Le Nouvel Économiste

Le défi écologique des entreprise­s de propreté

Entre vrais labels et fausses promesses, comment éviter les pièges du greenwashi­ng ? Produits respectueu­x de l’environnem­ent, économies d’eau, équipement­s en pplastique­q réutilisab­les… Dans le secteur du nettoyage profession­nel, l’Écolabel européen fait

- BENOÎT COLLET

Il y a quelques années, écologie et nettoyage profession­nel faisaient rarement bon ménage. Mais depuis trois ans, dans le monde de l’entretien, une nouvelle certificat­ion fait référence : l’Écolabel européen, délivré par l’Associatio­n française de normalisat­ion (Afnor). Aujourd’hui, seules une dizaine d’entreprise­s l’ont obtenu. Avant 2019, il n’existait que pour les produits ménagers, avant que la Commission européenne ne l’étende aux profession­nels du nettoyage. Les entreprise­s arborant l’Écolabel européen s’engagent évidemment à utiliser au moins 50 % de produits de nettoyage euxmêmes écolabelli­sés, c’est-à-dire contenant le minimum possible de substances dangereuse­s, comme les microplast­iques, les phosphates, les parfums de synthèse, le chlore…, ainsi que 50 % de produits microfibre­s réutilisab­les, plutôt que des synthétiqu­es jetables. “Nous formons également les salariés à utiliser le moins de produit possible, en préparant bien les dilutions. Aujourd’hui, avec les avancées technologi­ques, on utilise deux litres de détergent dilué pour laver 200 m², là où il en fallait deux seaux plein il y a encore quelques années”, remarque Romain Bouyssoux, président de CRC Formation, un organisme qui prépare les entreprise­s de nettoyage intéressée­s à passer la certificat­ion de l’Afnor. Sur la dizaine qui l’ont obtenu aujourd’hui en France, huit sont passées par CRC Formation pour s’organiser et réformer leur management, en vue de l’obtention du label.

Les progrès de la chimie verte

Petit bémol du côté de l’Écolabel européen, qui a eu son importance pendant le covid, il exclut les produits désinfecta­nts, car biocides. “Durant la pandémie, les entreprise­s labellisée­s ont pallié ce problème en différenci­ant, dans le cahier des charges, le service désinfecti­on et le service nettoyage”, poursuit Romain Bouyssoux. Il existe cependant des solutions de désinfecti­on “éco-compatible­s”, dont le sérieux est attesté par un autre label appelé Ecocert, qui certifie seulement les produits et non pas les entreprise­s de nettoyage en elles-mêmes.

Le label Ecocert va plus loin que l’Écolabel européen, en certifiant que les produits d’entretien qui affichent son logo sont fabriqués à partir de molécules biosourcée­s, et non avec des dérivés pétrochimi­ques, comme les polymères. Aujourd’hui, de nombreux procédés industriel­s basés sur la chimie verte permettent d’élaborer des produits d’entretien à base d’huiles de palme, de tournesol,

Les entreprise­sp arborant l’Écolabel européen s’engagent à utiliser au moins 50 % de produits de nettoyage contenant le minimum possible de substances dangereuse­s, comme les microplast­iques, les phosphates, les parfums de synthèse, le chlore…

de chardon, et des détergents à base de molécules issues de la betterave sucrière, réputée pour ses bonnes propriétés tensioacti­ves (composé chimique qui a pour effet d’augmenter les propriétés mouillante­s d’un liquide). “Évidemment, pour que la démarche environnem­entale soit cohérente, il faut que ces matières premières soient produites de manière responsabl­e, non issues de la déforestat­ion, ni entrant en concurrenc­e avec l’agricultur­e nourricièr­e”, fait remarquer au passage Isabelle Videlaine, directrice responsabi­lité sociale des entreprise­s (RSE) et développem­ent durable à la FHER (Fédération de l’hygiène et de l’entretien responsabl­e), qui regroupe les principaux fabricants de produits d’entretien ménagers et profession­nels.

Des produits à impact neutre ?

Certaines entreprise­s du secteur affichent l’Écolabel européen sur leur site sans avoir été réellement certifiées. Du pur greenwashi­ng, assez facile à débusquer puisqu’il suffit de vérifier le numéro de certificat­ion.

Globe Cleaner, entreprise de nettoyage profession­nelle francilien­ne aux 15 millions de chiffre d’affaires et aux 150 salariés, a été parmi l’une des premières à obtenir l’Écolabel européen, même si elle n’a pas attendu la certificat­ion de l’Afnor pour s’engager dans une démarche écologique. En plus de son nouveau service écolabelli­sé, elle propose à ses clients depuis 2018 une technologi­e de nettoyage à impact environnem­ental quasiment neutre : une solution détergente et désinfecta­nte à base d’eau et de chlorure de sodium, obtenue par électrochi­mie dans son petit laboratoir­e maison du XVe arrondisse­ment de Paris. Les deux offres sont complément­aires, mais la deuxième n’est pour le moment pas éligible à l’Écolabel européen.

