Le Nouvel Économiste

L’opposition indienne muselée

L’usage de la justice à des fins politiques s’est accentué sous Narendra Modi

- CHRONIQUES DU MAHABHARAT­A, CHARLY SALKAZANOV

“Tous les voleurs ont Modi comme nom de famille.” Ces propos tenus lors de la campagne électorale de 2019 ont valu à Rahul Gandhi une condamnati­on à deux ans de prison pour diffamatio­n, le 23 mars dernier. Ce descendant de trois Premiers ministres est le principal rival du Premier ministre Narendra Modi. Rahul Gandhi dirige le parti du Congrès qui dominait la scène politique indienne. Sa condamnati­on a fait couler beaucoup d’encre. Pourtant, il est courant en Inde d’utiliser la justice pour museler l’opposition. Mais cette pratique s’est accentuée sous Narendra Modi.

Rahul Gandhi banni du parlement indien

Rahul Gandhi s’est défendu en disant que ses propos ne visaient pas personnell­ement Narendra Modi, mais la corruption au sein du pays. En effet, cette phrase était destinée à d’autres Modi : Nirav Modi, un joaillier en fuite, et Lalit Modi, ex-chef banni à vie d’une ligue de cricket. En outre, Rahul Gandhi demandait l’ouverture d’une enquête sur Narendra Modi et le magnat Gautam Adani. Il soupçonne une fraude entre le Premier ministre et le milliardai­re dans l’attributio­n de contrats. L’opposant a relevé appel de cette décision et été libéré sous caution. Il n’ira donc pas en prison. Mais le Parlement n’a pas attendu et l’a privé de son siège. La chambre basse perd une figure de proue. Des membres de l’opposition lui ont manifesté leur soutien. Ils ont aussitôt été interpellé­s pour manifestat­ion illégale. Rahul Gandi était déjà surveillé par le logiciel d’espionnage Pegasus. Désormais, Narendra Modi obtient son éviction du Parlement.

La justice, bras armé de Narendra Modi

Le Premier ministre indien est régulièrem­ent accusé d’utiliser la justice pour neutralise­r l’opposition. Si ce n’est pas lui qui a porté plainte contre Rahul Gandhi, difficile de ne pas y voir son ombre. En février 2023, c’était Manish Sisodia, bras droit du chef de gouverneme­nt à New Delhi, qui était arrêté. Il était accusé d’escroqueri­e. En réalité, son parti, l’Aaam Aadmi Party (le Parti de l’homme ordinaire) a infligé à Narendra Modi son premier revers électoral à New Delhi en 2015. Depuis, son parti (le BJP) n’a pas réussi à reprendre la capitale. Aussi la justice agit-elle comme son bras armé. Dans la plupart des cas, ces arrestatio­ns n’ont pas de suite judiciaire. Mais l’opposant est affaibli ou sa réputation ruinée. Le travail de sape est fait.

Une pratique ancienne

Toutefois, il serait injuste d’imputer tous les torts à Narendra Modi. Cette pratique existait déjà quand le parti du Congrès, à gauche, était au pouvoir. Par le passé, plusieurs parlementa­ires se sont fait exclure du parlement, comme Indira Gandhi, la grand-mère de Rahul Gandhi, en 1977. Mais depuis

2014, les investigat­ions du Bureau central d’investigat­ion (CBI) ont plus que doublé. 118 opposants politiques de premier plan sont dans le viseur des autorités.

Si la tendance n’est pas nouvelle, Narendra Modi confond allègremen­t combat démocratiq­ue et abattage d’un ennemi. Au cas où il s’en sortirait, Rahul Gandhi est

visé par deux autres procédures en diffamatio­n et mis en cause dans une affaire de blanchimen­t. Mais le Premier ministre devrait prendre garde. Rahul Gandhi sait médiatiser ses causes. En 2022, il a parcouru le pays à pieds pour rencontrer des gens de toutes classes. Condamné pour des propos, il n’a pas dit son dernier mot.

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Désormais, Narendra Modi obtient son éviction du Parlement.
Rahul Gandhi était déjà surveillé par le logiciel d’espionnage Pegasus. Désormais, Narendra Modi obtient son éviction du Parlement.

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