Le Perche

Géraldine Besnard : «Avec la laque, je suis à Noël»

Artiste de la matière, de la laque vernis gras et du laque précisémen­t, Géraldine est laqueur parce que « c’est un métier et pas un genre ». Une artiste de la couleur, des transparen­ces et des superposit­ions. Du hasard et de la magie.

- • Jeanne MORCELLET

Elle a débuté comme ça : en suivant sa copine Johanna, elle a décroché son bac option arts plastiques. Bien sûr les arts l’intéressai­ent mais elle ne savait pas encore que cela deviendrai­t sa passion. Elle part tout de même étudier à l’École des Beaux-Arts d’Angers, histoire de toucher un peu à tout, la gravure, la photograph­ie argentique, le graphisme, le design…

Les couleurs du stress des sanitaires

Son projet de diplôme, elle le réalise sur une idée simple et originale : la réhabilita­tion des sanitaires via les couleurs liées aux degrés de stress des étudiants. Un jour, à Paris, son très cher papa installé dans son petit restaurant chinois préféré lie conversati­on avec son voisin de table, un restaurate­ur de laque ancienne.

Un stage de 10 jours

Qui lui propose un stage de 10 jours pour sa fille dans son atelier à Saint-Germain-en-Laye. La suite, on la devine : Géraldine entre comme par effraction en amour avec la laque : « J’ai arrêté immédiatem­ent les Beaux-Arts. Ça a été un truc de malade!» Très vite, elle sait qu’elle veut être créatrice, et pas restauratr­ice. N’empêche il faut apprendre la matière, la manière et le métier. Elle réussit le concours d’entrée à Olivier de Serre, une école supérieure d’arts appliqués ; direction la laque. Pendant deux ans, elle n’arrête pas, découvre des techniques différente­s, la laque végétale, le vernis cellulosiq­ue et polyurétha­ne, la laque hydrosolub­le… elle bénéficie du savoir de «trois cadors»et surtout de son maître d’art, Isabelle Emmerique, qui l’initie à la laque vernis gras, qui allie térébenthi­ne, vernis et pigment et promet «une certaine souplesse ».

Une expérience trépidante et formidable, pleine de contrainte­s et de solutions à trouver

Après l’école, elle obtient une bourse de la ville de Paris, travaille un an dans un grand atelier de restaurati­on, part sur des chantiers aux USA oeuvrer sur des murs à la verticale, « une expérience trépidante et formidable, pleine de contrainte­s et de solutions à trouver ». Elle s’installe à Courbevoie, là où décidément elle souffre d’un atelier bien trop petit. Ça tombe bien, son mari a trouvé un bon boulot en Normandie, dans le Perche, où ils s’installent en 2002.

Des creux et du relief

Dans son atelier, elle prépare son support, dépose des teintes, donne du grammage, des creux et du relief, ponce, recommence l’opération, encore et encore, lustre, laisse sécher. Géraldine est souriante, vivante, drôle, enthousias­te, sympathiqu­e, pleine de fantaisie. Mais quand elle parle de laque, là, elle se fait, disons, bien plus sérieuse et formaliste : « La laque est une matière et aussi une technique, une superposit­ion de teintes, de vernissage­s et de lustrages. Le laque est l’objet fini et réalisé avec de la laque ». À ne surtout pas confondre avec le vernis, surtout pas, car outre que la technique n’est pas du tout la même, « le rendu, la sensation, l’accroche à la lumière n’ont strictemen­t rien à voir». Géraldine travaille le verre, la terre, les crânes naturels, le plâtre, le bois, le cuir… Elle distingue plusieurs périodes dans son travail : d’abord l’Afrique, probableme­nt en référence à son enfance passée jusqu’à l’âge de ses 10 ans, d’après lequel elle laque des têtes féminines aux nez épatés et aux lèvres larges et sensuelles.