Il n’en reste pas moins qu’elle est prometteus­e, et qu’une bonne partie de la profession s’y intéresse de près pour réduire l’impact environnem­ental du nettoyage. “On est très attentif à ce type d’innovation, qui permet de vrais progrès par rapport à la chimie traditionn­elle”, confirme Philippe Jouanny, président de la Fédération des entreprise­s de la propreté (FEP), qui regroupe 15 000 entreprise­s du secteur pour quelque 580 000 salariés. “C’est un produit sans chimie qui correspond à 80 % de nos usages, qu’il s’agisse de bureaux ou de magasins, que nous produisons nous-mêmes et transporto­ns sur nos chantiers dans des bidons recyclable­s”, explique encore Thierry Bias, cofondateu­r de Globe Cleaner.

La question des déchets est également centrale dans le monde du nettoyage, très gros consommate­ur de plastique, et se pose avec d’autant plus d’acuité avec l’objectif de “zéro plastique à usage unique d’ici 2040”. “Le réemploi existe déjà un peu dans les grosses entreprise­s de nettoyage. Il peut être facile de le développer à grande échelle, vu les grosses quantités de produits consommés et les process industriel­s. Dans les PME en revanche, cela peut être plus compliqué à mettre en place”, analyse Isabelle Videlaine. Les laboratoir­es de recherche et développem­ent des grands groupes de nettoyage se mettent eux aussi à plancher sur des méthodes plus écologique­s. Chez GSF Propreté, la deuxième plus grosse entreprise du marché, les ingénieurs testent des solutions sans chimie, comme l’eau ozonée, le nettoyage à la vapeur, ou encore l’eau électrolys­ée, cette dernière technologi­e ne nécessitan­t pas de détergent pour fonctionne­r, mais seulement de l’électricit­é. “Avec les stress hydriques à répétition qui vont s’accentuer dans les années à venir, nous travaillon­s également sur des procédés innovants pour économiser l’eau : qu’il s’agisse de son recyclage dans les autolaveus­es, de son stockage et de sa réutilisat­ion directemen­t sur les chantiers, ou de méthodes d’essuyage moins gourmandes”, complète Laurent Prulière, directeur du service recherche et développem­ent chez GSF.

Cette nouvelle gamme est proposée aux clients du groupe en complément du nettoyage traditionn­el, “pour un prix sensibleme­nt identique. Aujourd’hui, il ne faut pas se cacher derrière le prix des prestation­s, qui est sensibleme­nt le même, car dans une prestation de ménage profession­nel, le coût des produits est marginal par rapport à la maind’oeuvre”, poursuit l’ingénieur.

La tentation du greenwashi­ng

Le groupe assure par ailleurs utiliser des produits d’entretien chimiques dont la fabricatio­n a été peu émettrice en CO2, et qui ne présentent aucun risque cancérogèn­e, mutagènes ou reprotoxiq­ue. Une démarche qui porte la labellisat­ion “fournisseu­rs responsabl­es”, sans que le groupe ait pour autant de service écolabelli­sé dédié. Parmi les quatre plus gros acteurs du nettoyage profession­nel, seul Samsic a obtenu le sésame vert, en 2021. “Aujourd’hui, tout le monde parle de développem­ent durable dans le secteur. Mais dans la pratique, je continue à voir encore énormément de chimie traditionn­elle, d’équipement­s en plastique à usage unique… Beaucoup de PME dépendent de grossistes dont l’offre repose encore largement sur la pétrochimi­e”, tempère Thierry Bias, chez Globe Cleaner. Certaines entreprise­s du secteur affichent également l’Écolabel européen sur leur site, sans avoir été réellement certifiées. Du pur greenwashi­ng, assez facile à débusquer puisqu’il suffit de vérifier le numéro de certificat­ion. “Notre secteur est constitué à 80 % de TPE, d’où une difficulté importante à implanter des process standardis­és en matière de bonnes pratiques. Malgré tout, nous sommes fiers d’avoir mis en place des formations et des incitation­s de branche en matière de RSE”, se réjouit en demi-teinte Philippe Jouanny. Pour toutes les travailleu­ses et travailleu­rs du secteur, le sujet du nettoyage écologique est aussi une question de santé au travail. Moins de chimie dans les produits d’entretien signifie moins de pathologie­s profession­nelles et moins d’exposition à des produits dangereux pour la santé. “L’écologie, c’est aussi améliorer les conditions de travail de nos collaborat­eurs”, pointe encore Philippe Jouanny. Dans le secteur du nettoyage, la mise en place de méthodes plus écologique­s embrasse tous les aspects de la RSE.

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quelques années.” Romain Bouyssoux, CRC formation.
“Avec les avancées technologi­ques, on utilise deux litres de détergent dilué pour laver 200 m2, là où il en fallait deux seaux plein il y a encore quelques années.” Romain Bouyssoux, CRC formation.
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Isabelle Videlaine, FHER.
“Évidemment, pour que la démarche environnem­entale soit cohérente, il faut que les matières premières soient produites de manière responsabl­e.” Isabelle Videlaine, FHER.
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Philippe Jouanny, FEP.
“Notre secteur est constitué à 80 % de TPE, d’où une difficulté importante à implanter des process standardis­és en matière de bonnes pratiques.” Philippe Jouanny, FEP.

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