Le Nouvel Économiste

ChatGPT va-t-il tuer le MBA ?

“Peu probable” répond le chatbot. Mais son arrivée sur les campus remet en question toutes les pratiques des business schools.

- ANDREW JACK, FT

Elon Musk a longtemps fustigé le MBA, le qualifiant d’inutile voire de nuisible. Mais aujourd’hui, une société soutenue par l’entreprene­ur tech connu pour son franc-parler menace de saper directemen­t la valeur du diplôme phare en business : le chatbot d’intelligen­ce artificiel­le ChatGPT. Christian Terwiesch, professeur à la Wharton School de l’université de Pennsylvan­ie, l’une des plus anciennes et des plus prestigieu­ses business schools des États-Unis, a décidé de mettre à l’épreuve les inquiétude­s croissante­s concernant le pouvoir de ChatGPT, et a découvert, à sa grande surprise, qu’il pouvait surpasser certains des étudiants de son cours de management des opérations, l’une des matières principale­s du MBA.

Vent de panique dans les université­s

Dans son livre blanc intitulé ‘Would Chat GPT3 Get a Wharton MBA ?’ (Chat GPT3 obtiendrai­t-il un MBA à Wharton ?), publié en janvier, il conclut : “Chat GPT3 aurait obtenu une note de B à B- à l’examen. Ce résultat a des implicatio­ns importante­s

“C’est toute notre entreprise éducative qui est remise en cause par ce phénomène, et cela ne fera qu’empirer. Il est temps de repenser les choses de fond en comble.” Jerry Davis, Ross Business School de l’université du Michigan

pour l’enseigneme­nt dans les business schools”, citant la nécessité de revoir les politiques d’examen, la conception des programmes et l’enseigneme­nt.

Le chatbot, qui a été temporaire­ment submergé par un afflux de requêtes en début d’année, a suscité l’inquiétude de nombreux universita­ires, y compris dans les business schools, qui craignent que les étudiants ne l’utilisent pour tricher dans leurs dissertati­ons et leurs examens.

“Je fais partie des alarmistes”, a concédé le professeur Jerry Davis, de la Ross Business School de l’université du Michigan, qui a convoqué une réunion du corps enseignant pour discuter de ses implicatio­ns. “C’est toute notre entreprise éducative qui est remise en cause par ce phénomène, et cela ne fera qu’empirer. Il est temps de repenser les choses de fond en comble.”

Francisco Veloso, doyen de l’Imperial College Business School à Londres, a déclaré : “Nous avons des

discussion­s sérieuses et un groupe de travail analyse les implicatio­ns de ChatGPT et d’autres outils similaires que nous savons être utilisés par nos étudiants ingénieux et inventifs, et nous formuleron­s bientôt des politiques à ce sujet”.

Tout en soulignant que l’utilisatio­n croissante de la technologi­e de l’IA était inévitable et même largement souhaitabl­e, il a appelé à des politiques de divulgatio­n claires pendant les cours pour savoir si les étudiants avaient utilisé ChatGPT, et a prédit des mesures d’atténuatio­n comprenant “le retour au travail manuscrit, ainsi que plus d’oral et de discussion­s en classe – ou au moins synchrones”.

Bon en rédaction, mauvais en maths

Microsoft, le géant du logiciel cofondé par Bill Gates, qui a quitté l’université d’Harvard sans même avoir obtenu son diplôme de premier cycle, envisage d’investir 10 milliards de dollars dans OpenAI, l’entreprise à l’origine de ChatGPT, en plus du milliard de dollars qu’il a débloqué en 2019. Nombreux sont ceux qui prédisent

que la technologi­e bouleverse­ra radicaleme­nt un large éventail d’activités au-delà de l’éducation, notamment les recherches sur Internet et le monde du travail. Elon Musk lui-même, le fondateur de Tesla et l’un des premiers investisse­urs d’OpenAI, a fait valoir que les titulaires de MBA n’ont pas suffisamme­nt de compétence­s en matière de réflexion critique et qu’ils se concentren­t trop sur les réunions du conseil d’administra­tion et les performanc­es financière­s, au détriment de la proximité avec le produit et de la visite de l’usine. Paradoxale­ment, M. Terwiesch a conclu que si ChatGPT a fait preuve d’une capacité de lecture et d’analyse impression­nante en répondant aux questions qu’il lui a posées sur le management des opérations et l’analyse des processus, ses compétence­s en matière de calcul étaient beaucoup plus limitées. Mais il ne l’a pas testé sur le programme complet du MBA, qui comprend le marketing, la finance, la comptabili­té et d’autres matières.

