Le Nouvel Économiste

La longue histoire des ‘bank run’ aux Etats-Unis

Le premier eut lieu en 1819. Mais en 2023, la panique s’est propagée à travers les réseaux sociaux.

- BIDEN POWER, ANNE TOULOUSE

Parmi les images qui illustrent l’Histoire des États-Unis figurent en bonne place celles d’hommes coiffés de chapeaux melons qui, les yeux exorbités, se massent devant un établissem­ent bancaire pour réclamer leurs fonds, ce que l’on a appelé un “bank run”. Ces images remontent à une époque où les femmes avaient peu à faire avec le système bancaire et où l’argent avait encore une présence physique. Lundi, les clients de la Silicon Valley Bank ont fait la queue dans le calme pour récupérer leurs dépôts, et l’on n’a pas vu de scènes de paniques lorsque les rumeurs d’effondreme­nt ont commencé à courir la semaine dernière. L’hémorragie s’est déroulée silencieus­ement par le biais des ordinateur­s ou des téléphones portables. Ces moyens pourraient avoir servi d’accélérate­urs, certains titres de la presse parlent de premier “bank run” des réseaux sociaux, arguant que la panique aurait été déclenchée par une lettre d’informatio­n relayée par Twitter. En tout cas, il est la suite d’une longue histoire.

Une longue histoire de bank runs

Les États-Unis ont connu leur premier bank run en 1819, lorsque la fin des guerres napoléonie­nnes en Europe a fait chuter la demande de produits agricoles venus d’outre-Atlantique. Les banques étaient à l’époque des institutio­ns locales qui émettaient leur propre papier-monnaie, garanti par des dépôts en dollar or. Des dizaines de milliers de fermiers ont été ruinés dans cette débâcle. Ce n’est qu’au moment de la guerre civile que Lincoln a imposé une monnaie unique, le dollar papier. Cela n’a pas empêché un autre mouvement de panique lorsque les chemins de fer, qui avaient été le nerf de la guerre, ont vu leurs bénéfices s’effondrer avec le retour de la paix. En 1873, la faillite d’une société qui avaient vendu des bonds de chemin de fer a provoqué une telle panique que le Stock Exchange a dû être fermé pendant 10 jours. Cet épisode a

entraîné ce que l’on a appelé “la grande dépression”, jusqu’à ce qu’en 1929, une autre s’arroge le titre. Entre-temps, il y avait eu la grande panique de 1907, générée par la faillite de deux petites banques d’investisse­ment qui avait spéculé sur le cuivre. La méfiance s’est propagée pendant un mois entre octobre et novembre – à l’époque il n’y avait pas d’institutio­n bancaire pour l’endiguer, la Reserve Fédérale n’a été créée qu’en 1914. C’est un groupe de banquiers qui a rétabli la situation, à l’instigatio­n de

John Pierpont Morgan, celui-là même qui a donné les initiales JP à la banque d’aujourd’hui.

Silicon Valley Bank, première d’une longue série ?

L’inquiétude suscitée par la situation actuelle est ancrée dans une saga qui montre qu’un incident isolé est souvent la première étincelle précédant un vaste incendie. Ainsi, lorsque le jour s’est levé, le 14 novembre 1930, la file des clients qui voulaient retirer leurs fonds de la Tennessee

Hermitage National Bank s’étirait sur plusieurs blocs dans le centre de Nashville. À deux heures de l’après-midi, les coffres de la banque étaient à sec et elle a dû fermer ses portes, suscitant une panique qui a gagné tout le Sud agricole, puis l’ensemble du pays. Dans l’année qui a suivi, 1 300 établissem­ents bancaires se sont retrouvés en défaut de paiement. Ce chiffre donne une idée de l’ampleur du secteur bancaire aux États-Unis. Si la Silicon Valley Bank est la 16e banque, cela veut vraiment dire quelque chose car il y en a plus de 4 000 dans le pays. Les deux plus grandes, JP Morgan Chase et Bank of America, détiennent à elle deux un capital de 5,5 milliards de dollars. La plus petite est Oakwood State Bank, qui opère depuis un siècle dans la petite ville d’Oakwood, au Texas. Son président a 85 ans et tape toujours les chèques sur une vieille machine à écrire. Elle a un capital 500 000 fois inférieur à celui de JP Morgan Chase, et 600 clients qui ne voudraient pour rien au monde aller ailleurs. Ces banques locales et familiales font partie du paysage américain, avec des bâtiments souvent inspirés du style grec antique qui voulaient projeter un air de sérieux et de respectabi­lité. Elles sont le témoignage de l’incurable optimisme américain qui enfourche toutes les envolées économique­s sans envisager leur fin. Elles reflètent l’histoire du pays avec ses guerres, ses inventions et ses modes. Certains républicai­ns ont déjà baptisé Silicon Valley Bank, la banque “woke”, en se référant à une campagne appuyée de l’établissem­ent pour promouvoir son implicatio­n dans la diversité et l’engagement durable, qui sont des images de marque de la Silicon Valley. Rien ne dit que le facteur woke ait joué un rôle dans les décisions des dirigeants, ils auront surtout à répondre dans les semaines à venir de la qualité de leurs jugements financiers.

L’inquiétude suscitée par la situation actuelle est ancrée dans une saga qui montre qu’un incident isolé est souvent la première étincelle précédant un vaste incendie.

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silencieus­ement par le biais des ordinateur­s ou des téléphones portables.
Lundi, les clients de la Silicon Valley Bank ont fait la queue dans le calme pour récupérer leurs dépôts. L’hémorragie s’est déroulée silencieus­ement par le biais des ordinateur­s ou des téléphones portables.

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