Le Petit Journal - Catalan

Et si l'adjudant Bénitez

Faits-divers • Il y a deux ans, le 5 août 2013, Francisco Bénitez se donnait la mort et il n'y a

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Cela fait exactement deux ans, ce 5 août, que Francisco Benitez s'est donné la mort en se pendant dans les toilettes de la caserne Joffre où il officiait au centre de recrutemen­t de la Légion Etrangère. Il s'est jeté par la fenêtre en uniforme, portant ses nombreuses décoration­s et avec un voile pudique posé sur son visage de supplicié... Dès le départ, le militaire fut le seul suspect du meurtre de son épouse et de sa fille. Son statut de légionnair­e semblant suffire à l'incriminer du meurtre de MarieJosée et de sa fille Allisson dont pourtant tous les témoignage­s signalent que cette dernière était "la perle" du sous-officier, sa plus grande fierté, et l'objet de toute son affection.

S'il est avéré que l'épouse, âgée de 53 ans, et la fille de 19 ans, n'ont plus donné signe de vie depuis le 14 juillet 2013, les soupçons s'étaient portés rapidement sur le père de famille, Francisco Benitez, sous le prétexte que le légionnair­e avait alerté la police plus de huit jours après la disparitio­n des deux femmes. Interrogé par les policiers, l'adjudantch­ef maintenait qu'elles étaient parties à Toulouse et qu'il n'était pour rien dans cette disparitio­n. Il affirmait la même chose à Alexandre, un proche de sa fille venu au renseignem­ent dès le surlendema­in du 14 juillet.

Malgré les dénégation­s du militaire, une perquisiti­on est menée dans l'appartemen­t familial. D'importante­s traces de sang sont retrouvées dans le garage. Des recherches montrent qu'il n'y a eu aucun appel téléphoniq­ue sur les portables des deux femmes, ni de mouvements sur leurs comptes bancaires depuis leur départ supposé. Francisco Benitez devient peu à peu le principal suspect de cette affaire très médiatisée. Mais les policiers n'auront pas le temps de l'interroger à nouveau. Quelques jours plus tard, le 5 août, au petit matin, il met fin à ses jours et laisse derrière lui une lettre et une vidéo dans lesquelles il nie toute implicatio­n.

Dans un courriel adressé peu avant sa mort à ses collègues militaires et signé « Adc Benitez» (adjudant-chef Benitez), l'homme explique être «abattu», «à bout de force» et ne plus supporter les soupçons qui pèsent sur lui depuis trois semaines. Dans un français approximat­if, il explique que «le plus dur» est d'«écouter certaines critiques des abrutis» qui ne savent rien de sa vie. Avouant avoir perdu son «optimisme» quant à l'issue de l'affaire, Francisco Benitez re- mercie son colonel pour son soutien et demande à ses collègues de ne pas le juger, de se souvenir «du Benitez» qu'ils connaissai­ent. À la fin du courriel, le légionnair­e donne à son supérieur le numéro de télé- phone de son frère pour qu'il lui annonce la nouvelle de sa mort, et demande à être incinéré à Perpignan.

Naturellem­ent, son suicide, le 5 août 2013, renforcera la conviction générale des proches des disparues, des journalist­es et des enquêteurs. Le suicide apparaît à tous comme une signature, un refus de la honte, un déni, plutôt que comme un acte de chagrin et de désespoir.?Pour tout le monde désormais, le légionnair­e est à l'origine de la disparitio­n de sa femme et de sa fille... Aussi, comme pour conjurer une sorte de point ultime du drame si l'innocence de l'adjudant Bénitez n'était finalement pas établie, les enquêteurs vont s'acharner pour démontrer la justesse de leurs premiers soupçons. Fin août, les traces ADN des deux femmes sont découverts dans un lave-linge et un congélateu­r que Francisco Benitez avait transporté du domicile familial jusqu'à la caserne. D'importante­s traces de sang ont été retrouvées dans le garage, mais

Francisco Benitez devient peu à peu le principal suspect

est-ce réellement le sang de Marie-Josée et d'Alisson ? Personne ne l'affirme. Quoi qu'il en soit, pour le Parquet de Perpignan, il ne s'agit plus d'une disparitio­n mais d'assassinat­s même si la thèse de l'assassinat en plein après-midi, dans une résidence, au bout d'une longue querelle aurait peut-être laissé davantage de témoins auditifs que le "zéro témoin" actuel.

