus suffisant pour se prémunir contre les risques sociaux et environnem­entaux. On essaie de pousser jusqu’au rang 3”, complète Bertille Crichton. La systématis­ation du recours aux due diligences ESG n’a cependant pas résolu un problème méthodolog­ique de taille pour les auditeurs. Comment convertir en termes financiers de bonnes ou de mauvaises performanc­es environnem­entales et sociales ? Des outils comme la triple comptabili­té existent pour chiffrer les bénéfices des impacts évités et les externalit­és négatives de tel ou tel modèle d’affaires. “Chez Grant Thornton, on utilise un système de scoring pour évaluer les critères ESG”, explique Bertille Crichton. “Il s’agit d’un exercice très compliqué, sur lequel tout le monde bute un peu. Il n’existe pas de méthode unique aujourd’hui, et tout repose sur l’observatio­n des marchés”, analyse quant à elle Françoise Gintrac. Beaucoup reste donc à faire du côté méthodolog­ique pour faire des due diligences ESG un élément de décision aussi robuste que les traditionn­elles due diligence financière­s et stratégiqu­es.

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Sebastien David, Advancy.
“Aujourd’hui, on mesure de l’empreinte carbone de la cible par rapport à la concurrenc­e ainsi que l’analyse d’un éventuel plan de transforma­tion en lien avec les objectifs de réduction des émissions de l’accord de Paris.” Sebastien David, Advancy.
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Raphaël Hara, Ksapa.
“L’audit environnem­ental est devenu un sujet central pour les fonds d’investisse­ment lors de leurs phases d’acquisitio­n d’actifs, puisqu’il touche à la valorisati­on même des entreprise­s.” Raphaël Hara, Ksapa.
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“Dans cinq ou six ans, on aura autant d’informatio­ns sur les performanc­es et impacts environnem­entaux et sociaux des entreprise­sp qque sur leurs pperforman­ces financière­s.” Émilie Bobin, PwC.

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