Elle accuse l’Etat d’avoir ruiné sa vie
Karine Jambu a attaqué les autorités judiciaires et sociales, leur reprochant de ne pas l’avoir protégée de sa famille défaillante qui l’a laissée aux mains d’un pédophile. Décision attendue aujourd’hui.
L’HISTOIRE de Karine Jambu est celle d’une fillette dont l’enfance a été massacrée, élevée dans une famille où elle a été délaissée, humiliée, maltraitée… avant d’être livrée par ses parents à un pédophile, un « ami » qui vivait sous leur toit et a abusé d’elle quand elle avait entre 5 et 8 ans.
En juillet dernier à Rennes, en Ille-et-Vilaine, son agresseur, Roland Blaudy, 65 ans, a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour viols. Ses parents, poursuivis pour l’avoir menacée et empêchée de parler, à deux ans de prison avec sursis pour Anne-Marie Jambu, et trois ans, dont six mois ferme, pour son époux, René.
Qu’attendez-vous de cette procédure contre l’Etat ?
KARINE JAMBU. Je voudrais simplement que la justice reconnaisse ses erreurs, pour que le système change. S’il avait fonctionné normalement, je n’aurais jamais subi tout ça… Comment se fait-il qu’on m’ait laissée dans cette famille, alors qu’Anne-Marie (NDLR : sa mère) avait déjà été condamnée pour un infanticide ? Et puis, il y a eu tous ces signalements… La justice aurait dû me protéger, elle ne l’a pas fait.
Mais Karine, aujourd’hui âgée de 21 ans, et sa tante Laurence Brunet, qui l’a adoptée, ont encore soif de justice. Elles ont attaqué l’Etat pour faute lourde, estimant qu’elle n’aurait jamais dû être maintenue au domicile de ses parents. La décision est attendue aujourd’hui.
UN PREMIER SIGNALEMENT LE JOUR DE SA NAISSANCE
Le procès aux assises, éprouvant, avait mis en lumière les cruels manquements dans le suivi de Karine, dont ni les services sociaux ni les gendarmes ni la justice n’ont su voir qu’elle était en danger, en dépit d’une multitude d’alertes et de deux enquêtes judiciaires, vite refermées.
Le jour même de sa naissance, en juillet 1997, la situation de Karine fait déjà l’objet d’un
Par deux fois, des enquêtes ont pourtant été ouvertes...
Quand on m’a interrogée, j’étais petite, j’avais tellement peur de René (NDLR : son père), de leurs violences à tous les deux, que je ne pouvais rien dire. Je savais que, sinon, j’allais me prendre une bonne gifle en sortant. Une fois, ils ont même organisé une sorte de sketch, la veille d’une audition, pour être sûrs que je réponde « bien » aux questions. Après, pour me récompenser, ils m’ont emmenée chez McDonald’s… La seconde fois, c’était chez Flunch. signalement. La première d’une longue liste. La justice n’ignore pas, en effet, que sa mère a été condamnée à huit ans de prison pour avoir tué un précédent enfant de plus de 130 coups de couteau. Mais le juge des enfants choisit de la maintenir chez ses parents. Les rapports, plus alarmants les uns que les autres au fil des ans, n’y changeront rien. Pas plus lorsque des voisins rapportent que Karine, âgée de 6 ans, a pratiqué une fellation à leur garçonnet et tient des propos explicites… Il faudra attendre 2009, alors qu’elle a 12 ans, pour que la fillette brise le silence et que la machine judiciaire se mette enfin en marche.
Fait rarissime, aux assises, l’avocat général, François Touret de Coucy, avait conclu son réquisitoire en reconnaissant
Comment avez-vous vécu le procès aux assises ?
Le fait que Roland Blaudy dise la vérité dès le premier jour (NDLR : il a reconnu les viols, qu’il niait depuis toujours), ça m’a vraiment soulagée. J’avais un petit espoir qu’Anne-Marie et René disent qu’ils savaient ce qui se passait sous leur toit, quand Blaudy leur donnait de l’argent pour aller acheter des cigarettes ou de l’alcool et qu’ils me laissaient seule avec lui… En fait, je crois qu’ils n’ont toujours pas compris la gravité de leurs actes. Leurs regrets n’étaient même un « manque de clairvoyance » de la justice et reconnu, étreint par l’émotion : « Nous avons des questions à nous poser au niveau de notre responsabilité professionnelle. » Une faute pas sincères, ça ne m’a fait ni chaud ni froid. De toute façon, pour moi, ils n’existent plus.
Qu’avez-vous pensé des regrets exprimés par l’avocat général ?
Ça m’a fait énormément de bien. J’étais très près de lui, j’ai vu qu’il avait les larmes aux yeux. C’était courageux de sa part. Ça m’a fait plaisir aussi pour Laurence (NDLR : sa tante, qui l’a adoptée). que Karine, qui a entamé des études pour devenir à son tour travailleuse sociale, souhaite voir reconnue comme telle. Pour que ce qui lui est arrivé n’arrive plus à d’autres. Sans elle, je ne serais sans doute plus là… Tant que j’étais chez mes parents, la seule chose dont j’avais envie, c’était de mourir. Chez eux, je n’ai jamais été heureuse. J’étais frappée, insultée… En m’accueillant dans sa famille, qui m’a soutenue, encouragée, et m’a permis d’être enfin en sécurité, Laurence m’a sauvée.
En raison des nombreuses alertes effectuées auprès de la justice et des services sociaux, Karine Jambu estime qu’elle n’aurait jamais dû être maintenue au domicile de ses parents.