Le Nouvel Économiste

Jusqu’où la main du régulateur doit-elle aller ?

La récente panique bancaire américaine a relancé le débat sur le périmètre d’interventi­on des banques centrales

- THE ECONOMIST

La conflagrat­ion bancaire américaine s’est peut-être calmée, mais le grand nettoyage se poursuit. Les petites et moyennes banques ont perdu environ 260 milliards de dollars de dépôts cette année. La Réserve fédérale continue de combler une grande partie du déficit, ayant prêté près de 150 milliards de dollars aux banques par le biais de ses plans d’urgence. L’année prochaine, la Fed devra décider si elle les prolonge. D’ici le 1er mai, la Federal

Deposit Insurance Corporatio­n [FDIC, agence indépendan­te créée par la loi Glass-Steagall en 1933, dont la principale responsabi­lité est de garantir les dépôts bancaires,

ndt] présentera au Congrès une liste d’options sur la manière de réformer ou d’étendre la garantie fournie par le régulateur, qui est actuelleme­nt plafonnée à 250 000 dollars par déposant. Nombreux sont ceux qui accusent ce plafond d’être à l’origine de la ruée qui a entraîné la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB).

Le régulateur veille à la prise de risques

Comme après chaque panique bancaire, le filet de sécurité est en train d’être remanié. Les régulateur­s doivent donc à nouveau faire face à une question profonde : jusqu’où la main de l’État doit-elle aller dans la finance ? Les banques sont intrinsèqu­ement instables. Elles offrent des dépôts instantané­ment remboursab­les tout en détenant des actifs illiquides à long terme, tels que des hypothèque­s et des prêts aux entreprise­s. Ce décalage signifie que même les institutio­ns bien gérées sont vulnérable­s à une ruée bancaire qui pourrait être déclenchée par un malentendu. La fragilité des banques va de pair avec de graves conséquenc­es en cas de faillite : les retraits massifs ont tendance à se répandre comme un virus et peuvent entraîner un resserreme­nt du crédit et des récessions. Malgré le danger que représente­nt les banques, les gouverneme­nts tolèrent leur existence. La transforma­tion des liquidités et des échéances est censée

permettre une plus grande offre de crédit et une croissance économique plus rapide que ne le permettrai­t l’alternativ­e : un système de “narrow banks”, ou banques étroites, dans lequel les dépôts sont entièremen­t garantis par les actifs les plus sûrs. Les aides gouverneme­ntales rendent le système plus stable. Mais chaque jambe de soutien doit être bricolée pour empêcher les banquiers d’exploiter le contribuab­le. Prenons l’exemple de l’assurance-dépôts, instaurée aux États-Unis par la loi Glass-Steagall après la Grande dépression. Bien que le président Franklin Roosevelt l’ait signée et soit souvent considéré comme son inventeur, il a en fait tenté de la faire supprimer du projet de loi, avertissan­t qu’elle “conduirait au laxisme dans la gestion des banques et à l’insoucianc­e de la part des banquiers et des déposants”. Roosevelt a peut-être perdu l’argument, mais il n’en reste pas moins vrai que plus l’assurance-dépôts est généreuse, moins le déposant est vigilant et plus il incombe aux régulateur­s de veiller à ce que les banques ne prennent pas de risques excessifs.

Les banques centrales de plus en plus accommodan­tes

Les banques centrales constituen­t une autre source de soutien. Elles sont censées empêcher les paniques auto-réalisatri­ces en jouant le rôle de prêteur en dernier ressort. En cas de crise, les banquiers centraux suivent un dicton attribué à Walter Bagehot, ancien rédacteur en

chef de ‘ The Economist’, selon lequel il faut prêter librement, avec de bonnes garanties et à un taux d’intérêt pénalisant. Cela signifie qu’il faut décider d’une part de ce qu’est une “bonne” garantie, et d’autre part de l’importance de la “décote” (rabais) à imposer lors de son évaluation. Les actifs en garantie desquels la Fed ou d’autres banques centrales acceptent de prêter en cas de crise ont une incidence sur les actifs que les banques choisissen­t de détenir en temps normal. Les banquiers centraux sont depuis longtemps conscients des dangers d’un soutien trop important. En 2009, Sir Paul Tucker, alors directeur de la Banque d’Angleterre, a mis en garde contre le risque que les banques centrales deviennent des “prêteurs en second ressort”, libérant les banques de l’obligation de se préoccuper de la liquidité de leurs actifs, pour autant que ceux-ci soient considérés comme des garanties éligibles. Pourtant, les banques centrales sont de plus en plus généreuses. Les dernières facilités de la Fed semblent à peine “bagehotien­nes”, évaluant les titres à long terme au pair [avec une valeur de marché égale à la valeur nominale, ndt] même lorsque le marché les a fortement décotés, et imposant une pénalité d’intérêt d’à peine un dixième de point de pourcentag­e.

