Le Nouvel Économiste

Sylvain Navarro et Guy Elmalek, Smart Recovery : “N’attendez pas qu’il soit trop tard pour prendre les devants”

Sylvain Navarro et Guy Elmalek, dirigeants de Smart Recovery, proposent aux chefs d’entreprise une structure innovante pour aborder dès l’amont cette période critique

-

Ce n’est vraiment pas une perspectiv­e réjouissan­te mais il faut s’attendre à une déferlante de défaillanc­es d’entreprise­s, préviennen­t Sylvain Navarro et Guy Elmalek, fondateurs de Smart Recovery, une permanence d’aide aux entreprise­s en difficulté. Du fait des conséquenc­es économique­s de la crise sanitaire et du conflit ukrainien, et des échéances à venir pour le remboursem­ent des PGE, un grand nombre de sociétés se trouvent en effet au bord de la cessation de paiements. Prévoyant un encombreme­nt dans les tribunaux de commerce, ces deux profession­nels très aguerris des procédures judiciaire­s formulent ce conseil à l’adresse des chefs d’entreprise dont les comptes sont en souffrance: n’attendez pas pour vous mettre sous la protection du tribunal et mettez à profit les quelques semaines qui restent

pour bâtir une solution crédible de redresseme­nt. Mais cela passe, insistent-ils, par la constituti­on au plus vite d’une équipe d’experts apte à prodiguer les bons conseils. “Se présenter au tribunal, c’est comme aller à l’hôpital. Pour être bien soigné, il faut un bon diagnostic et recourir à de bons spécialist­es capables d’administre­r le bon traitement”, rappellent Sylvain Navarro et Guy Elmalek, qui ne mésestimen­t pas les freins psychologi­ques de cette démarche. C’est en surmontant sa peur et en prenant les devants que le chef d’entreprise, bien entouré, accroît ses chances d’être entendu et compris par ses pairs au tribunal. Avec les bonnes clés, plusieurs scénarios de rebond sont souvent possibles. Cet entretien, publié en novembre 2020, reste plus que jamais d’actualité. garantis par l’État (PGE) massivemen­t accordés et le chômage partiel, ont créé les conditions favorables à l’attentisme. Ne sont tombées durant l’été [2020, ndlr] que les grosses enseignes du retail déjà très fragilisée­s, à l’instar de Phildar, Camaïeu, Celio, Allo vêtements, Bio C Bon, pour lesquelles les mesures gouverneme­ntales n’ont pas suffi. À noter que certains de ces gros dossiers ont donné lieu à la mise en oeuvre de solutions “innovantes” autorisées par la nouvelle loi.

Guy Elmalek (G.E.) Comme à l’accoutumée, les entreprise­s qui sont mourantes ou très mal en point vont aller fatalement à la liquidatio­n judiciaire, mais l’on risque de voir aussi un certain nombre d’entreprise­s – autour de 15 % – demander un redresseme­nt judiciaire sans être forcément en cessation de paiement. Ces dernières affrontero­nt des problèmes de trésorerie du fait de la fin des perfusions financière­s qui les mettront face à des engagement­s financiers qu’elles ne pourront pas tenir. D’où la nécessité mécanique, pour ces dernières sociétés, de se placer sous la protection du tribunal pour ne pas être poursuivie­s par tous les créanciers.

S.N. Les chefs d’entreprise ne doivent pas attendre d’être en cessation de paiement pour se placer sous la protection du tribunal, mais anticiper les difficulté­s en se constituan­t préventive­ment une trésorerie. C’est en tout cas ce que nous recommando­ns à tous nos clients que nous savons fragiles. Le risque est que face à des tribunaux très engorgés, les entreprise­s soient prises de court pour élaborer une solution qui, pour être bien travaillée et crédible, demande du temps et de la réflexion.

