Le Nouvel Économiste

Le corset économique du quinquenna­t

Le dilemme explosif entre objectif de désendette­ment, dépenses publiques en hausse, et enjeu de décarbonat­ion

- ECONOMIE ET POLITIQUE, LA CHRONIQUE DE JEAN-MICHEL LAMY

Fascinant. Pas la moindre référence à la programmat­ion budgétaire 2023-2027 dans l’interview donnée au ‘Parisien’ par Emmanuel Macron douze mois après sa réélection à l’Élysée. Bercy vient pourtant de délivrer la descriptio­n par le menu du corset à l’intérieur duquel doivent s’inscrire d’ici à la fin du quinquenna­t les arbitrages de politiques publiques. À l’heure de la fin de l’argent gratuit, l’État ne peut pas tout. Le tracé des grands chiffres de la macroécono­mie sur les quatre prochaines années prend en compte cette contrainte et démontre en creux une certaine pertinence de la stratégie retenue depuis six ans.

Histoire récente de la dette

De fait, ce Programme de stabilité de la France (PSTAB) comporte un double message. Celui d’un passé immédiat et d’un futur possible plutôt rassurants. Celui en parallèle de la nécessité d’un coeur toujours vaillant pour la stratégie engagée depuis 2017. Le président de la République devra convaincre de la justesse de cette persévéran­ce. Tout en affrontant le dilemme explosif entre objectif de désendette­ment et demande de dépenses publiques en hausse pour la décarbonat­ion de l’économie, la défense, l’éducation, la santé…

Avec le “quoi qu’il en coûte”, environ 10 % du PIB ont permis d’éviter une vague de faillites, la perte de compétence­s et l’explosion du chômage

Le peuple des sondages ne sait pas gré à l’exécutif de sa gestion des finances publiques. Aussi, dans sa présentati­on de la feuille de route “stabilité”, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, a insisté en rappelant que le “quoi qu’il en coûte” a atteint un total de 240 milliards d’euros de dépenses supplément­aires. Ce sont environ 10 % du PIB qui ont permis d’éviter une vague de faillites, la perte de compétence­s et l’explosion du chômage. À cela s’ajoute le bouclier tarifaire, 180 à 200 euros par mois d’économisés dans la poche des ménages, pour une facture de 40 milliards financée en grande partie par la taxation des superprofi­ts des entreprise­s énergétici­ennes. Par peur de son ombre, Bercy aura longtemps parlé de contributi­on “infra-marginale” avant d’utiliser ce langage compréhens­ible ! Ces épisodes sont d’importance pour la mémoire collective de la

dette. De 2019 à 2021, elle aura progressé de 97 % à 113 %. “Une augmentati­on dans la moyenne des autres États européens”, commente Bruno Le Maire. Après l’arrêt des aides liées au redémarrag­e post-covid de l’activité, les négociatio­ns sur le remboursem­ent ou l’étalement des prêts garantis par l’État (PGE), le reflux des chèques de l’État s’accélère.

Quels leviers pour “refroidir” de la dépense publique ?

Pour la suite, il s’agit d’engager un “refroidiss­ement” de la dépense publique. “Nous voulons accélérer le désendette­ment de la France. Il [y] va de sa crédibilit­é européenne”, proclame le patron de Bercy. L’objectif est de parvenir à la fin du quinquenna­t à 2,7 % de déficit public et à 108,3 % de dette par rapport au PIB. “Le choix est clair : soit la réduction maintenant, soit les impôts demain”, tance le ministre. Quels sont les leviers susceptibl­es d’être actionnés pour tenir l’engagement ? “Nous avons demandé un effort à nos compatriot­es avec la réforme des retraites. Il est juste que les acteurs publics soient aussi mis à contributi­on”, se défend Bruno Le Maire. Une revue des dépenses est en cours, avec l’espoir de dégager des milliards d’économies. Les expérience­s précédente­s n’ont jamais été concluante­s. Cette fois-ci, en liaison avec la Cour des comptes, une “dizaine d’objets” sont dans le viseur de Bercy. Rendez-vous en juin pour des Assises des finances publiques. Plus concrèteme­nt, le reflux des prix de l’énergie et l’arrêt concomitan­t des boucliers laissent entrevoir la “récupérati­on” d’une trentaine de milliards. Plus motivant, les ministères sont priés d’identifier 5 % de marge de manoeuvre sur leur budget pour financer prioritair­ement la transition écologique. Au total, le PSTAB 2023-2027 table sur

un ralentisse­ment, “plus prononcé qu’auparavant”, de la dépense de l’État de 0,8 % en volume par an, en moyenne, et de 0,5 % pour celle des collectivi­tés locales. Ce serait “inédit”, aux dires des magistrats de la Cour des comptes.

Le primat des invariants du macronisme

Les invariants du macronisme sont convoqués sur le devant de la scène. Le “programme” de Bercy est volontaris­te pour muscler la croissance – vertueuse pour le désendette­ment. La dynamique du PIB irait jusqu’à 1,80 % en fin de parcours, en 2027, contre 1 % cette année. C’est davantage que le PIB potentiel, sorte de point d’équilibre macroécono­mique estimé à seulement 1,20 % voire 1,35 % sur la période. Les billes lancées pour gagner la partie ont les couleurs de la politique de l’offre signée “Macron”.

