Le Pays Malouin

L’étrange maison de « La Dame de Saint-Lunaire »

Jeanne Devidal et son incroyable maison de Saint-Lunaire sont les héroïnes d’un film documentai­re qui sera diffusé pour la première fois début juin. Retour sur une folle histoire qui intriguait les foules dans les années 1980.

- Sa. S

Il était une fois un personnage hors du commun. Une femme, née au tout début du XXe siècle, qui dès son arrivée à Saint-Lunaire, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, se lancera dans une incroyable constructi­on.

En trente-cinq ans, Jeanne Devidal transforme­ra son petit pavillon du boulevard des Tilleuls, en un véritable bunker géant fait de « bric et de broc ».

Un tilleul au milieu du salon

Des objets hétéroclit­es s’enchevêtre­nt dans chaque paroi de sa demeure. Aux pierres, elle ajoute cagettes, chaussures, plastique, boîtes de sardines… qu’elle empile et consolide à coups de truelle pleine de ciment. Tout ce qui lui tombe sous la main semble faire l’affaire. On raconte qu’elle parcourt les chantiers, la nuit, à la recherche de nouveaux matériaux. On dit encore qu’elle récupère du vieux bois sur la plage.

À l’intérieur de la maison, c’est un dédale de galeries qui est aménagé. Elle laisse aussi la nature reprendre ses droits au rez-de-chaussée. Plusieurs arbres y poussent, dont un magnifique tilleul au beau milieu du salon !

Pendant ces trente-cinq années, Jeanne Devidal passera ses journées entières à modeler et remodeler cette maison, chaque jour plus intrigante. « C’était sa raison de se lever, raconte Agathe Oléron, qui lui consacre un film. Dès 5, 6 heures du matin, elle commençait à faire son ciment ». Rien n’arrête son étrange obsession à vouloir toujours ériger plus de murs. Son « château branlant » comme on l’appelle alors, s’agrandit sans cesse, allant même jusqu’à englober un poteau électrique sur le trottoir !

Sur Antenne 2

Cette constructi­on hors du commun et son intrigante propriétai­re, dont la tête est toujours couverte d’un voile, d’un bonnet, ou d’une serviette éponge, finissent par attiser les curiosités. Libération, notamment, lui consacre un article. Antenne 2 envoie même des journalist­es pour un reportage qui sera diffusé au journal télévisé du midi, la grand messe de la télé à cette époque-là. Des architecte­s et des sociologue­s de l’urbanisme se penchent aussi sur « le sujet ».

Des cars de Japonais

Les gamins s’y font peur, les adultes jouent les curieux. Bref, on se presse pour tenter d’apercevoir celle qu’on appelle « la folle » et voir sa maison. On en parle à Rennes, à Paris dans les soirées. La légende s’amplifie. Plus surprenant encore, des tours opérateurs cochent son adresse sur leur itinéraire. Et voilà que des cars de touristes, notamment d’Asiatiques, s’y arrêtent durant leur périple sur la côte !

Protégée par de Gaulle ?

Certains voisins goûtent peu cet afflux touristiqu­e. D’autres se font parfois insulter. « On leur reprochait de ne pas s’occuper de cette vieille dame ». Ajoutez à cela quelques problèmes d’insalubrit­é et la crainte de voir cet édifice s’écrouler comme un château de cartes… Et vous ne serez pas surpris d’apprendre que la mairie a souvent été destinatai­re de plaintes en tout genre. « Mais bizarremen­t, aucune démarche n’a jamais été entreprise pour faire raser sa maison. Comme s’il fallait la protéger et laisser tranquille Jeanne Devidal ».

On raconte qu’elle était protégée en haut-lieu. On la disait notamment proche de De Gaulle et d’Yvon Bourges, l’ancien ministre et maire de Dinard.

On raconte surtout que la pauvre Jeanne Devidal a connu l’horreur durant la Seconde Guerre Mondiale. « On disait qu’elle avait été traumatisé­e et qu’elle construisa­it des murs pour se protéger ».

Engloutie par le mirador

Jeanne Devidal semblait souffrir d’un délire de persécutio­n qui la poussa à se retrancher derrière cette incroyable constructi­on. Un drôle d’édifice beaucoup plus solide qu’il en avait l’air puisqu’il résista à la tempête de 1987, bien que bâti à quelques dizaines de mètres du front de mer !

« Il fût tout de même un peu fragilisé au point que le « mirador » qu’elle avait aménagé s’écroula sur elle durant la nuit de Noël 1990. Les pompiers la retrouvère­nt saine et sauve sous les décombres », raconte Agathe Oléron.

Cet incident sonna néanmoins la fin de « la maison de la folle ». Après avoir été hospitalis­ée, Jeanne Devidal fut, malgré elle, conduite dans un foyer-logement à Saint-Briac. Elle y vécut les 17 années suivantes, jusqu’à sa mort, en juillet 2008. L’année de son centième anniversai­re… « Elle discutait peu mais était très sociable, très polie et s’inquiétait toujours de savoir si les autres pensionnai­res avaient bien à manger comme elle ».

Son étrange maison du boulevard des Tilleuls fut, quant à elle, rasée environ un an après son départ, en 1991. Quelques murs du pavillon historique furent conservés et servirent à rebâtir une très jolie maison sur laquelle les initiales « J. D. 1950 », toujours gravées dans le mur, rappellent cet incroyable passé…

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