« Il va falloir suturer tout ça »
LA SIRÈNE RETENTIT près du sas d’accueil. A l’arrière de l’ambulance, un patient au gilet fluo pose sa main sur son nez imbibé de sang. Un autre suit, plaie ouverte au front. Comme eux, de nombreux blessés (28 sur les la centaine pris en charge hier par l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris) ont défilé hier aux urgences de l’hôpital Bichat, dans le nord de Paris.
Des infirmiers, aides-soignants et médecins supplémentaires ont été mobilisés pour faire face aux événements. « En termes de renfort et de matériel, on s’est mis dans des conditions proches d’un attentat », explique Christophe Choquet, le responsable adjoint des urgences. A 15 heures, le ballet des ambulances commence.
Son jean a été découpé, la plaie au tibia saigne sur 6 cm. Raoul, 37 ans, était sur les Champs-Elysées quand il a vu tomber « une pluie de grenades » lacrymogènes. « Il va falloir suturer tout ça », prévient le médecin, avant de poser cinq points. Il a mal « mais connaissait le risque », souffle l’exploitant transport venu de Niort (Deux-Sèvres) pour manifester contre les taxes « étouffantes ». « On a voulu faire passer les Gilets jaunes pour des ploucs, des chômeurs avinés. Ils n’ont pas vu, en haut, que le réservoir débordait », s’agace-t-il, pendant que le fil transperce sa peau.
Plus loin, dans le secteur dit rouge, Fabien a le nez « explosé », l’oeil affaissé par un tir de flash-ball des forces de l’ordre. Recroquevillé, le Niçois est d’autant plus hagard que, en weekend à Paris, il était « passé » par curiosité voir la manifestation. Des blessés, nous en rencontrons une dizaine, que des hommes, venus de toute la France. Tous répètent leur pacifisme, leur ras-le-bol. Mais il y a aussi ce garçon dont la croix gammée tatouée sur le bras semble en complet décalage avec son discours de non-violence.
Le coup de main de Nina l’ambulancière
Dans les allées, les soignants s’activent, notamment à 19 h 30, quand « ça repart de plus belle ». Jean-Philippe, aide-soignant, a un peu « mal au coeur » de voir tous ces blessés, lui qui, à 47 ans, comprend le « mouvement » mais pas la violence qui en découle. Nina l’ambulancière, qui ne devait pas travailler hier, a demandé à venir « donner un coup de main ». C’est sa façon de soutenir « le peuple qui se soulève » sans faire pour autant partie du cortège. « La plupart des Gilets sont adorables. J’aime l’idée de leur prêter secours. »
Angelo* et Nicolas rangent leur brassard « police » afin de « préserver le calme de l’hôpital ». En civil, ils encadrent un interpellé qui a besoin de soins. Samedi dernier, Nicolas a été blessé à la mâchoire, un de ses collègues a eu une fracture ouverte. « On a l’impression que les flics sont des casseurs sanguinaires, Mais les pavés que l’on reçoit ne tombent pas du ciel. Le matériel pyrotechnique, les masques à gaz ne sont pas les outils du manifestant pacifiste ! Cette haine, c’est triste, disent-ils. Nous aussi, on la paie, l’essence… mais on ne peut pas laisser de tels saccages. » Le calme n’est pas pour tout de suite. A un médecin, un blessé annonce : « A la semaine prochaine, docteur ! »
* Les prénoms ont été changés.