« Certains ont la volonté de renverser les élites »
POUR LE POLITOLOGUE Jean-Yves Camus, le risque est que la cohésion nationale soit mise à mal alors que s’opposent deux France.
Les politiques sont particulièrement visés par les Gilets jaunes, pourquoi ? JEAN-YVES CAMUS. Certains participants à ce mouvement ont la volonté de renverser les élites, de faire sécession avec notre système institutionnel. On ne mesure pas l’ampleur du rejet que certains expriment : cela les pousse à s’en prendre à Emmanuel Macron qui paye pour tous les gouvernements précédents. Ils s’en prennent aussi aux médias. En les chassant des barrages, ils expriment une défiance inédite. Défiance également vis-à-vis des syndicats, qui cherchent à entrer dans le mouvement. Ils n’attendent plus rien des politiques ?
Non. Cette violence paroxystique — comme par exemple les menaces adressées aux députés via les réseaux sociaux — signifie qu’un certain nombre de Français n’en sont même plus au stade du dégoût vis-à-vis de la classe politique. Ils ne se contentent plus simplement de dire que ces gens ne nous représentent pas, ils veulent véritablement les renverser. Or on renverse rarement avec des mots doux. Plus préoccupant encore, cette vindicte ne s’exerce plus uniquement à l’égard de la représentation parlementaire et des partis. Elle est le signe qu’il y a des Français qui ne s’aiment pas entre eux. Sur quoi cela peut-il déboucher ?
Le risque est que la cohésion nationale soit mise à mal par l’existence de deux groupes opposés. Deux groupes aux antagonismes liés au fait que certains sont des gagnants de la mondialisation et d’autres des perdants objectifs. Ils n’ont plus le sentiment de faire nation, c’est peut-être ce qu’on est en train de perdre. La violence s’est libérée ? Incontestablement. La violence s’est libérée, elle a pris le contrôle d’un certain nombre de territoires, de quartiers, où il n’y a plus de dialogue, mais la guerre d’une bande contre une autre. La grande inconnue de ce mouvement, c’est combien de ses membres votent ? Et combien voteront à son issue ?
Ce phénomène est-il réversible ?
Oui, heureusement. Le président a raison de prôner les vertus de la pédagogie et du dialogue, mais il ne suffit pas de le dire. Or le dialogue est difficile à mettre en oeuvre avec les Gilets jaunes, car on ne sait pas qui peut les représenter. Comment en sortir ?
Le grand problème pour les gouvernants, c’est la dissociation du temps économique et du temps politique. Si le chef de l’Etat met en oeuvre des mesures dont il escompte qu’elles vont porter leurs fruits avant la fin d’un mandat de cinq ans, les Français ne les voient pas. C’est en grande partie la cause du mouvement, beaucoup se disent nous avons tout essayé, et nous n’avons rien vu. Ils peuvent penser que le jeu politique n’est qu’un théâtre d’ombres. La marge de manoeuvre des gouvernants est faible, inférieure sur beaucoup de sujets à celle des Gafa ou des multinationales.