« On ne veut pas disparaître du paysage »
Julien Tréhorel n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. Ce marin pêcheur, patron d’un bateau avec lequel il parcourt la mer à la recherche de coquilles et bulots, tape aujourd’hui du point sur la table. Pour lui, le parc éolien prévu en mer menace faune, flore et… pêcheurs.
L’Intrépide, c’est le nom que Julien Tréhorel a donné à son bateau. Et c’est vrai que sur terre ou sur mer, Julien n’a pas peur des courants contraires. Aujourd’hui, c’est des éoliennes, dont le projet a pris un nouveau tournant la semaine dernière (lire encadré), qu’il se méfie. Une méfiance qui vire à la colère lorsqu’il pense qu’il ne pourra plus se rendre sur une zone de pêche très prolifique pendant les deux ans de la construction… voire plus jamais.
Si l’impact sur le chiffre d’affaires des deux années blanches est conséquent, c’est surtout la suite que Julien Tréhorel appréhende. « Toute forme de navigation sera interdite pendant deux ans. Ensuite, on nous assure qu’on pourra naviguer entre les éoliennes. Mais tous les pêcheurs ne pourront pas le faire. Pour la pêche au bulot, il n’y aura pas assez d’espace entre deux éoliennes pour qu’on puisse mettre nos lignes contenant les casiers. Ce serait trop dangereux » .
Le bulot, nouvel essor d’Erquy
Comme 48 autres pêcheurs à posséder une licence dans la baie, Julien Tréhorel pêche essentiellement le bulot, ce gastéropode très apprécié, surtout par les Italiens. « Le bulot est devenu le nouvel essor d’Erquy, il faut en tenir compte ! Les licences ont doublé en 10 ans mais les zones de pêche n’ont pas été étendues et, si on ne le fait pas, il y aura de la casse avec les éoliennes. »
Car ici, ce n’est pas ’ open bar’. Les zones de pêche sont réglementées dans la baie et le bulot ne peut pas être pêché n’importe où. Ces restrictions sont notamment mises en place pour ne pas déranger d’autres méthodes de pêche, comme le chalut, qui pourrait se prendre les filets dans les casiers utilisés pour le bulot.
« J’ai demandé une réunion en urgence pour qu’on envisage de laisser une plus grande zone aux bulotiers. On va nous prendre une partie de notre ressource avec la construction de ce parc. Les éoliennes vont être implantées sur une zone très riche en faune marine, notamment pour la reproduction des lieux, merlans, tacauds, daurades et c’est une zone de regroupement pour les maquereaux l’hiver. Il y a tout un écosystème bien place là-bas. On nous dit que les pylônes seront des zones de biodiversité mais elle existe déjà et on va la détruire, c’est sûr. Quel animal résisterait à ce qu’ils vont faire en perforant à plus de 30 mètres et en déversant des tonnes de béton ? »
Inquiet, Julien Tréhorel l’est d’autant plus qu’aucune étude d’impact sur les coquillages et les mollusques n’aurait été diligentée. « On sent bien qu’on ne nous entend pas. C’est pourtant important de nous garder, les pêcheurs, on fait partie du paysage d’Erquy. On nous demande de nous pousser mais on ne veut pas disparaître du paysage ! »
Si des compensations sont ouvertes, compte tenu des nuisances provoquées par les éoliennes, les pêcheurs souhaiteraient qu’elles prennent vraiment en compte les pertes causées. « Mais prendre un chèque ne m’intéresse pas trop, ce que je veux, c’est pouvoir continuer de pêcher. »