Le Nouvel Économiste

Catherine Barba, Envi : “Comme une évidence, je devais créer l’école des indépendan­ts qui réussissen­t”

Après la transforma­tion numérique, la transforma­tion du travail. Pionnière et spécialist­e reconnue du web ayant fait ses armes chez iFrance, la serial entreprene­use (Cashstore, Malinea, Pep’sLab) entend cette fois accompagne­r les mutations du monde du tra

- EXTRAITS DE LA SÉRIE ‘BUSINESS , INTERVIEW MENÉE PAR ÉDOUARD LAUGIER

MODEL’,

Vous lancez Envi, une école qui ambitionne d’aider les indépendan­ts, qui veulent monter une entreprise et en vivre durablemen­t, à construire une offre robuste. Pourquoi cette initiative ?

Catherine Barba. Nous assistons à une transforma­tion des entreprise­s au sens large, et notamment celle du travail. Il y a de plus en plus d’indépendan­ts : 3,5 millions aujourd’hui, et bientôt 10 millions. Comme une évidence, je devais créer l’école des indépendan­ts qui réussissen­t, Envi, qui veut dire “Ensemble vers ma nouvelle vie d’indépendan­t”. D’un côté, les travailleu­rs entretienn­ent un autre rapport au travail. Faire carrière dans une entreprise n’est plus une idée majoritair­e. Il y a une aspiration partagée à plus d’autonomie, d’équilibre et de sens. De l’autre, les entreprise­s sont confrontée­s à une pénurie de talents. Or sans talents, point de croissance. L’enjeu pour elles consiste à se rendre suffisamme­nt désirables pour attirer les compétence­s des indépendan­ts, et à fidéliser ces derniers par la notion d’engagement.

Quelle est l’offre de services d’Envi, aux indépendan­ts d’un côté, aux grands groupes de l’autre ?

C.B. Aux particulie­rs qui veulent se mettre à leur compte, nous proposons des formations et des programmes pour être libres et rentables, à travers des parcours de un à trois mois pendant lesquelles ils travaillen­t une heure par jour à distance et en collectif. Nous étudions les piliers d’une activité rentable autour de questions sur le marché, l’offre, les bénéfices clients, la rentabilit­é, le digital ou le choix du statut. Ce sont des piliers de bon sens que doit maîtriser tout chef d’entreprise qui souhaite vivre du fruit de son travail.

Nous proposons également des formations aux entreprise­s pour aider leurs managers à augmenter leur capacité d’action et insuffler un état d’esprit entreprene­urial dans leur activité. Si une entreprise souhaite se réinventer, trouver un nouveau modèle de croissance ou travailler avec des parties prenantes externes, elle doit faire grandir son état d’esprit entreprene­urial. Notre offre permet de développer ces compétence­s pratiques à travers un programme très intense de trois jours.

Comment sont produites toutes ces compétence­s et ces formations ?

C.B. Nous avons passé de long mois sur l’ingénierie pédagogiqu­e. Elle s’adosse sur des individus qui ont emprunté le chemin de l’entreprene­uriat – avec réussite ou pas – et sont capables de partager leur expertise. La pédagogie a été conçue avec une trentaine d’entreprene­urs qui proposent des contenus, des masterclas­s et des ateliers, selon la philosophi­e du “j’apprends, j’applique”. Par exemple Éric Larchevêqu­e [entreprene­ur et investisse­ur, cofondateu­r de Ledger, ndlr], qui est aussi présent dans l’émission “Qui veut être mon associé ?”, Nathalie Balla [ancienne présidente de La Redoute], Céline Lazorthes [fondatrice et dirigeante du groupe Leetchi]… Pour Envi, ils font le travail de se souvenir des fondements d’une entreprise saine qui grandit bien. Chaque apprentiss­age est validé avec des pairs. Nous travaillon­s en équipages, car se mettre à son compte est une sacrée traversée, surtout pour celles et ceux qui ont longtemps été salariés.

Qui sont vos early adopters, vos premiers élèves ?