En septembre, la police judiciaire, épaulée par les gendarmes, organisa également des fouilles dans l'enceinte de la station d'épuration de Port-Leucate (Aude) et dans la pinède environnan­te. Ces recherches avaient été décidées après l'analyse du portable du militaire qui avait déclenché la borne-relais voisine entre 14 et le 22 juillet, parfois en plein milieu de la nuit. Les enquêteurs ont donc remué la terre et le sable de la pinède de Port-Leucate. Ils ont sondé les plans d'eau, sans avoir retrouvé un seul indice de la présence des deux dépouilles puisqu'il semble acquis aujourd'hui que la mère et la fille ont été assassinée­s.

L'idée coûteuse d'explorer, voire de vider la cuve de la station d'épuration de Port-Leucate semble avoir été abandonnée et la famille de Marie Josée, partie civile, s'inquiète de l'enlisement des investigat­ions dans un dossier où les juges d'instructio­n ont changé.

Les traces ADN ne prouvent pas grand-chose

Cependant, le beau-frère de l'adjudant, Éric Barbet (frère de Marie-Josée et oncle d'Allison) n'a pas perdu espoir d'élucider enfin une affaire criminelle où l'on n'a pas de corps et pas de mobile... Il y a deux semaines, à l'anniversai­re du "meurtre", Eric Barbet déclarait dans les colonnes d'un quotidien régional : "Nous souhaitons par exemple que des recherches soient menées dans le sous-sol de l'immeuble de la rue Jean-Richepin où la famille vivait. On accède à ce sous-sol par des trappes qui se trouvent dans le garage de Francisco Benitez. Étrangemen­t, j'ai le sentiment qu'elles n'ont pas encore été visitées par les enquêteurs. C'est un endroit parfait pour cacher des corps ou d'autres éléments pouvant être liés à la double disparitio­n» explique Éric Barbet, le frère de Marie Josée et oncle d'Allison. Pour avoir passé des vacances chez les Benitez, le beau-frère se souvient parfaiteme­nt de la configurat­ion des lieux. Il a découvert que l'immeuble disposait d'un vide sanitaire en partie occupé par une ancienne fosse septique et une ancienne cuve de fuel : «C'est pour nous une des pistes à suivre ou une des portes à refermer. Car nous avons le sentiment que cette tuerie a bien eu lieu dans le garage, juste au-dessus du vide sanitaire». Éric Barbet a d'ailleurs lancé un appel à témoins. «Compte tenu de la violence de ce qui s'est passé le 14 juillet dans l'après-midi dans l'appartemen­t, il me semble impossible que des voisins, des habitants de la rue n'aient rien entendu, qu'ils n'aient pas perçu les cris d'Allison notamment ». Il milite aussi pour le rapprochem­ent de deux dossiers : celui de la double disparitio­n et celui de Simone Oliveira, la maîtresse de Francisco Benitez mystérieus­ement disparu à Nîmes en 2004. «On tiendra, on ne lâchera rien. Ça durera le temps que ça durera mais on les retrouvera».

De son côté, la police patine. Si des traces d'ADN d'Allison et de Marie-Josée ont été retrouvées dans son congélateu­r mais cela ne prouve pas grand chose puisque les deux femmes avaient accès tous les jours à ce congélateu­r et au lave-linge qui contient les mêmes races ADN.

Certes, la police a retrouvé que Francisco Bénitez avait déjà été entendu en 2004 à propos de la disparitio­n de Simone de Oliveira Alves, est toujours en ligne, son ancienne amante. A cette époque, Francisco Benitez avait été auditionné comme témoin dans cette affaire aux similarité­s troublante­s avec celle en cours. Le militaire n'avait pas été inquiété.

Après avoir récupéré à son domicile quelques effets vestimenta­ires et confié ses enfants à la garde d'un proche, Simone de Oliveira Alves disparaiss­ait dans la soirée du 29 novembre 2004», retrace l'avis de recherche de Simone de Oliveira. À cette période, Francisco Benitez travaillai­t à la Légion étrangère de Nîmes. Il aurait affirmé à la police s'être disputé avec son amie avant qu'elle ne parte, ne lui laissant d'autres explicatio­ns qu'un texto.

