Le Nouvel Économiste

L’alimentati­on industriel­le américaine se joue de l’inflation

Les géants du secteur ont réussi à accroître leurs marges en augmentant leurs prix plus rapidement que leurs coûts

- THE ECONOMIST

Depuis des années, les nutritionn­istes conseillen­t aux Américains d’éviter les allées centrales des supermarch­és, et de remplir leurs chariots dans les rayons situés sur le pourtour. En effet, la viande fraîche, les produits laitiers, les fruits et légumes frais tapissent

Bien que l’inflation les incite à délaisser les produits de marque, les consommate­urs sont prêts à dépenser un peu plus pour une nourriture de meilleure qualité

souvent les murs des supermarch­és, tandis que la partie centrale est occupée par les boîtes de conserve et les aliments transformé­s, peu bénéfiques pour la santé, présentés sous cartons ou d’autres emballages. Certains acheteurs ont suivi ce conseil : ces derniers temps, les ventes de soupe en conserve ont plongé, alors que celles des potages au rayon frais ont augmenté. Mais aujourd’hui, les fabricants de produits emballés font un retour en force. Cela en dit long sur l’évolution du contexte économique comme sur les produits en rayon.

Des résultats records

Ce mois-ci, Conagra, qui possède plusieurs marques dans ce secteur, comme le pop-corn Orville Redenbache­r’s, les légumes surgelés Bird’s Eye et les préparatio­ns pour gâteaux Duncan Hines, a annoncé des résultats exceptionn­els pour son dernier trimestre. Ses ventes et ses marges ont augmenté par rapport à l’année précédente et, pour l’exercice qui s’achève en mai, l’entreprise s’attend à des bénéfices supérieurs à ses prévisions. Quelques semaines plus tôt, General Mills, qui vend des soupes en conserve, des légumes surgelés et des céréales pour le petit-déjeuner, a dévoilé des résultats trimestrie­ls tout aussi juteux. McCormick & Company, qui commercial­ise des épices et des sauces, et J.M. Smucker Company, plus connue pour ses confitures et son beurre de cacahuète, sont tout aussi performant­s.

De quoi allécher les investisse­urs : le cours de l’action de Conagra a augmenté de 8 % au cours des 12 derniers mois, contre une baisse de 7 % pour l’indice S&P 500 des grandes entreprise­s américaine­s. Celui de General Mills a grimpé de 23 %.

Pour les entreprise­s américaine­s spécialisé­es dans les produits alimentair­es emballés, la dernière décennie a vu s’enchaîner les périodes de famine et d’abondance. Les années de vaches maigres qui ont précédé la pandémie ont pris fin lorsque les restaurant­s ont fermé leurs portes en raison de la Covid-19, et que les gens se sont mis à faire des réserves. Grâce aux chèques du plan de relance du gouverneme­nt [chaque Américain a reçu en 2021 un chèque de 1 400 dollars, ndt], les consommate­urs ont eu les moyens d’acheter ce type de produits, et les entreprise­s de l’agroalimen­taire n’ont pas été harcelées par les groupes de la grande distributi­on pour qu’elles pratiquent des rabais. Puis, en 2022, les gens ont recommencé à manger au restaurant, ce qui a exercé une pression sur les volumes, alors même que le choc sur les prix des produits de base, provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, faisait grimper les coûts.

Adapter les produits aux goûts des consommate­urs

Comme le montrent les résultats des grandes entreprise­s de l’agroalimen­taire, le secteur est parvenu à surmonter ces dernières turbulence­s. D’une part, la pandémie a

sans doute modifié les habitudes des consommate­urs, et entraîné une hausse durable de la consommati­on de repas surgelés et emballés. Les Américains mangent encore plus à la maison qu’avant les premiers confinemen­ts liés au covid. Selon la société de conseil EY, près de trois consommate­urs sur quatre ne font pas de différence entre les légumes surgelés et les légumes frais, les considéran­t comme une seule et même catégorie.

Bien que l’inflation les incite à délaisser les produits de marque au profit des marques de distribute­ur, moins chères pour des produits tels que les cosmétique­s ou les articles ménagers, les consommate­urs sont toujours prêts à dépenser un peu plus pour une nourriture de meilleure qualité ; les jeunes âgés d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années, en particulie­r, semblent prêts à consacrer une part plus importante de leur budget à l’alimentati­on, et sont moins enclins à délaisser les produits de marque que leurs aînés. Les géants de l’agroalimen­taire disposent également d’une gamme très diversifié­e de produits et de marques, qu’ils adaptent en fonction de l’évolution des goûts des consommate­urs. Conagra a ainsi mis sur le marché (les lecteurs italiens sauteront ce paragraphe) des

“pizzas sans croûte” – de même que des boîtes de sauce, de fromage et de viande micro-ondables – pour séduire les consommate­urs en recherche de produits présentant un faible taux de glucides. Ses power bowls vegans semblent avoir été imaginés pour les adeptes du yoga et de l’avocat. Quant à General Mills, il ne présente pas ses boîtes de céréales comme un simple petit-déjeuner, mais plutôt comme un en-cas parfait après l’école, et une alternativ­e au dessert du soir. Et bien que ces entreprise­s soient parvenues à maintenir (voire à accroître) leurs marges, en augmentant leurs prix au même rythme (voire plus rapidement) que leurs coûts, elles aimeraient tirer davantage de profit d’une baisse des prix sur les produits de base, sans avoir à diminuer leurs prix de vente dans la même proportion.

La guerre des prix se profile

Cette conjonctur­e favorable peut-elle durer ? Le plus grand point d’interrogat­ion concerne les volumes de vente. Ils pourraient en effet diminuer du fait de cette augmentati­on des prix, et du ralentisse­ment économique annoncé, qui inciterait les consommate­urs à se serrer la ceinture. Si la croissance des salaires ralentit,

ou si le chômage augmente, il est probable qu’à un moment donné, les consommate­urs rognent jusqu’aux plus petits luxes qu’ils s’offrent encore. Si une entreprise de l’agroalimen­taire décide de réduire ses prix pour augmenter ses volumes aux dépens de ses concurrent­s, une guerre des prix à l’ancienne risque d’éclater. Mais pour l’instant, les producteur­s de denrées alimentair­es continuent à récolter en paix des dividendes.

Si une entreprise de l’agroalimen­taire décide de réduire ses prix pour augmenter ses volumes aux dépens de ses concurrent­s, une guerre des prix à l’ancienne risque d’éclater.

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se sont mis à faire des réserves.
Les années de vaches maigres qui ont précédé la pandémie ont pris fin lorsque les restaurant­s ont fermé leurs portes en raison de la Covid-19, et que les gens se sont mis à faire des réserves.

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