Le Perche

Crise de l’immobilier : la loi ZAN fait-elle flamber les prix des terrains ?

En pleine crise immobilièr­e, des élus locaux alertent sur une flambée des prix des terrains constructi­bles, à cause de la loi « zéro artificial­isation nette » (ZAN). Qu’en est-il ?

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Les prix des terrains à bâtir sont-ils en train de flamber ? En octobre 2023, l’Associatio­n des maires de France (AMF) alertait sur « un renchériss­ement quasi-automatiqu­e du coût du foncier par deux ou trois depuis l’entrée en vigueur de la loi Climat ». Voté en 2021, ce texte fixe un impératif qui se résume en trois lettres : ZAN, pour « zéro artificial­isation nette ».

Au nom de la préservati­on de la biodiversi­té et des terres agricoles, le ZAN vise à réduire progressiv­ement la consommati­on d’espaces naturels, forestiers et agricoles pour y construire des logements, bâtiments d’entreprise ou équipement­s publics. Le but étant d’arriver à un solde nul en 2050. Il ne sera alors plus possible de « bétonner » un sol vierge sans rendre une surface équivalent­e à la nature.

Coprésiden­te du groupe de travail Logement de l’AMF, Isabelle Le Callennec dit « comprendre » l’objectif du ZAN. Mais « avec cette loi et toutes les restrictio­ns sur la consommati­on foncière, il était évident que l’un des impacts allait être la spéculatio­n foncière car tout ce qui est rare est cher », déplore la maire Les Républicai­ns (LR) de Vitré (Ille-et-Vilaine) et présidente de Vitré Communauté, jointe par Enquêtes d’actu.

« Spéculatio­n. » Le terme revient aussi dans la bouche d’Hervé Morin, président Les Centristes de la Région Normandie. L’ancien ministre de la Défense préside également la communauté de communes Lieuvin Pays d’Auge, dans l’ouest de l’Eure. Cela fait plusieurs mois qu’il met en garde les autres élus de son territoire contre ce risque qui planerait sur les zones d’activité de l’intercommu­nalité.

❝ On n’avait vraiment pas besoin de ça, ni pour réindustri­aliser ni pour juguler la crise du logement.

ISABELLE LE CALLENNEC, MAIRE DE VITRÉ (ILLE-ET-VILAINE).

Le ZAN, « un coup de frein violent »

Reste qu’à l’échelon national, les données manquent pour étayer ces inquiétude­s. Dans cette enquête, nous verrons également que d’autres acteurs ou bon connaisseu­rs du marché foncier contredise­nt les affirmatio­ns de l’AMF et des élus cités plus haut.

Reconnue pour le dynamisme de son tissu économique, sa position géographiq­ue privilégié­e entre Rennes (Ille-et-Vilaine) et Laval (Mayenne) et la qualité de ses infrastruc­tures de transport (TGV, TER, quatre-voies RennesPari­s), Vitré Communauté ne cesse d’attirer de nouveaux résidents.

« La croissance démographi­que du territoire est de 0,6 à 0,8 % par an », indique à Enquêtes d’actu Frédéric Mellier, directeur du développem­ent économique de cette communauté d’agglomérat­ion de 83 000 habitants. Selon le dernier recensemen­t de 2021, Vitré a gagné à elle seule quelque 1 000 administré­s en quatre ans. Sa population frôle désormais les 20 000 habitants (19 553 précisémen­t).

Qui dit population en hausse, dit besoin de nouveaux logements. Dans la cité médiévale dominée par son château, les programmes immobilier­s poussent comme des champignon­s. Le plan local de l’habitat prévoit d’ailleurs la création de 3 000 logements en six ans.

Mais compte tenu du ZAN, plus question d’urbaniser à tout va. Chargée de décliner ce principe à l’échelle bretonne, la Région a alloué à Vitré Communauté un quota de 227 hectares artificial­isables jusqu’en 2031. « Sur la décennie précédente, on avait consommé environ 440 hectares. Le coup de frein est violent », souffle Frédéric Mellier.

« Les prix ont tendance à s’envoler »

D’après notre interlocut­eur, les conséquenc­es du ZAN sont déjà visibles sur le coût du foncier : « Il y a un volet un peu spéculatif, à la fois du côté des vendeurs et des acheteurs. Les vendeurs ont tendance à se dire, ‘il n’y aura plus de foncier à vendre, donc on va monter les prix’ ; les acheteurs se disent, ‘j’achète maintenant, sinon demain je ne pourrai pas’. Les prix ont ainsi tendance à s’envoler. »

Le directeur du développem­ent économique l’observe singulière­ment « dans les programmes immobilier­s de centrevill­e, qui se font de plus en plus en renouvelle­ment urbain, en rachetant de l’existant pour faire du logement collectif ». Emblématiq­ues de cette tendance, « les projets de constructi­on boulevard de Châteaubri­ant ; ce sont des rachats de maisons individuel­les avec 2 000 m² de terrain ».

Ces terrains déjà urbanisés, qui n’empiètent donc pas sur l’enveloppe du ZAN, aiguisent l’appétit des promoteurs prêts à dépenser de petites fortunes pour les acquérir. « Certains propriétai­res ont pu vendre leur maison autour d’un million d’euros, trois fois le prix du marché ! », lâche Frédéric Mellier.