C.B. D’abord, je leur dis merci du fond du coeur. C’est toujours mystérieux, un petit

miracle quand une idée devient réelle et qu’il y a des gens qui s’inscrivent vraiment. Pour les deux tiers, nos premiers élèves sont des femmes. Elles viennent pour moitié de Paris. La plupart de nos élèves se mettent à leur compte pour la première fois. Les autres sont déjà entreprene­urs individuel­s. Nous nous sommes lancés fin septembre 2022 avec une première promo de 25. Ils se sont appelés “les pionniers”. Début janvier, une deuxième promo de 50 personnes a démarré. Elle s’appelle “les audacieux”. Mi-avril, une troisième promotion de 50 personnes sera lancée.

Quelles sont les principale­s difficulté­s que vous observez chez les indépendan­ts ?

C.B. Leur première difficulté est la solitude. Il n’est pas facile d’avoir du discerneme­nt sans ping-pong intellectu­el avec des associés. Il est formidable de pouvoir confronter des points de vue, se serrer les coudes quand ça ne va pas ou partager les succès. La seconde difficulté est savoir-être un peu couteau suisse : être très bon dans son métier sans négliger la partie gestion de l’entreprise. Il est vraiment important d’avoir les yeux rivés sur le cash. Enfin, il faut aller chercher des clients. Il est nécessaire d’apprendre à se vendre car c’est sur son nom que l’on construit une crédibilit­é.

Souvent les personnes ne se sentent pas légitimes et ont un peu d’appréhensi­on. Au sein d’Envi, nous travaillon­s sur cette dimension de confiance.

Quel regard portez-vous sur les entreprise­s qui travaillen­t avec des indépendan­ts ? Comment se comportent-elles ?

C.B. La conception même de l’entreprise évolue, passant d’un monolithe fermé sur ses talents internes à un hub de compétence­s ouvert. L’entreprise devient un écosystème dont les parties prenantes sont multiples et qui crée de la valeur autrement, et notamment avec des indépendan­ts. Elle le fait d’abord par nécessité, parce qu’elle n’arrive pas à trouver les talents en salariés. Ensuite, pour des raisons de flexibilit­é. Enfin, les indépendan­ts sont un flux entrant de points de vue, une nouvelle diversité avec d’autres catégories de travailleu­rs. Ces évolutions soulèvent aussi un certain nombre de questions passionnan­tes : qu’est ce qui fonde le collectif ? quels sont les ferments dans une entreprise qui devient plurielle et hybride hors les murs ? comment créer ce sentiment d’appartenan­ce ? D’ailleurs, avec plusieurs entreprise­s du CAC 40, nous avons créé un collectif pour réfléchir ensemble à ces problémati­ques.

Quelle est la stratégie de distributi­on et de promotion des services d’Envi ?

C.B. Pour aller chercher des apprenants, des talents comme on dit, nous utilisons la force du réseau, notamment les réseaux sociaux. LinkedIn est un excellent vivier quand on a la chance d’avoir une voix qui porte un peu.

Il nous a permis d’attirer des personnes à coût d’acquisitio­n zéro. Nous allons tester d’autres canaux. À partir du mois d’avril, nous commencero­ns un tour de France des régions pour aller physiqueme­nt à la rencontre des indépendan­ts et des écosystème­s qui les accompagne­nt. Cela nous permettra de voir quelles sont les villes dans lesquelles il y a une appétence particuliè­re. L’avenir d’Envi n’est pas de rester uniquement dans le digital.

Comment vous différenci­ez-vous face à la concurrenc­e directe ou indirecte sur le marché de la formation ?

C.B. Il y a pléthore de formations sur le marché. Beaucoup d’offres existent à destinatio­n des indépendan­ts, mais aucune proposée par des entreprene­urs pour des entreprene­urs.

Notre différenci­ation se fait sur plusieurs facteurs. Il y a effectivem­ent notre discours d’entreprene­ur qui très pratique. Nous mettons également en avant l’idée que l’on apprend à entreprend­re ensemble, et non tout seul devant un cours en ligne en vidéo.

L’organisati­on managérial­e d’Envi ?

C.B. Au départ, avec mes trois cofondatri­ces, nous étions sur tous les sujets. Il fallait réfléchir à tout, partager et créer du lien. Désormais, nous sommes dans une dynamique de croissance, chaque coéquipièr­e est associée à une mission et un métier. Charlotte de Charentena­y s’occupe de l’école parce qu’elle a été enseignant­e puis indépendan­te. Carine Malausséna est couteau-suisse et gère les partenaire­s, les événements, la finance et la tech. Rachel Lesage,

qui a été toute sa vie dans une grande entreprise, dans le digital et la formation, est là pour assurer l’acquisitio­n client et la conversion. De mon côté j’essaye d’être une G.O. [gentille organisatr­ice, ndlr], de donner une vision et un coup de main sur tous ces sujets.

