Le Pays Malouin

« Sa maison était une oeuvre d’art »

Agathe Oléron, qui a écrit et réalisé « La Dame de Saint-Lunaire », s’est prise d’affection pour l’héroïne de son film, Jeanne Devidal. Un personnage hors normes à qui elle entend redonner sa place dans notre Histoire. Interview.

- Recueilli par Samuel SAUNEUF

Comment avez-vous fait connaissan­ce avec l’histoire de Jeanne Devidal ?

Tout est parti d’une classe de mer à Saint-Lunaire, en CE1, avec mon école de Montfort/Meu. J’avais déjà entendu parler de cette maison, que certains appelaient « la maison de la folle ». On racontait beaucoup d’histoires sur Jeanne Devidal. Je m’attendais à voir le Palais idéal du Facteur Cheval (oeuvre d’art brut dans la Drôme). Finalement, j’ai été très déçue en découvrant avec mes yeux d’enfant ce qui me semblait être un château de sable géant qui allait s’effondrer sur nous quand la mer allait monter.

Jeanne Devidal était là. Elle est sortie, car elle aimait beaucoup les enfants. Dans l’ombre que projetait sa capuche sur sa tête, avec son sourire et ses yeux qui brillaient, elle ressemblai­t à une sorcière. Elle avait 77 ans, j’en avais 7. Le personnage m’a vraiment fait peur. Mais en même temps, il m’a marqué, il m’a fasciné. Et il ne m’a plus jamais quitté.

Pourquoi en faire un film trente ans plus tard ?

Le but de ce film est de faire découvrir la constructr­ice, la personne qui se cachait derrière les murs de cette incroyable maison. De lever aussi une partie du voile qui entoure Jeanne Devidal mais en laissant une part du mystère persister. On en apprend plus mais tout n’est pas révélé. Déjà parce qu’il aurait été impossible de le faire en 52 minutes mais aussi parce que je ne voulais pas casser le mystère Jeanne Devidal. Ce serait briser son histoire et tout ce qui nous fascine chez elle.

Mais d’où vient cette folie, cette obsession qu’a eue Jeanne Devidal à construire cet impression­nant château branlant ?

On n’y répond pas complèteme­nt dans le film pour la simple et bonne raison que nous n’avons aucune théorie certaine sur ses motivation­s. Pourquoi Jeanne Devidal faisait ça ? De quoi voulait-elle se protéger ? Plusieurs témoins du film se penchent sur ces nombreuses questions et donnent des pistes de compréhens­ion.

Est-ce lié, comme on le raconte, à un épisode traumatisa­nt qu’elle aurait vécu durant la Seconde guerre mondiale ?

Oui, il y a des liens. Mais il y a aussi des interrogat­ions. Jusqu’où vont ces liens ? Était-elle protégée par Charles de Gaulle comme on l’affirmait ? Le film donne quelques éléments de réponse.

Combien de personnes avez-vous rencontré pour refaire le fil de son histoire ?

En quatre ans, j’ai rencontré à peu près 300 personnes. Des Lunairiens, des vacanciers, des gens qui comme moi en gardaient un souvenir d’enfant. Mais aussi des professeur­s d’architectu­re, d’arts plastiques, de sciences du langage, des psychologu­es, etc. de Rennes, de Nantes qui se sont intéressés à cette histoire. Pour le film, j’ai dû faire des choix et garder exclusivem­ent des personnes qui ont connu Jeanne Devidal, sa maison, qui l’ont rencontrée, qui ont passé du temps avec elle. Ses neveux, qui étaient sa plus proche famille et qui passaient tous leurs étés chez elle étant enfants, sont des personnage­s de mon film. J’ai également retrouvé deux anciennes étudiantes en sciences du langage à la Fac de Rennes 2 qui, en 1978, ont consacré leur mémoire de maîtrise à la maison de Jeanne Devidal.

Quels souvenirs gardent toutes ces personnes de leur rencontre avec Jeanne Devidal ?

Elles partagent toutes ce point commun d’avoir été marquées par le personnage. Ce fut pour elles une rencontre inoubliabl­e.

Jeanne Devidal est-elle finalement une oubliée de notre Histoire locale ?

Il y a eu beaucoup de moqueries à son égard. Je pense qu’il est injuste qu’on ne retienne d’elle que sa folie. Que ce qu’on percevait à travers la façade de sa maison. Des spécialist­es d’art brut affirment aujourd’hui qu’on a démoli là une véritable oeuvre d’art, qui aurait pu être considérée comme le Palais Idéal du facteur Cheval de Saint-Lunaire. Cette femme, Jeanne Devidal, était une artiste. Elle ne faisait pas que construire une étrange maison. Elle peignait, dessinait, sculptait et écrivait sur les murs. Elle vivait dans son art.

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