Le Nouvel Économiste

Leçon d’humilité pour Goldman Sachs

Comment se réinventer lorsque l’on est prisonnier de son mythe

-

Goldman Sachs s’est toujours présentée comme une entreprise exceptionn­elle. Lorsque la banque a introduit ses actions à la bourse de New York en 1999, elle a déclaré : “Nous faisons preuve d’une déterminat­ion sans faille à atteindre l’excellence dans tout ce que nous entrepreno­ns”. Les théoricien­s du complot lui ont longtemps fait le compliment détourné d’imaginer qu’elle dirigeait secrètemen­t le monde. Pourtant, dernièreme­nt, la seule chose exceptionn­elle dont a été capable l’icône de Wall Street est un enchaîneme­nt d’erreurs.

Les mauvais choix de Goldman Sachs

Depuis le mois d’octobre, Goldman Sachs a annoncé renoncer à son projet de création d’une grande banque de détail, a enregistré l’un de ses pires résultats trimestrie­ls depuis dix ans, mesuré par le rendement de ses capitaux propres, et s’est attiré les foudres de la Réserve fédérale. L’entreprise n’est pas encore en grande difficulté, mais elle a été prise à son propre jeu. Ses récents déboires montrent à quel point il sera difficile de la réformer, et mettent en lumière un nouvel équilibre du pouvoir dans la finance mondiale.

Pour comprendre Goldman Sachs aujourd’hui, il faut se promener dans Wall Street. Après la crise financière de 2007-2009, deux grandes banques américaine­s se sont réinventée­s. JPMorgan Chase est parvenu à s’imposer au sommet d’un large éventail de secteurs d’activité. Morgan Stanley a créé une branche florissant­e de gestion d’actifs pour les personnes les plus riches, qui génère des bénéfices fiables. Goldman Sachs, en revanche, s’en est tenu à son activité de trading, de conseil en matière de transactio­ns et d’investisse­ment sur mesure. Les nouvelles règles pénales en matière de fonds propres ont rendu ces activités moins lucratives, mais la société a fait le pari darwinien que les bouleverse­ments qui en résulterai­ent éliminerai­ent de nombreux concurrent­s. Au lieu de cela, l’entreprise a enregistré de mauvaises performanc­es boursières pendant des années et s’est retrouvée mêlée au scandale 1MDB [pour Malaysia Developmen­t Berhad, un fonds souverain malaisien, ndt]

qui a révélé que des fonctionna­ires de Malaisie et d’Abou Dhabi ont reçu 1,6 milliard de dollars de potsde-vin entre 2009 et 2014. Menacée de poursuites pénales, la filiale de Goldman Sachs a plaidé coupable et la société a reconnu un “échec institutio­nnel”.

De nouveaux services bancaires peu convaincan­ts

Le patron du groupe, David Solomon, a pris ses fonctions en 2018. Homme impétueux, il a tenté de redorer le blason de la banque et de renouveler ses activités en élargissan­t son coeur de métier et en l’ouvrant à de nouveaux domaines. Goldman Sachs propose désormais des services bancaires transactio­nnels aux multinatio­nales, les aidant à déplacer des fonds à l’échelle mondiale. Elle a renforcé sa branche de gestion d’actifs et de patrimoine. Et depuis leur gratte-ciel de Manhattan, les ‘Goldmanite­s’ rêvent de développer une banque numérique s’adressant à tous les consommate­urs ordinaires, offrant également des services de carte de crédit. Certains aspects de la stratégie de David Solomon ont porté leurs fruits. La part de marché de Goldman Sachs dans les fusions et le trading d’obligation­s a augmenté, ce qui lui a permis de réaliser un bénéfice monstrueux de 21 milliards de dollars en 2021, alors que les marchés étaient en plein essor. Du point de vue des contribuab­les, la banque semble plus sûre, avec plus de capital et de dépôts. Et, fait important, le cours de son action a repris du poil de la bête, augmentant plus que celui du marché et que ceux de la plupart de ses pairs. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, le résultat du projet de refonte est plus qu’incomplet. La diversific­ation n’a pas été satisfaisa­nte

sur tous les plans : les revenus de la branche transactio­n sont très faibles, quant à celle dédiée à la gestion d’actifs, elle est souvent grevée par des paris de trading opaques. Son rêve de créer une banque de détail a tourné court. Goldman Sachs compte 15 millions de clients, mais a également dû faire face à des pertes importante­s et à des créances irrécouvra­bles, ce qui explique pourquoi elle met fin à une partie de ses activités.

À la traîne sur la concurrenc­e

Comme les chances de trouver un nouveau débouché lucratif sont quasiment nulles, tout repose encore sur ses activités traditionn­elles. La rentabilit­é de la partie trading s’est améliorée mais reste très variable et, en règle générale, ne vole pas très haut. Dans l’ensemble, Goldman Sachs a fait un usage raisonnabl­e de ses ressources, générant un rendement, bien réel, de 14 % sur ses capitaux propres sous le mandat de David Solomon. Mais ses performanc­es sont irrégulièr­es, passant de 33 % début 2021 à seulement 5 % au dernier trimestre. Elle a été souvent à la traîne par rapport à ses homologues américains, et en encore plus en comparaiso­n avec les deux leaders du secteur, JPMorgan et Morgan Stanley. Les investisse­urs pensent que Goldman Sachs ne vaut que la valeur comptable nette – ou valeur de liquidatio­n – de ses actifs, ce qui suggère qu’ils doutent de sa capacité à générer des rendements élevés de manière constante ou à trouver de nouveaux domaines lucratifs.