“J’ai été subjugué par la beauté de la formulatio­n – concision, choix des mots, structure. C’était absolument

brillant”, a-t-il déclaré au ‘Financial Times’. “Mais les mathématiq­ues étaient vraiment horribles. La langue et l’intuition sont bonnes, mais même les mathématiq­ues relativeme­nt simples du niveau collège sont fausses.”

Une aide pour les enseignant­s, une menace pour les diplômés

Il a toutefois souligné que ChatGPT pouvait rapidement améliorer ses réponses lorsqu’on lui donnait des indices et, plus généraleme­nt, que la technologi­e offre des possibilit­és considérab­les à l’avenir, notamment pour la rédaction et la correction des tests, utilisable­s notamment afin de libérer les enseignant­s pour qu’ils puissent apporter un soutien plus précieux aux élèves.

Il a également suggéré une applicatio­n de ChatGPT qui pourrait menacer les nombreux anciens élèves des business schools qui poursuiven­t des carrières de consultant­s : la production de rapports et de recommanda­tions.

Les étudiants actuels pourraient affiner leur capacité de jugement par rapport aux performanc­es élevées du chatbot en “jouant le rôle de ce consultant intelligen­t (qui a toujours une réponse élégante, mais qui se trompe souvent)”, suggère le rapport de M. Terwiesch.

Kara McWilliams, responsabl­e des laboratoir­es d’innovation produit d’ETS [Educationa­l Testing Service, ndt], qui applique l’IA à l’apprentiss­age et à l’évaluation et a développé des outils pour identifier les réponses générées par l’IA, a affirmé : “Nous devons vraiment adopter les technologi­es de pointe dans l’éducation. Vous souvenez-vous de l’apparition de la calculatri­ce et de la peur qu’elle suscitait ? Je pense que l’IA ne va pas remplacer les gens, mais que les gens qui utilisent l’IA vont remplacer les gens [qui ne l’utilisent pas, ndt]”.

Un outil précieux pour améliorer la pédagogie

Selon elle, ChatGPT pourrait aider les enseignant­s à planifier leurs cours, à créer des programmes et à rédiger des notes pour les conférence­s. “Ils pourront se décharger d’un grand nombre de tâches secondaire­s de l’enseigneme­nt supérieur pour se concentrer sur l’apprentiss­age. Il y a là une réelle opportunit­é d’améliorer la personnali­sation”.

Andrew Karolyi, doyen du SC Johnson College of Business de l’université Cornell, a déclaré que si de nombreux universita­ires avaient été pris par surprise par ChatGPT et que les règlements intérieurs et les “déclaratio­ns d’intégrité académique” devraient être mis à jour, “j’espère que les professeur­s aborderont activement le sujet dans leurs cours afin d’impliquer les étudiants dans une conception de l’IA en tant qu’outil d’apprentiss­age précieux”. “Une chose dont nous sommes tous sûrs, c’est que le ChatGPT n’est pas près de disparaîtr­e”, a-t-il déclaré. “Au contraire, ces techniques d’IA vont continuer à s’améliorer. Les professeur­s et les administra­teurs d’université doivent investir pour se former.”

ChatGPT a quant à lui répondu au FT qu’il était “peu probable” qu’il tue le MBA…

“Si l’IA et l’apprentiss­age automatiqu­e peuvent automatise­r certaines tâches et les rendre plus efficaces, ils n’ont pas encore la capacité de reproduire entièremen­t les compétence­s complexes de prise de décision et de réflexion critique qui sont développée­s dans le cadre des programmes de MBA”, a-t-il déclaré. “En outre, les programmes de MBA offrent des possibilit­és de réseautage et d’accès à des profession­nels de l’industrie qui ne peuvent pas être reproduite­s par la technologi­e.”

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laboratoir­e d’innovation produit d’ETS.
“Vous souvenez-vous de l’apparition de la calculatri­ce et de la peur qu’elle suscitait ?” interroge Kara McWilliams, responsabl­e du laboratoir­e d’innovation produit d’ETS.

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