La résistance catholique en Cerdagne de Dorrès aux Escaldes, en passant par Angoustrine
Comme le rappelle Jean-Louis Blanchon dans sa thèse «La Cerdagne pays-frontièree», de nombreux témoignages soulignent le rôle méritoire du clergé pendant la résistance. Deux hautes figures catholiques dominent l’époque en Cerdagne, l’abbé Ginoux à Dorres et le père Domènech à Puigcerdà. Les souvenirs locaux insistent sur l’efficacité des bonnes relations entre la cure de Dorres, le sanatorium des Escaldes, Roselande à Angoustrine, les Violettes à Ur : « C’est encore en Cerdagne que l’on vit une sainte « alliance » très efficace entre les « curés » et les « toubibs». La providence des évadés avait situé en Cerdagne des maisons de cure à Font-Romeu et des sanatoriums aux Escaldes et à Osseja, tous établissements propres à abriter beaucoup de faux malades.
Il y avait aussi les «trois abbés Jean » en liaison parfaite, l’abbé Jean Ginoux, curé de Dorres, aumônier des Escaldes, l’abbé Jean Jacoupy, curé de Latour de Carol, enfin l’abbé Jean Domènech, archiprêtre de Puigcerdà, homme d’une grande bonté, accueillant tous les fugitifs et les évadés sans exception ».
Les occasions de résister ne manquent pas et l’aide d’un jeune prêtre ou d’un abbé plus âgé et malade est bien accueillie au sanatorium des Escaldes, au Home Catalan, à l’ermitage de Font Romeu ou à Roselande à Angoustrine. Là le père Gallet, l’abbé Rous, l’abbé Ginoux et les frères ont tant de travail ! Le jour prévu, dûment ensoutané, bréviaire à la main, on prend le train jusqu’à Villefranche puis le petit Train Jaune qui vous amène en Cerdagne où les Frères de la Doctrine Chrétienne vous amènent chez leurs confrères de Llivia, à moins que l’abbé Ginoux vous faisant passer à Puigcerdà ne vous confie au curé de la cité, Mossèn Domènech, qui vous fait gagner Barcelone ».
Parmi les passés les plus notoires, nous citerons le Grand Rabbin de Bruxelles qui, le 22 février 1942, écrit à Monseigneur Bernard une lettre de remerciements pour « l’avoir accueilli et logé à l’évêché et lui avoir permis d’ échapper à l’internement... » ; le rabbin Mordoch, guide spirituel de la communauté israélite de Perpignan, fait de même le 14 septembre 1942 et y ajoute : « toute (sa) gratitude pour toute votre action en faveur de mes coreligionnaires »; l’abbé René de Naurois, aumônier des soeurs de la Compassion, 31 rue Deville à Toulouse, prêtre et lieutenant de réserve, grand fournisseur de faux certificats de baptême devant l’Éternel, dont les prêches hostiles à Vichy et aux nazis l’obligent à passer la frontière à Llivia le 26 décembre 1942 déguisé en Frère de la Doctrine Chrétienne avec le frère Nectaire de Roselande à Angoustrine.
Le 24 juillet 1942, le Commissaire de Bourg-Madame accueille deux frères des Ecoles Chrétiennes d’Angoustrine refoulés par la police espagnole. Le 17 juillet, le père supérieur à Llivia « les aurait avisés que le Père Supérieur de Barcelone désirait les voir. A cet effet, le Père de Llivia leur remit un sauf-conduit espagnol et une convocation du Père Supérieur de Barcelone ». L’affaire dut sembler suffisamment louche à la police espagnole pour qu’elle les escorte de Ripoll à Barcelone et ne les quitte plus jusqu’à leur refoulement de Puigcerdà à Bourg-Madame. Les frères de Roselande disent alors que les papiers d’identité, probablement donnés à des fugitifs, ne leur ont pas été restitués. Zone interdite Le 12 novembre 1942, les Allemands envahissent les Pyrénées-Orientales. La Cerdagne est zone interdite et, le 15 no- vembre, la douane allemande, la Grenzchutz, installe son PC à Mont-Louis. En deux mois, la frontière est quadrillée. Elle organise un service de renseignements avec des Français, des Espagnols, grassement payés, qui recherchent les candidats au passage, espionnent pour dénicher les passeurs et se conduisent comme des gangsters. Le danger est constant. Le Quartier Général est établi alors à Thuès-les-Bains..
Du côté d’Ur, de Bourg-Madame et de Targasonne, c’est Jean de Maury qui habite Villeneuve des Escaldes qui renseigne. L’abbé Ginoux a un chemin sûr vers la gare de Latour de Carol, utilisant les couverts passant près du cimetière et aboutissant à un ponceau sous la voie ferrée venant d’Espagne à quelques mètres en aval de la gare. Les passages se font de nuit, vers une ou deux heures du matin. Quand il ne conduit pas lui-même les évadés comme le 1er janvier 1943 où il passe des diplomates tchèques adressés à Roselande par le Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, il les confie aux frères de Roselande. Mais autour de ceux-ci l’étau se resserre. Le 29 mars 1943, le frère Nectaire est arrêté. Le frère Nectaire fut dé- porté à Dachau puis à Buchenwald. Un an plus tard, la Feldkommandantur de Bourg-Madame ordonna au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder à l’évacuation de la maison des « Hermanos de la Doctrina Cristiana » (sic) coupables d’une hostilité permanente envers le Grand Reich et fortement soupçonnés de contribuer à la fuite vers l’Espagne des terroristes » « Les frères, y compris un grabataire, furent impitoyablement expulsés et ne retrouvèrent leur Home qu’en 1945 ». Roselande Roselande apparaît dans ces longues citations, était un sanatorium où l’on soignait les frères tuberculeux de l’ordre de Saint Jean Baptiste de la Salle. Les bâtiments ne correspondant plus aux normes d’un sanatorium, ils furent vendus après la guerre aux petites soeurs de l’Assomption qui s’y sont installées au début des années soixante. Les frères ont alors acquis le Mas Blanc à Bourg-Madame. De Roselande, on a une vue imprenable sur la collinette où passe la frontière de Llivia, ce qui explique en partie le choix de cette maison à l’heure du passage.