Haïm Kern, l’artiste de la mémoire, est décédé
Cet immense sculpteur vient de s’éteindre à l’âge de 93 ans. Il a réalisé dans l’Aisne une oeuvre majeure « ils n’ont pas choisi leur sépulture », installée à l’orée du Chemin des Dames.
L’annonce de sa disparition à l’âge de 93 ans provoque une vive émotion dans tout le département tant son oeuvre monumentale en bronze érigée sur le Chemin des Dames a touché tous les Axonais. Né en 1930 à Leipzig en Allemagne, sa famille de Haïm Kern se réfugie en France en 1933 pour échapper aux persécutions antisémites des nazis. Établie dans le Valenciennois, la famille doit fuir l’avancée des Allemands en 1940 avant d’être arrêtée et internée au camp de Sept-Saulx dans le Tarn.
A l’été 1942, les juifs du camp sont déportés pour Auschwitz, via Drancy. En gare de Caussade, Haïm Kern est confié à une famille qui parvient à le cacher. Vivant ainsi dans plusieurs familles françaises sous un faux nom, il apprendra après la guerre l’assassinat de sa mère au camp d’Auschwitz-Birkenau. Il chérira son souvenir toute sa vie.
Après avoir fréquenté plusieurs centres de formation parisiens à partir de 1954, dont l’École nationale des Beauxarts de Paris et l’Académie de la Chaumière, Haïm Kern travaille dans l’atelier de Georges Visat (1910-2001), imprimeur et éditeur d’artistes, puis en 1971 au Centre genevois de gravure contemporaine dirigé par Daniel Divorne.
Souvenir de la Shoah
Il réalise des collages, peintures et estampes qui sont présentés dans de nombreuses expositions, en France et à l’étranger et expérimente également le travail du verre dans un atelier alsacien. À partir de 1978, la sculpture devient son moyen d’expression privilégié. Sa production de terre et de bronze évoluera à la fin des années 1990 vers la réalisation de silhouettes, qui prendront une place privilégiée dans ses installations liées au souvenir de la Shoah.
Artiste touche-à-tout, Haïm Kern devient l’un des plus brillants sculpteurs de sa génération, la statue parisienne de François Mauriac (1885-1970) demeure l’un de ses oeuvres majeurs. De nombreuses collections à travers le monde conservent ses sculptures, offertes par le président de la République François Mitterrand, dont l’oeuvre Liberté, Égalité, Fraternité offerte à Nelson Mandela.
En 1998, pour le 80e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, cinq artistes plasticiens sont sollicités pour créer une oeuvre pour attirer l’attention sur les combattants disparus. Haïm Kern propose une sculpture monumentale à l’orée du Chemin des Dames sur le plateau de Californie.
Son oeuvre, intitulée Ils n’ont pas choisi leur sépulture, est un bronze de 4 mètres de haut, représentant des têtes d’anonymes prises dans un maillage.
Le Département de l’Aisne participe au financement de l’oeuvre et à son installation. Elle est inaugurée le 5 novembre 1998 en présence du Premier ministre, Lionel Jospin. Associée au discours de ce dernier, se prononçant en faveur : « D’une réintégration dans la mémoire collective nationale », des soldats, fusillés pour l’exemple. L’oeuvre est vandalisée une première fois en 1999…
Vandalisée puis volée
Restaurée, elle est vandalisée à nouveau en 2006. Restaurée une deuxième fois, elle est volée dans la nuit du 11 au 12 août 2014. Une nouvelle oeuvre est fondue et installée sur la terrasse de la Caverne du Dragon, musée du Chemin des Dames où elle est inaugurée le 16 avril 2017 par le président de la République, François Hollande.
Une trace de l’oeuvre à son emplacement d’origine sur le plateau de Californie à Craonne est également inaugurée au son de La Chanson de Craonne.
En 2010, l’artiste avait choisi de léguer son fonds d’atelier au Département de l’Aisne. La sculpture monumentale intitulée Liberté, issue de cette donation, est installée dans la cour de la préfecture de l’Aisne en 2017.
Elle rappelle l’attachement profond de l’artiste pour les valeurs républicaines.
La dernière exposition de l’artiste : D’hier à deux mains fut présentée à Laon, à la Maison des Arts et Loisirs en 2023, dans un dialogue avec son amie Maÿlis Seydoux-Dumas.
Immense respect
Dans un communiqué, Nicolas Fricoteaux, président du Conseil départemental, salue : «Un homme qui avait dédié toute sa pratique artistique à la paix et la liberté.» Il poursuit avec émotion : « Nous garderons tous en mémoire le souvenir d’une personnalité attachante, pleine d’humour, profondément humaine et inspirant un immense respect pour sa vie personnelle et celle de l’artiste complet qu’il était. »
Et de conclure : « Haïm Kern est devenu au travers de l’histoire tragique entre la France et l’Allemagne, comme de son art de mémoire, le symbole de la réconciliation et de la fraternité entre les peuples. »