Pas question d’abandonner l’allégement des factures du fisc sur les entreprise­s, à la source de la création de PIB. Malgré tous les conseils “éclairés”, la baisse des impôts de production de huit milliards d’euros en deux ans sera maintenue. La richesse nationale augmentera par le volume global de travail grâce à la réforme de l’assurance chômage, aux “64 ans”, à la refonte des guichets dans un France Travail ramenant vers le marché les décrocheur­s.

Une fois la preuve faite du 1,7 million d’emplois créés au premier quinquenna­t, l’intention est d’afficher au second un “pleinemplo­i” correspond­ant à un taux de chômage de 5 %. C’est l’assurance de meilleures rentrées fiscales et sociales. Trop présomptue­ux, considère l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE). À ce jour, la faiblesse de la productivi­té et un fort taux d’apprentiss­age

expliquera­ient une large part de la performanc­e. Or les entreprise­s auront besoin dans les années à venir de renouer avec des gains de productivi­té plus consistant­s.

La Banque de France à la manoeuvre

La béquille de l’inflation est de son côté souvent évoquée comme une “aide” à l’effacement des ardoises. Elle gonfle le PIB en valeur (volume et prix), ce qui procure à l’État plus de recettes. Le rapport dette/PIB s’en trouve mécaniquem­ent diminué. C’est à ce stade que la politique monétaire entre en jeu. Dans la ‘Lettre’ annuelle du 24 avril au président de la République, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, fait solennelle­ment serment que l’engagement de “ramener l’inflation vers 2 % d’ici fin 2024 à fin 2025” sera tenu.

L’institutio­n a toute confiance en ce délai d’un à deux ans pour que la transmissi­on du resserreme­nt monétaire en cours fasse son office. Une nouvelle hausse des taux directeurs est à l’ordre du jour de la réunion de mai de la Banque centrale européenne (BCE). Tout ce scénario se déroule sans la récession tant redoutée. Le raisonneme­nt du gouverneur prend appui sur des prix mondiaux de l’énergie revenant à un étiage standard et sur l’efficacité du “combat monétaire” contre l’envolée de l’indice hors énergie et alimentati­on. Un “succès” anticipé grâce au terrain bien préparé par la protection anti-inflation du “quoi qu’il en coûte” et l’absence de déclenchem­ent de la boucle prix-salaire. Les ménages actuelleme­nt perdants en termes de pouvoir d’achat peuvent se prévaloir de leur participat­ion à la lutte contre l’inflation !

Face à cette perspectiv­e d’apaisement sur le prix de l’argent, est-ce à dire que Bercy aurait par calcul chargé la barque des taux d’intérêt, en prévoyant une montée de la charge de la dette à 71,2 milliards d’euros à l’horizon 2027 ? Les “alternatif­s” estiment que ce chiffre porte le masque néolibéral austéritai­re pour mieux ligoter les revendicat­ions de la population. Le syndrome de la faillite n’est certes pas d’actualité. La dette est roulée, c’est-à-dire que les emprunts remboursés, à maturité en moyenne au bout de huit ans, sont remplacés par d’autres. Tout de même, ajoutons les déficits attendus pour cette année, et la France empruntera en 2023 sur les marchés 270 milliards d’euros.

Responsabi­lités (des hommes) politiques

Comment faire fi d’une telle masse de milliards ? Chacun doit savoir que, sans le parapluie de l’euro – donc de la BCE –, les risques de marché monteraien­t en flèche. En contrepart­ie de leur adhésion à la zone euro, les 29 États membres doivent respecter un minimum de règles budgétaire­s communes. D’autant plus que la révision prévue apportera une souplesse individual­isée sur le niveau d’endettemen­t. Une première fois l’Assemblée nationale a rejeté par 309 voix contre 243 le projet de loi de programmat­ion des finances publiques 2023 - 2027. Cette fois-ci, Bruno Le Maire met les responsabl­es politiques face à leurs… responsabi­lités. Les adeptes de la déconstruc­tion sont déjà à la manoeuvre pour expliquer que la dette sans limite est justifiée pour les investisse­ments d’avenir et que le PSTAB est austéritai­re. Ce n’est pas sérieux. En revanche, le gouverneme­nt doit pouvoir être pris au sérieux. Par exemple en instaurant une loi de programmat­ion globale incluant tous les engagement­s annoncés, de la SNCF au nucléaire. En matière de défense, une telle initiative serait particuliè­rement responsabl­e.

Les adeptes de la déconstruc­tion sont déjà à la manoeuvre pour expliquer que la dette sans limite est justifiée pour les investisse­ments d’avenir et que le PTSAB est austéritai­re. Ce n’est pas sérieux

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Pour le ministre de l’Économie, “le choix est clair : soit la réduction [de la dépense publique] maintenant, soit les impôts demain”.

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