Avez-vous défini un système de valeurs, une forme de culture d’entreprise ? Je crois que vous êtes une entreprise à mission…

Leur première difficulté est la solitude. Il n’est pas facile d’avoir du discerneme­nt sans ping-pong intellectu­el avec des associés

C.B. Il n’y a pas de frontières entre nos valeurs et celles d’Envi comme entité morale. C’est donc la solidarité, l’innovation, la transmissi­on, être sérieux sans se prendre au sérieux, être orientés résultats et ne jamais oublier le lien humain. C’est la raison de la dimension de société à mission. Le jour où nous réaliseron­s des profits, nous reverseron­s une partie à une fondation que nous avons créée et qui est logée dans la Fondation Entreprend­re. Ils soutiendro­nt des entreprise­s ou des associatio­ns qui aident l’entreprene­uriat. La solidarité nous est chevillée au corps. On ne réussit pas tout seul. Mon parcours d’entreprene­ur, grâce auquel j’ai eu la chance de gagner de l’argent que j’ai investi pour beaucoup dans des start-up – j’ai dilapidé mon patrimoine dans des start-up ! – fait que j’ai aujourd’hui envie d’encourager des personnes qui se mettent à leur compte.

Comment se répartit l’actionnari­at d’Envi ?

C.B. Il y a les quatre fondatrice­s, Charlotte de Charentena­y, Carine Malausséna, Rachel Lesage et moi-même. Et nous avons

Ce qui me motive, c’est d’apprendre, explorer, embarquer, convaincre et partager”

fait une petite levée de fonds de moins de 500 000 euros auprès d’amis entreprene­urs… Parmi lesquels Romain Afflelou [investisse­ur et fondateur de Cosmo Connected] ou encore Marc Ménasé [investisse­ur et président de Founders Future]. Nous n’en avions pas forcément besoin mais cette opération nous oblige et nous engage, et elle nous tire vers le haut.

Vos principale­s sources de revenus, quelles sont-elles ?

C.B. Nous en avons deux. D’abord, les revenus issus des formations aux particulie­rs. Elles coûtent 2 000 euros et sont éligibles au CPF. Il est possible de s’abonner à notre communauté pour 10 euros par mois et d’accéder à la quintessen­ce des formations Envi autour d’ateliers business, de pitchs et du “Barbaboost”, un moment de stimulaion de 20 minutes le lundi matin que j’anime. En BtoB, nous proposons des formations pour insuffler un état d’esprit entreprene­urial chez les dirigeants des plus grandes entreprise­s.

Vous êtes-vous fixé des objectifs de chiffre d’affaires et de rentabilit­é ?

C.B. Nous avons des étapes de croissance. Envi est ma quatrième entreprise, donc je sais que dans un business plan, le seul chiffre vrai est le numéro de page. Il faut garder beaucoup de souplesse et de recul. Pour autant, notre objectif est d’arriver le plus vite possible à 5 millions d’euros de chiffre d’affaires pour ensuite accélérer, peut-être avec une levée de fonds. L’important est d’avoir les yeux rivés sur les premiers clients et leur satisfacti­on pour faire évoluer notre produit pas à pas. Nous avons prévu tout un arsenal de dispositif­s

et nous sortirons celui qui correspond à l’état du marché au bon moment.

Quel est le délai d’atteinte du point mort de l’entreprise ?

C.B. Nous sommes déjà rentables. Dès le démarrage de l’activité, nous avons engrangé des revenus qui nous ont permis d’investir dans une plateforme technique pour la communauté. Notre modèle est assez vertueux et il y a peu de charges fixes. Toutefois, les supports pédagogiqu­es coûtent de l’argent parce “Nnotre objectif est d’arriver le plus vite possible à 5 millions d’euros de chiffre d’affaires pour ensuite accélérer”

qu’il faut les renouveler en permanence. Pendant la formation Envi, nos talents ont à leur côté un agent de talent. Cette personne accompagne trois talents toutes les semaines pendant 1 heure. Ce service a un coût.

Quels sont vos besoins de financemen­t aujourd’hui ?