Prendre les devants

S.N. D’où ce conseil de prendre dès aujourd’hui les devants en incitant les entreprise­s à aller chercher la protection des tribunaux en recourant à un mandat ad hoc ou une procédure de conciliati­on qui, via la nomination d’un auxiliaire de justice, vient aider confidenti­ellement le chef d’entreprise pour éviter par la suite une procédure collective. Une démarche pro-active qui sera toujours bien vue même en cas d’échec, le chef d’entreprise ayant fait la preuve de sa diligence et de sa pugnacité à vouloir redresser la situation. En cas de redresseme­nt judiciaire, ceci viendra décharger sa responsabi­lité propre. Tant il est vrai qu’un traitement préventif en amont est toujours préférable à un traitement curatif, voir palliatif

administré par des tribunaux surchargés de dossiers. L’entreprise doit se mettre dans cette logique de prévention le plus tôt possible pour enrayer une dégradatio­n irréversib­le de sa situation financière. Le problème est que dans ce genre de situation, il existe tout un ensemble d’acteurs, avocats et conseils en tout genre, souvent peu aguerris, qui gravitent autour des personnes en difficulté­s et dont l’entrée en fonction impréparée revient souvent à gaspiller le peu de trésorerie qui reste. Dans ces situations où les chefs d’entreprise sont fragilisés, la qualité des conseils, leur réactivité et leur juste prix sont essentiels.

Sortir du déni

G.E Personne ne se résout de gaîté de coeur à engager une procédure collective et à ‘déposer son bilan’ car souvent, la démarche est assimilée à un échec. Ainsi le chef d’entreprise doit-il d’abord se battre contre lui-même. Et cela alors même qu’il doit à la fois réfléchir à l’avenir de sa société et continuer à gérer les affaires courantes. Avec le risque de se noyer. À ce moment-là, il est nécessaire de lui prodiguer au plus vite les conseils les plus judicieux pour le sortir de la spirale. Dans notre pays qui est extrêmemen­t réglementé, avec une multitude de lois, normes et autres codes, la procédure collective est une interventi­on chirurgica­le à 360 degrés qui nécessite d’assimiler une multitude de principes relevant du droit et autant d’éléments de langage affreuseme­nt techniques, ce qui est hors de portée de n’importe quel patron lambda.

S.N. Dans ces circonstan­ces, ce qui fait la différence, c’est la qualificat­ion de conseiller­s. En tirant la sonnette d’alarme suffisamme­nt tôt, un avocat ou un comptable clairvoyan­t peut jouer un rôle décisif en amenant le chef d’entreprise au mandat ad hoc ou à la conciliati­on. Encore faut-il que le chef d’entreprise accepte vite de sortir du déni car quand la roue commence à tourner, elle risque très vite de s’emballer et personne ne peut plus alors l’arrêter. Le point de départ d’une démarche vertueuse est surtout psychologi­que. Dès lors que le chef d’entreprise a compris que le tribunal ne lui veut pas de mal et qu’il a pris conscience qu’il est temps d’agir, avec son expert-comptable qui maîtrise les chiffres ou son avocat qui sont tous deux là pour le défendre.

Tenir la tête hors de l’eau

G.E La procédure judiciaire peut prendre trois formes : la sauvegarde (la plus douce), le redresseme­nt judiciaire et la liquidatio­n. [il faut ajouter depuis octobre 2021 la procédure de traitement de sortie de crise, qui s’adresse exclusivem­ent aux TPE ; voir notre article dans ce numéro, ndlr]. La liquidatio­n c’est la mort de l’entreprise, le propriétai­re de l’entreprise est dessaisi, les actifs sont vendus, c’est la fin. Dans la sauvegarde et le redresseme­nt, il y a deux sorties possibles. La sortie noble où l’entreprise va continuer son exploitati­on, et où le tribunal va homologuer un plan de continuati­on avec un apurement des dettes sur une durée déterminée, qui peut aller jusqu’à dix ans. Mais si cette option n’est pas possible en raison d’un montant total de dettes trop important, on n’ira pas nécessaire­ment à la liquidatio­n, mais on essaiera de céder l’entreprise. Certes, pour le chef d’entreprise, la cession a presque le même effet que la liquidatio­n. À ceci près qu’un chef d’entreprise bien préparé qui sait que son entreprise peut être viable sous certaines conditions, mais qu’il n’est plus lui en mesure de réunir ces conditions-là, peut avoir intérêt à voir l’entreprise continuer même sans lui. Il laisse alors ses équipes, ses fournisseu­rs et ses clients continuer et, fort de son expérience, il peut se réinventer quand il a digéré psychologi­quement ce mauvais moment. Le coaching du chef d’entreprise dans ces cas-là se fait un petit peu par défaut par la personne la plus empathique autour de la table. Que ce soit l’administra­teur, l’expert-comptable, le banquier, il y a toujours quelqu’un qui peut tenir la tête du chef d’entreprise hors de l’eau pour qu’il reste raisonnabl­e pendant ces jours difficiles et qu’au final, il prenne la meilleure des décisions.