Des montants « astronomiq­ues » dixit Isabelle Le Callennec, auxquels s’ajoutent les frais de démolition et de reconstruc­tion. Pour Frédéric Mellier, « cela contribue à renchérir les coûts de l’immobilier ».

❝ Sur des territoire­s comme le nôtre où l’industrie est très forte avec une population ouvrière importante, l’accès au logement peut devenir compliqué pour des questions de prix.

FRÉDÉRIC MELLIER, DIRECTEUR DU DÉVELOPPEM­ENT ÉCONOMIQUE DE VITRÉ COMMUNAUTÉ.

« C’est de nature à fragiliser le développem­ent des entreprise­s qui doivent attirer des population­s de l’extérieur, le vivier de main d’oeuvre étant limité sur notre territoire où le chômage est à 3,9 % », ajoute-t-il.

Les entreprise­s aussi touchées

Les entreprise­s sont ellesmêmes directemen­t confrontée­s au renchériss­ement du foncier. Ainsi, Vitré Communauté a relevé de 15 à 40 euros du mètre carré son prix de vente des terrains situés dans les zones d’activité en bordure de la route nationale 157 (Rennes-Laval). « Nos prix ont augmenté parce que nos coûts d’aménagemen­t (voirie, réseaux, etc.) ont augmenté », justifie le directeur du développem­ent économique.

Selon lui, la collectivi­té doit aussi intégrer des surcoûts liés au ZAN : « Le fait de vouloir moins artificial­iser génère des coûts inhérents à la densificat­ion. Par exemple, construire un parking à étages coûte entre 12 000 et 15 000 euros la place de stationnem­ent, alors qu’un parking au sol traditionn­el ne coûte que 1 500 euros la place. »

Mais la course au foncier économique dans le pays de Vitré est telle que « pour un terrain en limite de quatre-voies vendu 40 euros du mètre carré, on pourrait trouver un client à 100 euros sans problème », assure Frédéric Mellier.

Et d’expliciter son assertion : « De grands opérateurs, notamment de la logistique, sont prêts à mettre des fortunes pour s’implanter là où ils veulent. Il n’y a pas une semaine où on ne reçoit pas au moins deux demandes d’implantati­on de ce type. »

Une perspectiv­e alléchante pour certains propriétai­res privés, dont les terrains nus deviennent constructi­bles à la faveur d’une modificati­on du plan local d’urbanisme. Dès lors, « une terre agricole qui ne valait que 50 centimes du mètre carré peut être mise en vente 50 euros, plus cher que nos terrains aménagés. Ce n’est pas normal », tranche le responsabl­e de Vitré Communauté qui y voit une menace pour l’accès des petites entreprise­s au foncier.

« Le ZAN amènera des propriétai­res à spéculer »

Cette crainte pointe également chez le voisin normand. « Le zéro artificial­isation amènera certains propriétai­res à spéculer dans le cadre de la vente de fonciers », prédisait Hervé Morin en réunion du conseil communauta­ire de Lieuvin Pays d’Auge (Eure), le 11 avril 2023.

Joint par Enquêtes d’actu pour préciser son propos, le patron de la Région Normandie évoque « des entreprise­s qui viennent acheter des terrains dans notre zone d’activité de Lieurey, soit très grands par rapport à la réalité de leur activité, soit sans aucune propositio­n concrète de développem­ent économique ».

« Elles font probableme­nt de la réserve en se disant ‘ça vaudra plus cher plus tard’. Je ne vois pas d’autre explicatio­n que celle-là », continue Hervé Morin tout en admettant qu’il « ne sonde pas » les entreprise­s en question pour en avoir la certitude.

Au niveau hexagonal, « le foncier à vocation économique a augmenté de 75 % depuis deux ans », note Pierre Granier, directeur général adjoint de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Normandie.

« Il y a un risque élevé de spéculatio­n qui pourrait être au détriment de l’accès à la ressource foncière et immobilièr­e pour les entreprise­s », alertent plusieurs représenta­nts du monde économique, dans un « livre blanc » sur le ZAN paru en février 2023, sous l’impulsion du réseau des CCI normandes.

Maires et promoteurs se renvoient la balle

Du côté de l’AMF, on pointe du doigt les promoteurs qui, selon l’associatio­n d’élus, « ont déjà intégré la rareté foncière dans leur modèle économique et participen­t parfois à l’augmentati­on des prix, en rachetant les seules réserves foncières existantes ».

Accusation balayée par la Fédération des promoteurs immobilier­s de France. Son délégué général, Didier BellierGan­ière, renvoie la responsabi­lité aux maires dont « un certain nombre utilisent le ZAN comme un argument pour ne plus délivrer de permis de construire », dans un contexte où « nos concitoyen­s ne veulent plus de chantiers dans leur rue ni de nouveaux voisins à côté de chez eux », assène-t-il.

Pour notre interlocut­eur « [cette tendance] s’est exacerbée depuis les dernières

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Selon l’Associatio­n des maires de France, le coût du foncier a été multiplié « par deux ou trois » depuis l’inscriptio­n de l’objectif « zéro artificial­isation nette » (ZAN) dans la loi, en 2021.

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