« On a découvert des milliers de paysages là où la vitesse ne permet d’en voir que peu »
Ils ont mis un mois et demi, sur des radeaux, pour relier Saint-Malo à Rennes, sur le canal d’Ille-et-Rance, avant de se lancer à l’assaut de la mer et de l’île utopie, sur les traces de Thomas More. Riches de tout ce qui avait bruissé au cours de la traversée… Simon Gauchet, le Malouin embarqué sur le Radeau utopique, nous a raconté cette part de l’aventure.
Combien de temps a duré votre voyage sur le canal et la Rance, Simon, de Rennes à Saint-Malo ?
Un mois et demi. Même si nous avons respecté les délais qu’on s’était fixés, on s’est rendu compte que la vitesse à laquelle on pouvait aller était loin de celle qu’on avait imaginée…
Comment se faisait l’avancée ?
On s’aidait de perches, de rames, et de chevaux. Les chevaux ont été précieux ! A Calorguen nous somme tombés sur un jeune homme qui avait des chevaux de trait, et qui nous a tiré pour nous aider à avancer ; à Saint-Germain-sur-Ille aussi ; je crois qu’on parcourait à peu près 900 mètres en une heure, sans chevaux. Nous avions aussi une hélice reliée à un vélo, et on se relayait pour pédaler, mais les radeaux pèsent 7 tonnes, alors évidemment, c’était très substantiel ! En fait, nous avons fait un voyage extrêmement lent, à une époque où tout se fait extrêmement vite, et de plus en plus vite. Un mois et demi pour faire 100 km, quand en quatre voies ça se fait en 3/4 d’heure, et à l’heure où Paris sera relié à Saint-Malo en 2h17, vous imaginez… On a, de fait, découvert des milliers de paysages là où on a l’habitude de n’en voir que quelques uns, compte tenu de la vitesse… Nous avons l’impression d’avoir traversé plein plein de territoires : notre rapport à l’espace est complètement transformé. Sans doute qu’en utopie, il n’y a plus tous ces moyens hyper rapides de déplacements…
Qu’avez-vous découvert du canal ?
Outre sa richesse, à chaque instant, on a aussi découvert qu’il était très pollué. On l’a vu, et on l’a même expérimenté, puisque l’un d’entre nous a été malade après s’y être baigné… Et ça vient des champs, de ce qui s’y répand, même si on nous a dit que des algues avaient aussi envahi de manière désastreuse une partie du canal après que quelqu’un y avait déversé son aquarium…
Comment se passaient vos escales ?
A chaque escale, nous avons rencontré beaucoup de monde. Nombreux ont été les témoignages, les lettres, les petits mots, de gens qui nous ont accompagnés ou découverts dans cette aventure. Ce qui est réjouissant, c’est de voir qu’il y a plein de gens, à leur échelle, qui tentent de modifier les choses. Certains souvent, nous faisaient part d’un désespoir face au grand tout, qui écrase, face au capitalisme contre lequel ils disaient ne pas pouvoir lutter, pourtant, on a fait le constat qu’à l’échelle locale, à l’échelle d’une commune, on peut tenter des choses. C’est possible, on peut réfléchir différemment à son territoire, on peut avoir un rapport différent à l’architecture, etc.
Elle ressemble à quoi, l’utopie des habitants de ce territoire que vous avez rencontrés ?
La question de l’argent, qui gâche, qui fausse les rapports revenait souvent. Pour beaucoup, l’utopie était vue sans argent, avec un conseil de sages, des jardins partagés. C’est possible, avec les monnaies locales, de retrouver la vérité de ces rapports… Et en tout cas, notre aventure a rendu visibles les chaines de solidarité qui peuvent exister au quotidien, et pas seulement à notre égard : nous débarquions de nulle part, sur notre radeau, et on venait de partout nous apporter du soutien, mais aussi toutes sortes de choses ! Même une poule, qui a fait ce voyage avec nous. Nous avons rencontré des gens bien présents, qui se sont connectés ensemble, qui nous suivaient d’escales en escales, prêts à faire bouger les choses, ça nous a donné une possibilité d’espérer. On s’est rendu compte que les gens avaient très envie de rêver, de renouer avec une époque où tout pouvait s’inventer. Des opposants, aussi ? Oui, nous avons aussi vu des opposants à notre projet. Des gens qui ne comprenaient pas que de l’argent public puisse servir à cela. Comment dire que c’est essentiel, et que notre société est en crise de l’imaginaire, qu’il faudrait tenter d’imaginer des récits qui ne soient pas noirs pour déjà commencer à changer les choses. Et maintenant ? Le voyage continue, à la poursuite des pistes que l’on nous a données… Certains nous ont donné des coordonnées spécifiques pour trouver l’île utopie, on nous a parlé d’îles enfouies, oubliées, de personnes à aller voir… Et dans un an, nous referons le voyage à l’envers. Nous referons le voyage, de SaintMalo à Rennes, en traversant tous les villages que nous avons traversés, pour voir où en sont les projets de chacun, pour voir ce qui a pu être fait…
On peut vous suivre, vous accompagner ?
En ce moment à la Maison des Poètes Intra-Muros, on peut voir le camp de base du Radeau utopique. Nos cartes, nos plans, les lettres, les mots que nous avons reçus, etc ; de même, cela sera visible deux jours aux Champs Libres à Rennes les 17 et 18 septembre. Nous avons un site internet où l’on peut nous suivre, et un facebook : plus de 1200 personnes suivent l’avancée du radeau, et environ 500 personnes se sont inscrites à la newsletter.