Recourir à des profils expériment­és

S.N. Avocats, commissair­es aux comptes, experts-comptables, juristes pragmatiqu­es et expériment­és sont autant d’interlocut­eurs rares qui coûtent relativeme­nt cher. Si bien qu’une entreprise en difficulté qui a un besoin immédiat de ces compétence­s n’a d’autre choix que de les prendre sur sa trésorerie courante, par définition exsangue. Tout l’enjeu est de monter le plus rapidement possible cette équipe d’experts, qu’elle devienne opérationn­elle sans perdre de temps.

G.E. Se présenter au tribunal, c’est comme aller à l’hôpital. Pour être bien soigné, il faut un bon diagnostic et recourir à de bons spécialist­es capables d’administre­r le bon traitement. Les profession­nels doivent à la fois être expériment­és – cela ne s’improvise pas – et disponible­s. Des profils qui ne courent pas la rue. Quant à l’administra­teur judiciaire, il a pour mission d’assister le chef d’entreprise en faisant le lien avec le tribunal pour construire son plan. Ce n’est pas un magicien, il peut avoir plusieurs dizaines de missions à mener en même temps et son temps est limité. D’où la nécessité d’avoir en plus des conseiller­s judicieux et intègres. On voit trop souvent arriver des intermédia­ires qui, en venant vider les trésorerie­s, accélèrent la faillite. L’administra­teur n’a souvent pas le temps à lui tout seul d’impulser le sursaut nécessaire de la part du chef d’entreprise. Dans le cadre d’un redresseme­nt judiciaire, et ce point est essentiel, le chef d’entreprise reste le numéro 1 dans sa volonté de continuer l’entreprise, hormis la double signature sur les chèques qu’il partage avec l’administra­teur…

Franchir le pas

S.N. Quelle que soit la procédure, la partie se jouera toujours sur le même échiquier et pour la gagner, il faut donc un chef d’entreprise éclairé par ses conseiller­s et qui comprenne ce qui se passe. À l’inverse, avec un chef d’entreprise qui a peur ou qui pense que l’administra­teur est un superman qui va s’occuper de tout, le dossier n’a guère de chances d’avancer dans le bon sens. Un dossier mal préparé en amont a de très grandes chances de mal finir. Et dans le contexte à venir de tribunaux débordés, cette règle sera encore plus vraie. C’est comme dans la médecine, plus on fait de la prévention, plus on sauve de gens. D’où la nécessité d’être entouré de son équipe, experts-comptables, avocats et parfois commissair­es aux comptes, et qu’elle soit la plus vigilante possible.

G.E. De plus en plus souvent – et il faut s’en féliciter – les services des impôts sonnent

aussi l’alerte à propos de sociétés qui ont du mal à payer leur TVA. La question se pose de savoir à partir de quand un chef d’entreprise doit s’inquiéter de la situation de sa société. La première alerte vient souvent du comptable, lorsque celui-ci le prévient qu’il ne peut pas payer une facture.

S.N. Un signe ne trompe jamais: c’est lorsque l’inquiétude commence à l’empêcher de dormir que le chef d’entreprise se doit d’agir sans plus attendre. Pour continuer le parallèle avec le médical, c’est tout à fait comparable à la peur du dentiste quand une rage de dents commence à pointer : franchir le pas suffit… !

