Chiens écrasés et «viande froide»
Dans la hiérarchie des informations, les «chiens écrasés» constituent la catégorie la moins valorisante : on dénomme ainsi les faits-divers en général, voire les moins importants de ces derniers. Il ne s’agit pas forcément d’affaires sordides, comme le croient certains non professionnels, mais de faits qui, quoique méritant d’être rapportés ou commentés au plan local ou régional, ou même national, ne présentent pas un intérêt exceptionnel.
c’est couvrir cette catégorie de faits-divers, être éventuellement cantonné au traitement de ces informations. Lorsque l’on entame une carrière de journaliste, on est souvent affecté à cette tâche qui est une excellente école de formation, et qu’on ne doit pas mépriser.
Les n’échappent pas à la loi du «kilomètre sentimental» : les accidents mortels «banals» – deux morts dans une collision d’automobiles, par exemple – vont retenir l’attention des médias locaux et des habitants de la région, mais, au niveau national, ce dramatique fait-divers ne sera sans doute pas mentionné… Ou seulement par une phrase à la radio et par une (on reviendra sur ce mot dans une autre chronique) au sein des quotidiens nationaux.
Un curieux personnage, l’anarchiste Félix Fénéon (1861-1944), critique d’art et journaliste, a retenu l’attention notamment par ses «nouvelles en trois lignes» parues dans le journal le Matin, à partir de 1905. Ces textes insolites, baroques, relèvent des
par leur concision, des – pour certains, par les faits mineurs rapportés (mais ces nouvelles portent aussi sur des événements plus graves) :
À part les amis des animaux, et alors que les chiens, les chats, les chevaux et compagnie n’étaient pas encore officiellement reconnus (c’est tout récent, en France) comme des êtres vivants, sensibles, peu de personnes attachaient la moindre importance à un chien mortellement victime d’un accident. L’animal était quantité négligeable : voir les expressions
etc. D’où la locution L’expression peut choquer : Pourtant, il ne faut pas retenir la notion de cynisme, mais plutôt celle de réalisme cru. Quelle que soit l’importance, réelle ou très surfaite, des êtres humains, chacun finit par passer de vie à trépas. La Faucheuse ne prévient pas, et peut frapper très brutalement. Alors, pour ne pas être pris de court, les médias – notamment la presse écrite – préparent (et non pas «préparent à l’avance», qui est un bel exemple de pléonasme !) les nécrologies – les
– de toutes les personnes qui font, ou qui ont fait, de façon notable l’actualité. Notable ne veut pas dire forcément «remarquable» au sens de «respectable, digne d’estime, honorable»…
Lorsque survient le décès, les rédactions n’ont alors qu’à compléter éventuellement les nécrologies mises au et à recueillir des témoignages sur la personnalité disparue. Les sont établies par les différents services rédactionnels (rubrique littéraire, service de politique étrangère, bureau des sports…) en liaison avec le service documentation. Ce dernier accumule au fil des années toutes les informations présentant de l’intérêt au sujet de ces personnes, même si elles ne sont plus sur le devant de la scène.
Il n’est pas rare que des personnalités, politiques notamment, cherchent à obtenir, par différents moyens, le texte de leur «viande froide» !...