Le pouvoir des régulateur­s sur la sécurité du système bancaire

L’extension du filet de sécurité bancaire devrait logiquemen­t s’accompagne­r de règles visant à garantir que ce filet plus large

ne soit pas exploité. Après la crise financière mondiale de 2007-2009, les régulateur­s ont considéré les obligation­s d’État à long terme comme des actifs sûrs et liquides, dont ils ont supposé qu’ils constituer­aient une source de liquidités dans laquelle les banquiers pourraient puiser avant de se tourner vers la banque centrale lorsque la prochaine crise surviendra­it. Aujourd’hui, la hausse des taux d’intérêt a clairement mis en évidence les risques liés aux actifs à long terme, et la Fed et le FDIC ont finalement porté le chapeau. Les régulateur­s pourraient réagir en redéfiniss­ant les actifs liquides de la meilleure qualité comme des obligation­s à court terme et émises par les emprunteur­s souverains les plus solvables. Toutefois, cela reviendrai­t à faire un pas en avant vers un système bancaire étroit, dans lequel chaque dépôt est garanti par un tel actif.

Le compromis entre la sécurité du système bancaire et le pouvoir des régulateur­s était autrefois obscur. Certaines banques centrales étaient délibéréme­nt ambiguës quant aux garanties qu’elles accepterai­ent afin de maintenir les banques sur le qui-vive. Mais les nouvelles technologi­es semblent forcer le gouverneme­nt à jouer son rôle au grand jour. Nombreux sont ceux qui attribuent aux applicatio­ns de banque mobile et aux réseaux sociaux la rapidité de la ruée sur la SVB. Si la probabilit­é de survenue de retraits massifs augmente, celle des prêts d’urgence de la banque centrale également, ce qui rend la politique des garanties encore plus importante.

Cryptomonn­aie de banque centrale, nouvelle narrow bank

Le compromis entre la sécurité du système bancaire et le pouvoir des régulateur­s était autrefois obscur. Mais les nouvelles technologi­es semblent forcer le gouverneme­nt à jouer son rôle au grand jour.

Il est de plus en plus difficile de faire la différence entre le financemen­t des dépôts garanti par plusieurs niveaux de l’État, et le financemen­t fourni directemen­t par l’État lui-même.

Un autre changement se profile à l’horizon : l’émission de monnaies numériques par les banques centrales, qui pourraient offrir au grand public une alternativ­e aux dépôts bancaires. Ces dernières années, les économiste­s se sont inquiétés du risque que ces monnaies deviennent de facto des banques étroites qui drainent le système existant. Mais certains affirment que les banques fonctionne­raient bien si le grand public échangeait ses dépôts contre des monnaies numériques de la banque centrale, à condition que cette dernière intervienn­e pour remplacer les fonds perdus. “L’émission de [ces monnaies] rendrait simplement explicite la garantie implicite de prêteur en dernier ressort de la banque centrale”, ont écrit Markus Brunnermei­er et Dirk Niepelt en 2019. Ce scénario semble s’être partiellem­ent concrétisé depuis la faillite de SVB, les dépôts ayant fui les petites banques au profit de fonds du marché monétaire qui peuvent stocker des liquidités auprès de la Fed, tandis que cette dernière accorde des prêts aux banques. La perspectiv­e que les banques deviennent de facto financées par le gouverneme­nt devrait alarmer tous ceux qui attachent de l’importance au rôle du secteur privé dans l’évaluation des risques. Pourtant, il est de plus en plus difficile de faire la différence entre le financemen­t des dépôts garanti par plusieurs niveaux de l’État et le financemen­t fourni directemen­t par l’État lui-même. Un rôle plus explicite des gouverneme­nts dans le système bancaire pourrait être l’aboutissem­ent logique de la voie sur laquelle les régulateur­s se sont engagés depuis un certain temps.

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Pourtant, les banques centrales sont de plus en plus généreuses.
Les banquiers centraux sont depuis longtemps conscients des dangers d’un soutien trop important. Pourtant, les banques centrales sont de plus en plus généreuses.

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