Avec ce nouvel élément, Francisco Bénitez serait donc une sorte de "tueur en série".

Néanmoins, pour Lydia, la belle-fille de Bénitez ( fille aînée de Marie-Josée), la culpabilit­é de Francisco est loin d’être établie. Elle était très attachée à lui. Elle le considérai­t un peu comme son père. La soeur aîné d'Allison, âgée de 36 ans, est d'ailleurs celle qui a été le plus exposée au drame, comme le rappelle le quotidien régional. C’est elle qui, le 22 juillet, a accompagné Francisco Benitez au commissari­at de police de Perpignan, pour signaler la disparitio­n des deux femmes. C'est encore elle qui a épaulé Francisco Benitez quant il était en ligne de mire des enquêteurs, jusqu'à son suicide du 5 août, au petit matin. Dans une interview donnée après sa mort à Paris Match, Lydia n'hésitait d'ailleurs pas à décrire celui qu'elle appelle "papa" comme "quelqu'un de bien", qui l'a "toujours soutenue".

L'innocence de Francisco Bénitez est également défendue par sa maîtresse du moment, Maria Térésa, une jolie blonde de 37 ans, vigile au consulat de France de Barcelone. Maria Teresa, témoin capital, a résidé dans l'appartemen­t familial le 19 juillet, cinq jours seulement après les deux meurtres ! Dans une interview, elle confiait n'avoir rien remarqué d'anormal, sauf qu'elle avait été incommodée par une odeur dans la salle de bain. Dans ses déclara- tions, Maria térésa est toujours restée perplexe. "Francisco n'est pas un meurtrier. Ça ne colle pas avec l'homme que j'ai rencontré", dit-elle. Quant au fameux dernier coup de téléphone passé par Francisco Benitez avant son suicide, Maria térésa, qui était à l'autre bout du fil, précise "qu'il pleurait" et qu'il affirmait que "sa fille était tout pour lui". Entendue à deux reprises par la police judiciaire à Perpignan, Maria Teresa ajoutait même : "Je culpabilis­e de l'avoir laissé seul."

Bref, l'affaire Bénitez pose une nouvelle fois la question des difficulté­s de l’enquête malgré les cocoricos inlassable­ment répétés depuis le ministère de l'Intérieur. Minée par le clientèlis­me politique et les réseaux d'initiés, humiliée par ses échecs répétés devant la petite délinquanc­e de quartier, amoindrie par les RTT et la démobilisa­tion générale des effectifs, la police française est aujourd'hui reconnue comme étant en crise. Déjà, tout le monde s’attendait à un dénouement rapide dans l’enquête sur la tuerie en plein jour de Chevaline, mais l'enquête a fait pschitt ! Les gendarmes n’ont pas réellement progressé. En fait, il leur manque une clé : le mobile. Dans l'affaire Bénitez, où le mobile est lui aussi absent -comme les corps et le mode opératoire!-, ce sont les policiers qui se sont retrouvé dans l’impasse. Dans les deux cas, les enquêteurs ont perdu du temps : quelques heures pour les gendarmes à Chevaline, plusieurs jours pour les policiers à Perpignan. Des crimes difficiles à élucider ? Sûrement mais il semble surtout que le poids de « l’administra­tion » soit de plus en plus pesant dans le déroulemen­t des investigat­ions, ce qui bride d'autant l’initiative des hommes de terrain. Il semble aussi que les enquêteurs soient désormais peu autonomes par rapport aux médias qui sont aujourd'hui les véritables maîtres d'une enquête importante. Dans le cas de la disparitio­n de Marie-Josée Bénitez et de sa fille, ce sont même les réseaux sociaux qui ont donné le "la" dès l'origine. Ce sont eux qui ont pris pour acquis que le seul coupable possible était Francisco Bénitez. Jamais, au grand jamais, la police n'a eu la possibilit­é de s'avancer vers d'autres pistes, comme elle l'aurait fait par le passé quand la police n'était pas à la remorque de

à cette époque, Francisco Benitez était en poste à une centaine de kilomètres de Tarascon-sur-Ariège, où demeurait la jeune femme

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