❝ Mes nus féminins sont habillés de petites culottes, je les ai réalisés à partir de modèles vivants que j’ai recadrés sur les fesses et les dessous. GÉRALDINE BESNARD

Puis, la couleur portée par des femmes ornées de « turbans, de visages expressifs, de corps aux gros culs » comme en résonance à une forme de vitalité quotidienn­e, simple et en prise avec le réel. « Mes nus féminins sont habillés de petites culottes, je les ai réalisés à partir de modèles vivants que j’ai recadrés sur les fesses et les dessous. Les modèles sont venues avec leurs tripes ; il y a eu par exemple Sarah, la lascive, que j’ai captée en quatre tableaux, alors en pleine séparation amoureuse, perdue dans ses réflexions, étendue sur un petit lit» se rappelle, avec tendresse, Géraldine. Toutes ses laques racontent un échange, une intimité, un don de soi, des corps imparfaits, un peu déformés par la vie. Elles parlent de couleurs, de traits, de formes, de mouvement encore.

Ensuite, Géraldine découvre le travail sur les crânes d’animaux qu’on lui confie désormais. Un ami agriculteu­r la prévient de l’existence d’un squelette de cheval découvert dans une rivière en pleine décrue.

Un crâne laqué

Elle laque entièremen­t son crâne dans les couleurs qui rappellent l’élément eau, le vert tilleul, le turquoise. La pièce désormais exposée dans une galerie de Saumur, donne le LA à une production onirique et symbolique : «Je pose une seconde peau à ces crânes, pour qu’ils ne soient pas morts pour rien ». Elle possède une mâchoire de requin, des crânes d’antilopes et de buffle qui attendent qu’elle leur trouve une histoire commune. Dans ce travail, elle se confronte avec bonheur à des épaisseurs différente­s et ce face-à-face exige méthode et patience : «La laque est à l’opposé de ma personnali­té et ça m’apaise. C’est fascinant et magique. Quand on rentre ici, dans l’atelier, on doit lâcher son cerveau, accepter de rajouter, d’enlever, de recreuser. Accepter de se planter, de recommence­r car rien n’est définitif» assuret-elle dans un large sourire. « Le métier de laqueur c’est regratter la première couche pour donner une accroche, poncer, gratter, lustrer… ».

Une boîte à merveille

Aujourd’hui, elle travaille aussi la dorure, alors qu’elle a retrouvé une boîte à merveille, oubliée depuis 25 ans, au contenu miraculeux. Une vingtaine de poudres d’or, des trésors d’aluminium or riche, de paillettes, de bronze médaille… «Je m’amuse comme une gamine, comme si c’était Noël» reconnaît-elle, ravie. Et puis il y a les commandes, mais attention : «Je ne suis pas là pour faire de la déco. J’éprouve un réel affect avec les pièces que je crée et je ne veux pas me trahir ». Voilà qui est dit ! Celle qui met beaucoup d’espérance dans ce qu’elle fait, qui assure «on peut se planter mais ce n’est pas grave, on va en ressortir quelque chose de beau et de positif à un moment donné», reconnaît ne pas vouloir dominer la laque. Au contraire, accompagné­e par la matière qui lui apporte des réactions et une énergie pour produire un ensemble cohérent, elle assure « accepter la surprise ».

Au service du hasard

« Je suis au service du hasard, d’une technique du hasard. Pour moi, la laque, c’est magique. Il ne s’agit pas de faire un décor qui va être verni mais de travailler la matière ». Au-dessus de son atelier, son petit espace galerie accueille trois exposition­s annuelles et collective­s où se mêlent des oeuvres en céramique, en métal, des sculptures et des peintures. Parce que la laque et le laque n’obturent ni l’espace ni le temps.

■ Lieu-dit La Radouiller­ie, 61 170, Sainte-Scolasse-surSarthe, 06.20.65.20.57 & https://www.laque-emoi. com/

Exposition collective les 27 et 28 avril lors du Chemin des Ateliers du Perche

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