C.B. Si demain, nous décidions de créer une école avec des campus physiques dans toute la France, nous aurions besoin de faire appel à des fonds. J’ai été dans le digital toute ma carrière, et plus il y a de digital dans nos vies, plus on a besoin d’un retour au réel. On réfléchit à s’ancrer physiqueme­nt là où il y a des besoins, et notamment en région. Aujourd’hui, la création de valeur se fait d’abord en numérique, c’est un moyen plus rapide à mettre en oeuvre, moins lourd financière­ment et permettant d’adresser un public qui n’est pas qu’à Paris. Notre enjeu est de

créer un engagement très fort alors que nous n’existons pas physiqueme­nt. Pour cela, nous avons inventé des rituels, des modes d’intégratio­n et de reconnaiss­ance.

Quels sont les choix stratégiqu­es les plus fondamenta­ux pour un dirigeant ?

C.B. Choisir les bons collaborat­eurs est la condition déterminan­te de tout succès entreprene­urial. Je l’ai vu dans les entreprise­s que j’ai créées ou financées. On peut avoir une idée un peu bancale mais la faire pivoter ou avoir un modèle économique qui ne marche pas au début mais finit par fonctionne­r. En revanche, trouver les bonnes personnes est le plus difficile.

Quel est le plus grand risque inhérent à votre projet ?

C.B. Ne pas être assez rigoureux. Entreprend­re c’est être dans l’action, mais il faut aussi mesurer la satisfacti­on ou l’insatisfac­tion. Il est important d’écouter les critiques. Il n’est jamais agréable d’entendre un client se plaindre, mais un client qui râle est un client qui vous aime encore. Les échecs viennent d’une mauvaise analyse, d’un manque de lucidité et de courage.

Entreprend­re a été l’une de vos premières ambitions dès le plus jeune âge…

C.B. J’ai récemment exhumé sur LinkedIn un vieux devoir de CM2 expliquant ce que l’on serait une fois adulte. J’avais répondu : “créer et diriger une société d’informatiq­ue”. J’ai cette curiosité, et puis un énorme rempart de confiance grâce à mes parents. Quand on reçoit un amour inconditio­nnel, on sait qu’il ne peut rien arriver de grave.

Qui sont vos mentors ?

C.B. Marc Simoncini et Thierry de Passemar m’ont fait confiance en me recrutant comme directrice général d’iFrance. J’avais envie d’apprendre et de suivre leur chemin. En les regardant faire, j’ai appris à négocier, à recruter, à vendre, à faire de la veille, etc.

Quelle est la plus grande réussite de votre vie jusqu’à présent ?

C.B. Faire tenir mon parcours profession­nel et ma famille. Depuis bientôt 22 ans, je suis toujours marié avec le même homme qui est aussi un passionné, un entreprene­ur. Il y a eu beaucoup de turbulence­s dans notre histoire. Nous avons une fille de 20 ans. Le fait que notre petite escouade soit forte et solide est une énorme joie.

Au fond, qu’est ce qui vous motive encore ?

C.B. Ce qui me motive, c’est d’apprendre, explorer, embarquer, convaincre et partager. Après le digital, la tech et le e-commerce, je travaille aujourd’hui sur des sujets de formation, de transmissi­on, d’indépendan­ts, de TPE. C’est devenu mon sujet d’expertise parce que j’y travaille 20 heures sur 24.

Quel est selon vous le plus grand défi de notre temps ?

C.B. Le plus grand défi de notre temps est écologique : sauver la planète. Il ne faut pas non plus oublier l’essentiel : le bien commun. Il y a une force dans ma vie qui est ma foi. C’est quelque chose qui me porte, qui me donne des ailes, beaucoup d’énergie et d’espérance.

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“Face à la pénurie de talents, l’enjeu pour les entreprise­s consiste à se rendre suffisamme­nt désirables pour attirer les compétence­s des indépendan­ts, et à fidéliser ces derniers par la notion d’engagement.”
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“La conception même de l’entreprise évolue, passant d’un monolithe fermé sur ses talents internes à un hub de compétence­s ouvert. L’entreprise devient un écosystème dont les parties prenantes sont multiples et qui crée de la valeur autrement, et notamment avec des indépendan­ts.”
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“Aujourd’hui, la création de valeur se fait d’abord en numérique, c’est un moyen plus rapide à mettre en oeuvre, moins lourd financière­ment et permettant d’adresser un public qui n’est pas qu’à Paris.”

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