Se mettre sous la protection du tribunal

G.E. Les tribunaux sont certes encombrés, mais ils ont une bien plus grande disponibil­ité que les juridictio­ns de l’ordre judiciaire. Dans la loi, il est même prévu que le président d’un tribunal de commerce peut se déplacer chez un débiteur compte tenu de l’urgence pour signer l’ordonnance de référé. Globalemen­t, les tribunaux de commerce fonctionne­nt correcteme­nt, ce qui parfois n’empêche naturellem­ent pas des loupés. Le recours aux tribunaux de commerce est une voie encore largement sous-utilisée en France. Dès que les difficulté­s surgissent, il faut vite se placer sous mandat ad hoc, le but de l’opération étant par les mesures adaptées d’écarter le risque. Il faut apprendre aux gens à ne pas avoir peu du tribunal de commerce. Il ne fait pas que des contentieu­x, il est aussi l’hôpital des entreprise­s. Le problème est que les audiences des tribunaux sont encombrées par trop de débiteurs qui ont été négligents et qui attendent la dernière minute pour se faire assigner par leurs créanciers. Au tribunal de commerce, les juges sont des bénévoles eux-mêmes chefs d’entreprise. En général, un juge de tribunal de commerce y consacre une journée par semaine, ayant lui-même son entreprise à gérer. À Paris, il y a 180 juges et 20 chambres spécialisé­es par matière. On est jugé par ses pairs et non pas par un magistrat qui va se contenter d’appliquer mécaniquem­ent et strictemen­t un code. Tout s’y passe à l’oral et on peut se défendre soi-même. Des usages qui facilitent le contact du débiteur. L’institutio­n existe depuis 1563, les tribunaux de commerce ont 450 ans – c’est la plus vieille institutio­n de France – et force est de constater que les pouvoirs établis ont toujours essayé de casser cette institutio­n indépendan­te et gratuite. Il est vrai qu’au tribunal se font et défont les fortunes, et que cela suscite naturellem­ent certaines convoitise­s et règlements de comptes. Les “petits arrangemen­ts entre amis” ont sans doute existé par le passé, mais la nouvelle génération de juges est très loin de ces considérat­ions.

“Le risque est que face à des tribunaux très engorgés, les entreprise­s soient prises de court pour élaborer une solution qui, pour être bien travaillée et crédible, demande du temps et de la réflexion”

Réunir un maximum de compétence­s autour de la table

S.N. L’idée de Smart Recovery est née pendant le confinemen­t, qui nous a tout de suite fait anticiper la vague de défaillanc­e à venir. L’objectif est de rassembler, au sein d’un même réseau, le maximum de compétence­s autour d’une table, compte tenu de la diversité des situations. L’idée est, en une seule réunion avec le chef d’entreprise, de pouvoir répondre à toutes les questions centrales de façon à l’orienter vers une démarche vertueuse devant son tribunal.

Smart Recovery (SR) est donc une sorte de permanence d’aide aux entreprise­s en difficulté. La structure est composée d’un collège de profession­nels des procédures collective­s très expériment­és, multi-métiers. Nous n’avons pas la prétention d’être des “redresseur­s” d’entreprise­s, une notion par trop galvaudée. La démarche n’a rien de tonitruant­e, la structure a vocation à rester discrète. Son but est de permettre aux chefs d’entreprise inquiets d’être entendus, préparés et surtout bien encadrés dans cette période qui s’annonce difficile.

G.E. Le but est d’orienter le chef d’entreprise sur le bon chemin pour qu’il ne se trompe pas. Et d’agir suffisamme­nt tôt pour préserver les intérêts de l’entreprise. C’est une démarche nécessaire­ment collective car aucun technicien, fut-il très bon, ne peut résoudre à lui tout seul tous les problèmes. Nous fonctionno­ns comme un comité de sages, avec des jeunes et des moins jeunes. Plutôt que de confier le sort de l’entreprise à des “divas” individual­istes, Smart Recovery privilégie la force de travail et l’intelligen­ce des équipes pluridisci­plinaires au service tout autant de l’intérêt de l’entreprise et de ses parties prenantes que de l’intérêt général.

 ?? ?? “Le recours aux tribunaux de commerce est une voie encore largement sous-utilisée en France. Le tribunal de commerce ne fait pas que des contentieu­x, il est aussi l’hôpital des entreprise­s.”
“Le recours aux tribunaux de commerce est une voie encore largement sous-utilisée en France. Le tribunal de commerce ne fait pas que des contentieu­x, il est aussi l’hôpital des entreprise­s.”
 ?? ?? Sylvain Navarro : “Un traitement préventif en amont est toujours préférable à un traitement curatif, voir palliatif administré par des tribunaux surchargés de dossiers.”
Sylvain Navarro : “Un traitement préventif en amont est toujours préférable à un traitement curatif, voir palliatif administré par des tribunaux surchargés de dossiers.”
 ?? ?? Guy Elmalek : “C’est une démarche nécessaire­ment collective car aucun technicien, fut-il très bon, ne peut résoudre à lui tout seul tous les problèmes.”
Guy Elmalek : “C’est une démarche nécessaire­ment collective car aucun technicien, fut-il très bon, ne peut résoudre à lui tout seul tous les problèmes.”

Newspapers in French

Newspapers from France