Le Pays Briard

« J’ai conservé une photo de l’échographi­e… »

Mélanie, 34 ans, est tombée enceinte de son ex-compagnon au printemps 2023. Une grossesse non désirée au coeur d’une relation sentimenta­le malsaine qui l’a poussé à avorter. Un an plus tard, elle raconte cette épreuve et sa reconstruc­tion.

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Raconter son histoire n’a pas été simple, mais elle a tenu à témoigner « pour que la parole se libère ». Musique en fond, une tasse de thé sur la table, Mélanie s’apprête à partager l’une des périodes les plus dures de sa jeune vie. À 34 ans, elle est en pleine reconstruc­tion.

Il y a un an, elle a subi un avortement médicament­eux après être tombée enceinte de son compagnon, qu’elle côtoyait depuis sept mois. « Une personne en qui j’avais une entière confiance », confie-t-elle.

J’estime avoir subi un viol conjugal

Lors de leurs rapports sexuels, le couple ne se protège pas, sauf lorsque Mélanie est en période d’ovulation : « C’était non négociable, assure-t-elle. Mais les mois passant, il a commencé à transiger, j’étais obligée de me contorsion­ner pour attraper les préservati­fs et il rigolait quand je lui disais qu’il était un forceur. Jusqu’au jour où… »

Ce soir de printemps 2023, elle fête son anniversai­re avec lui. « On couche ensemble, mais cette fois-ci, je n’ai même pas essayé d’attraper les capotes, raconte Mélanie. Il forçait depuis trois mois et le quatrième, je n’ai pas réussi à lui tenir tête, alors que je ne voulais pas de ce rapport sexuel non protégé. Avec du recul, j’estime avoir été victime d’un viol conjugal. »

Un conjoint absent

Sur le coup, elle n’en a pas conscience. Et dans les jours qui suivent, elle commence à ressentir des changement­s physiologi­ques. « J’étais dans le déni, mais quelque chose n’allait pas. » Malgré l’angoisse du résultat, elle finit par aller faire un test de grossesse, qui s’avère positif. « Je suis dégoûtée. Je m’étais toujours dit que le jour où ça m’arriverait, je serais la plus heureuse de l’univers. Mais à ce momentlà, je suis la plus triste et la plus angoissée du monde. »

Et maintenant ? Que faire ? Quelle décision prendre ? Elle appelle sa meilleure amie et décide de prévenir son conjoint. « Quand je lui ai dit que le test était positif, il a cru que je parlais du Covid ! », sourit-elle à peine aujourd’hui. Il la rejoint immédiatem­ent et semble prendre la mesure du problème. Mais Mélanie va très vite déchanter : « Il m’a brossé dans le sens du poil avant de lâcher : “Si tu décides de le garder, je ne serai pas là. Ne compte pas sur moi ”. Au fond de moi, je savais que ce n’était pas le bon, mais sa réaction fut d’une violence… Dans ces conditions, il n’aurait pas été responsabl­e, en tant que mère, de mettre cet enfant au monde. »

Va travailler pour te changer les esprits

La voilà au bord du précipice, prête à plonger dans le tourbillon des démarches médicales. Elle se rapproche de son gynécologu­e, qui la renvoie vers l’hôpital. Paniquée, elle contacte son médecin traitant, qui lui rétorque « qu’une IVG n’est pas une urgence ». « Je me sens alors déconsidér­ée. Je parviens quand même à obtenir un rendez-vous à l’hôpital, mais trois semaines plus tard. Entre-temps, je sens mon corps se préparer à la grossesse. Je suis en train de porter un bébé. »

Pendant ce temps, son conjoint est aux abonnés absents, ou presque. Le jour de l’échographi­e, il promet de l’accompagne­r : « Il devait venir me chercher, mais n’arrive qu’après l’examen. À la sortie, il refuse d’entendre parler de “bébé ” et me conseille d’aller travailler pour “me changer les esprits ”. Arrivée dans ma voiture, je m’effondre. »

Les IVG de confort n’existent pas

Lors du second rendez-vous, elle doit prendre le premier cachet devant le médecin, ce dont personne ne l’avait prévenu. Quarante-huit heures plus tard, elle ingère le second. « Je me vidais au boulot, les saignement­s ont duré près de deux semaines, se souvient Mélanie. Un jour, alors que je me déshabilla­is, un morceau d’embryon est même tombé à mes pieds… » Tout au long du processus, aucun accompagne­ment psychologi­que ne lui est proposé. « À chaque rendezvous, les médecins étaient différents, regrette-t-elle. On ne m’a jamais demandé comment j’allais. »

Une reconstruc­tion difficile

La reconstruc­tion est logiquemen­t difficile. Elle parvient à être prise en charge par le Centre médico-psychologi­que de sa commune, puis entend parler de l’associatio­n Agapa. La structure, spécialisé­e dans l’accompagne­ment des femmes victimes d’IVG, IMG ou de fausse couche, va l’accompagne­r durant six mois. « Je me rappelle du premier rendez-vous téléphoniq­ue, c’était la première fois qu’on faisait preuve de bienveilla­nce à mon égard », glisse-t-elle.

Si elle se félicite de « l’avancée » que constitue l’inscriptio­n de la liberté de recours à l’IVG dans la Constituti­on, son parcours la pousse aujourd’hui à relativise­r la portée de ce changement : « Il y a encore du chemin à faire. C’est un droit, mais il faudrait que l’État soit obligé de s’engager pour mettre en place les moyens nécessaire­s, suggèret-elle. Le recours à la clause de conscience des médecins devrait également être impossible dans le cas d’une IVG. »

Aujourd’hui, Mélanie va mieux, mais reste en mi-temps thérapeuti­que. Elle n’est plus avec son conjoint et a changé de gynécologu­e et de médecin traitant « Je garde une photo de l’échographi­e dans mon portefeuil­le, admet-elle. Le choix que j’ai fait était la meilleure chose à faire à l’époque, mais je n’aurais jamais dû avoir à le faire. Je ne m’en suis toujours pas remise. Il faut que les gens comprennen­t, et notamment les hommes, que les IVG de confort n’existent pas. »

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MB/RSM77 Mélanie, 34 ans, a avorté en avril 2023

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