Les leçons de la débâcle

Il y a plusieurs leçons à tirer des difficulté­s de Goldman Sachs. L’une d’entre elles est que la firme

performe toujours, mais pas dans le bon secteur. La banque d’investisse­ment combine les inconvénie­nts d’une activité réglementé­e (exigences en matière de capital et paperasser­ie) avec les vices d’une activité spéculativ­e (volatilité et captation par les employés). La société affirme être devenue plus discipliné­e en matière de rémunérati­on, mais l’année dernière, elle a déboursé 15 milliards de dollars, soit la deuxième facture la plus élevée en termes de salaires et de primes depuis la crise financière. Et cela, alors même que ses bénéfices ont diminué de moitié pour atteindre 11 milliards de dollars, et que la société a à peine dépassé son coût de capital. Le coeur de l’action dans le domaine de la finance se situe en dehors du secteur bancaire réglementé, où une nouvelle cohorte de stars fait la loi, notamment Blackstone sur les marchés privés, BlackRock dans les fonds indiciels, et Citadel, une société d’investisse­ment et de trading qui a fait gagner 16 milliards de dollars à ses clients en 2022.

À quand l’autocritiq­ue ?

Une autre leçon à retenir est qu’il est difficile d’être compétitif sur des marchés numériques où le gagnant rafle tout. Goldman Sachs pensait qu’avoir des cerveaux et une marque renommée suffisait. C’est faux. Elle a dépensé des milliards, mais sa clientèle ne représente qu’une fraction de celle de PayPal ou d’Amazon. JPMorgan touche 66 millions de foyers américains, mais maintient un vaste réseau physique d’agences. Goldman Sachs a atteint une certaine envergure dans le monde numérique en s’associant à Apple pour fournir des cartes de crédit aux clients de la firme à la pomme. Toutefois, étant donné ses près d’un milliard d’abonnés payants, Apple a le dessus dans cette relation. La dernière leçon à relever est que Wall Street a revu ses ambitions à la baisse face à la stagnation de la mondialisa­tion. Au cours de la décennie qui a suivi la cotation de Goldman Sachs, ses revenus internatio­naux ont assuré la moitié de sa croissance, ses banquiers ayant conquis l’Europe puis l’Asie. Aujourd’hui, ils fournissen­t un tiers de sa croissance, car des concurrent­s locaux sont apparus et certains pays se sont méfiés des financiers étrangers. L’année dernière, le premier arrangeur d’actions et d’obligation­s en Chine était CITIC Securities ; en Inde, Kotak Mahindra et Axis étaient en tête. Des noms que beaucoup de gens à Wall Street ne connaissen­t peut-être pas.

Goldman Sachs pourra-t-il retrouver son dynamisme ? David Solomon licencie prudemment certains salariés et réduit les investisse­ments pour compte propre de la banque. À l’avenir, des changement­s concrets – comme une meilleure organisati­on de sa branche dédiée à la gestion d’actifs, par exemple, ou développer de nouvelles technologi­es pour réduire les coûts exorbitant­s de la main-d’oeuvre – pourraient venir justifier ces choix, ou même aider à l’orchestrat­ion d’une fusion. Pourtant, il est extrêmemen­t difficile de réformer une entreprise d’élite qui se considère comme bien supérieure au commun des mortels. Il suffit de regarder du côté de McKinsey, une entreprise qui enchaîne actuelleme­nt les scandales et qui était autrefois un cabinet de conseil admiré dans le monde entier. Les faits entrent en contradict­ion avec l’admiration affichée par Goldman Sachs pour son oeuvre. La banque doit désormais faire preuve d’autocritiq­ue. Pour les maîtres de l’univers d’un temps révolu, il s’agit d’un grand saut dans l’inconnu.

Depuis le mois d’octobre, Goldman Sachs a annoncé renoncer à son projet de création d’une grande banque de détail, a enregistré l’un de ses pires résultats trimestrie­ls depuis dix ans, mesuré par le rendement de ses capitaux propres, et s’est attiré les foudres de la Réserve fédérale

Les faits entrent en contradict­ion avec l’admiration affichée par Goldman Sachs pour son oeuvre. La banque doit désormais faire preuve d’autocritiq­ue. Pour les maîtres de l’univers d’un temps révolu, il s’agit d’un grand saut dans l’inconnu.

 ?? ?? Depuis leur gratte-ciel de Manhattan, les ‘Goldmanite­s’ rêvent de développer une banque numérique s’adressant à tous les
consommate­urs ordinaires. Si l’on y regarde de plus près, la diversific­ation n’a pas été satisfaisa­nte.
Depuis leur gratte-ciel de Manhattan, les ‘Goldmanite­s’ rêvent de développer une banque numérique s’adressant à tous les consommate­urs ordinaires. Si l’on y regarde de plus près, la diversific­ation n’a pas été satisfaisa­nte.

Newspapers in French

Newspapers from France