Une histoire des frères Lumière à côté de la plaque
Depuis 40 ans, une plaque installée sur le chemin du littoral, à Dinard, raconte que les frères Lumière y ont expérimenté leurs premiers procédés de photographies en couleur. Une histoire peu crédible.
a plaque a été apposée le 21 octobre 1984, à l’occasion d’un congrès national de la photographie professionnelle, sur un mur qui borde le sentier littoral de Dinard, au dessus de la fameuse Goule aux fées, près du château Hébert. Une grotte, théâtre de bien des légendes anciennes.
« A cet endroit, les frères Louis et Auguste Lumière ont expérimenté leurs premiers procédés de photographie en couleurs », indique ce carreau de marbre aux lettres dorées devant lequel des milliers de personnes passent chaque année. Mais ne s’agirait-il pas d’une légende de plus ?
LEn vacances à Saint-Enogat
Que les frères Lumière aient exploré la grotte, nul n’en doute. L’historien Michel Faucheux le raconte dans une biographie consacrée aux inventeurs du cinématographe et de la photo couleur (autochrome). En été 1877, « Auguste et Louis Lumière, âgés de 14 et 12 ans, sont en vacances en Bretagne, à Saint-Énogat (Dinard) », en famille. C’est Marius Pradel, un ami de leur père, Antoine Lumière, industriel fabriquant de plaques photographiques à Lyon, qui lui a soufflé l’idée de ce voyage.
Expédition dans la grotte
« Auguste et Louis ont obtenu de leur père Antoine qu’il leur prête le lourd matériel photographique qu’il a emporté avec lui. Ils s’apprêtent à faire leurs premiers essais photographiques. Les deux frères partent à l’aventure et accèdent à une grotte, pourvue d’un large orifice, ‘la Goule aux fées’. L’endroit est idéal : il offre un lieu obscur qui peut servir de laboratoire improvisé à la préparation des plaques photographiques », relate Michel Faucheux.
L’historien ne parle pas de couleur mais des premiers essais photographiques des deux frères : « lls fixent à l’horizon quelques voiles lointaines qui se balancent à la surface ondulée de la mer mais que la longueur du temps de pose va rendre floues. »
Le serment
En revanche, il raconte le fameux serment des frères Lumière. Les deux adolescents se seraient juré fidélité et de travailler ensemble toute leur vie.
Le Dinardais Renaud Blaise explique même que ce serment serait dû au fait qu’ils ont été surpris par la marée et ont craint de ne pas sortir vivants de cette grotte de 49 mètres de profondeur.
L’historien local doute que les deux adolescents aient pu, à cette époque faire des essais de développement couleur : « J’ai joué en ces lieux lorsque j’étais petit et y acheminer un matériel considérable semble bien difficile. C’est en 1903 que leur autochrome verra le jour : c’est un procédé de photographie couleur à base de fécule de pomme de terre teintée, permettant de capter et de filtrer la lumière. »
Une expérience dans la grotte
Pour autant, Pierre-Jérôme Jehel, Dinardais lui aussi et professeur de photographie, à Gobelins, école de l’image, à Paris, estime tout à fait plausible que les deux jeunes gens aient mené des expériences dans la fameuse Goule aux fées. La preuve : il en a réalisées lui-même, avec les moyens de l’époque, à l’occasion d’une belle exposition, organisée en 2021, à la Villa les Roches Brunes, intitulée ‘La caverne des Lumière’.
« Il n’existe aucune preuve que Louis et Auguste ont travaillé sur des procédés couleur. Cela paraît impossible. Ils étaient bien jeunes. J’ai voulu vivre ce qu’ils ont pu ressentir, en 1877, dans la Goule aux fées en réalisant avec un ami un film argentique de 16 mm que j’ai développé dans la grotte. Entre deux marées, il y avait quatre à six heures pour développer selon les techniques alors en vigueur. C’était un film couleur, expérimental, afin de rendre hommage à leurs deux grandes inventions : le cinéma en 1895 et la plaque autochrome (procédé de photo couleur) en 1903. Alors, s’ils n’ont probablement pas inventé la photo couleur à Saint-Enogat Dinard, peutêtre en ont-ils rêvé ? »
Selon Pierre-Jérôme Jehel, les deux frères ont toujours considéré que la couleur était leur plus belle invention. « Leur système industriel connaîtra un énorme succès entre 1905 et 1920. »
Quant au serment de la Goule aux fées, cette anecdote lui semble réaliste, « puisqu’ils ont signé quasiment tous leurs brevets de leurs deux prénoms ».
Un photorama de 1901
Les deux inventeurs ne sont officiellement pas revenus à Dinard. On leur prête un photorama, autrement dit, une photographie à 360° de la plage de l’Ecluse. « Ce sont bien eux qui ont, là encore, mis au point cette technique mais ils en ont vendu le brevet à Alexandre Promio qui concevra une salle de projection à Paris. C’est lui qui a réalisé cette fameuse photo à Dinard en 1901. »